Comme ça s'écrit…


Comment ça s’écrit

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 18 juillet, 2012

Le blog de Simon Sanahujas décrit parfois ses techniques d’écriture, et évoque bien d’autres thèmes. Celui de Fabrice Colin rend compte de ses achèvements, de ses découvertes, et lance parfois des appels à collaboration. Celui de Lionel Davoust informe sur son actualité littéraire, mais aussi sur ses lectures et ses voyages, et offre même des petits jeux de plumes. Et il y en a plein, des blogs où les auteurs parlent de ce qu’ils font et de comment ils le font parmi d’autres sujets qui construisent leur vie.

Récemment, j’ai compris dans une sorte de flash pourquoi j’écrivais, et par voie de conséquence, comment.
Attention, scoop :
J’écris pour ne pas penser.

Stylo en main ou les doigts sur le clavier, j’ouvre une sorte de vanne qui laisse s’écouler autre chose que de la pensée. Je me branche sur une connexion différente, dont je ne contrôle ni le contenu ni le débit. Cela me traverse et finit sur la page ou sur l’écran.
Le mental est toujours là, mais il fonctionne enfin dans le cadre stricte qui devrait en permanence être le sien : celui d’un outil. Le mental me sert à mettre en forme intelligible les flots d’impressions et d’émotions qui me traversent. Fin de la zone de pensée réactive, vous passez la frontière de l’être. Ce qui explique aussi pourquoi j’ai abandonné toute idée de pseudo, en affirmant que je suis ce que j’écris.
Ce qui explique aussi pourquoi j’ai tant de mal à finir une histoire dont j’ai fait le plan. Une fois le plan posé, il ne reste plus que du mental à l’œuvre, pour construire et ordonner ce qui avait coulé librement. Je ne peux pas faire cela, ce n’est pas de l’écriture pour moi. C’est de la dactylo, de la grammaire et de la stylistique, pas de la musique. Cela ne vit plus.
J’ai donc écrit quatre romans et pas mal de nouvelles en les laissant apparaître tels qu’ils voulaient être. Et surtout, je leur laissais choisir leur destin jusqu’à la fin, au moment de les laisser partir ailleurs. Je les retravaillais un peu, après la naissance, mais sans chercher à les faire devenir autre chose que ce qu’ils étaient. Un peu comme des enfants : on les laisse grandir, mais cela n’empêche pas de leur donner une douche et un coup de peigne de temps à autres. Tellement comme des enfants, d’ailleurs, qu’ils continuent de vivre en moi et viennent parfois réveiller mon clavier, tels des membres de la famille dont on reçoit des nouvelles lointaines. Ils continuent de grandir. Voilà pour Aria, Djeeb et les autres.
Inconsciemment, je sentais que ce n’était pas parfait. Pas en termes littéraires, mais plutôt sous l’angle de la sincérité. Alors j’ai écrit L’Abri des regards. En laissant couler la dépression et le suicide de mon père à travers moi. J’ai laissé couler toute la vie entre mes doigts pendant plus de neuf mois, et j’ai posé chaque jour sur l’écran ce que mes doigts avaient retenus. Ce n’était pas un journal, mais un flux continu d’impressions et d’interrogations qu’aucune pensée normalisatrice n’est venu juger ou corriger. Est-ce que cette approche d’une certaine pureté va finir par trouver un éditeur assez courageux ? Bien sûr !

Et maintenant ?
Ayant pris conscience de ce qui fait mon écriture, je peux continuer tranquille, en laissant de côté les projets qui me paraissaient excitants intellectuellement, mais qui n’avaient aucune vérité. Et je peux aussi expérimenter d’autres façons de faire.

L’outil informatique est magnifique. On écrit, on relit, on corrige ce qui ne va pas, on poursuit.
Pour un cossard comme moi, c’est une horreur. Tout est parfait jusqu’à la mise en page et aux détails typographiques (je veille aux espaces insécables), quasi bon à imprimer : le premier jet est un produit fini. Il faut donc tout mettre dès le début, détails, dialogues et descriptions. Et rien ne peut plus changer. Pas moyen de l’améliorer autrement qu’en corrigeant des bricoles. Refaire tout un chapitre, changer un lieu ou un personnage, donner une autre direction à l’intrigue, alors que tout est déjà là, prêt à envoyer chez l’imprimeur… impossible !
J’ai mis longtemps à comprendre que Word est une prison pour moi, et que chaque mot tapé est un barreau que je ne pourrai plus enlever.

Pour me sentir plus libre, j’essaie donc de m’y prendre autrement. Écrire au crayon, dans une sorte de gros carnet à spirale qui compte près de 300 feuillets d’un blanc cassé sous sa couverture rouge.
Le crayon est magique. Je peux l’effacer, mais surtout il me dit en permanence que le travail n’est pas fini. Il me libère de la tyrannie du texte accompli. Même si je ne change pas une virgule, il faudra tout reprendre à zéro en tapant le texte. Je tiens entre mes doigts la preuve du caractère transitoire du premier jet. Ce n’est qu’une étape. Ce qui coule là, maintenant, n’est pas le produit fini. Je peux sauter du coq à l’âne, poursuivre deux envies à la fois, écrire mal, en télégraphique, résumé, tronqué, pour ne garder que quelques mots clés qui fixeront l’impression sans figer la forme. Lorsque je me mettrai au travail de dactylo, les petits traits de crayon magique viendront réveiller le flux qui m’avait traversé des mois auparavant. On ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière, mais on peut y revenir et trouver l’eau bonne à chaque plongeon.

Avec un peu de discipline, je me suis aperçu (on évolue à tout âge) que je peux maintenant travailler de la même façon au clavier. Jeter ce qui vient comme cela vient, sans me soucier de forme ou d’exhaustivité. Je garde mon gros carnet rouge pour finir le premier jet de Persistance. Et je promène ma clé USB d’un clavier à l’autre pour laisser couler Les Chercheurs. Voilà, deus projets, deux façons de les écrire.
Je crois que cela va m’occuper un moment. Dommage pour l’appel à texte de Acta est Fabula. J’aurais bien aimé m’amuser avec une nouvelle de fantasy, mais le temps est choisi.

 

Oh, un vrai manuscrit...

Oh, un vrai manuscrit…

2 Réponses to 'Comment ça s’écrit'

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  1. Glut said,

    J’utilise également un carnet, mais pour une toute autre raison : lorsque j’écris au clavier, j’ai l’impression que mes doigts vont plus vite que mon esprit (j’ai une bonne vitesse de frappe, mes parents m’ayant forcé à apprendre à taper à l’ordinateur car ils savaient que j’aimais bien écrire).

    J’encre/ancre donc plus rapidement l’histoire, je la terre et je l’enterre. Pas difficilement car je peux revenir, mais disons que les racines s’enfoncent plus vite.

    Par contre, au carnet, en plein milieu de l’écriture d’un verbe qui peut me prendre deux secondes, je continue à me poser la question, je me remets en cause le temps d’écrire le mot, et j’ai plus de facilité à revenir sur mes mots.

    Oui, je préfère le carnet (surtout qu’il tient dans ma besace et que je peux le sortir dès que je suis inspiré, contrairement à l’ordinateur qui se trouve dans une pièce remplie d’autres objets susceptibles d’orienter mon esprit ailleurs, à commencer par ledit ordinateur).


    • Ancrer l’histoire, oui, lui donner des racines mais en même temps la retenir et l’empêcher d’aller où elle voudrait.


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