It’s june
Cet été, les hannetons sont morts.
Ils meurent chaque été, après être sortis de terre, avoir dansé leur parade amoureuse autour des arbres du jardin, et assuré leur descendance. Quand j’avais dix ans, au coucher du soleil, ils vrombissaient comme des camions volants et avec mes cousins nous les shootions à la raquette de badminton. C’était plutôt moche comme jeu, nos parents nous le disaient avec lassitude, mais sur les centaines qui tournaient en l’air nous n’en descendions que quelques-uns.
Quand mes enfants ont atteint l’âge de jouer à la DCA du crépuscule, je le leur ai interdit. Il reste tellement peu de hannetons. Il m’arrive de trancher une de leurs larves blanchâtres d’un coup de bêche. Je ne sais pas quel rôle ils jouent dans les cycles croisés de mon jardin. Cet année, aucun. Au moins dans leur forme adulte.
Ils sont sortis de terre à taille réduite, très peu nombreux. On aperçoit seulement quelques petites larmes dorées, pattes et ailes recroquevillées, inertes. Comme si la remontée à la surface avait épuisé leurs organismes diminués. Je n’en ai vu aucun voler autour des arbres. Sans être un spécialiste, je me doute qu’ils n’ont pas pu se reproduire. Dans trois ans, durée du cycle larvaire, il n’y aura pas de hannetons du tout en juin. Et si j’ai oublié ce qui s’est passé cet été, je ne m’en apercevrai pas.
J’ai parfois l’impression que des petits bouts de notre vie ou de notre environnement disparaissent ainsi, en catimini. Il n’y a pas d’effet immédiat, même si tout va très vite. Un jour on voit des hannetons morts, un autre jour il n’y a plus de hannetons, mais on ne le voit pas. Comment avoir conscience de ce qui s’est effacé ?
On pourrait penser à du Philip K. Dick ou à Eternel sunshine of the spotless mind. Pourtant, je ne sais pas pourquoi, mais cela me rappelle quelques unes des paroles les plus tristes de la chanson que j’ai toujours trouvée la plus triste des années 80.
In september my cousin tried reefer 4 the very first time
Now he’s doing horse, it’s june
Prince – Sign o’the times, 1987
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Je lis toujours Rêves de Gloire et No et moi. Je prends mon temps, j’en ai.
sur 20 juillet, 2012 sur 10:37
Pour illustrer ce billet, ya ça aussi d:)
sur 20 juillet, 2012 sur 11:05
Bien trouvé, merci.
sur 20 août, 2012 sur 3:09
Cher Laurent,
Chez moi, en Pologne, au début de l’été, il y a encore plein de hannetons. Ils sont gros, verts et volent avec un bruit de Harley. (On a aussi des vers luisants mais ils sont insonores).
Il ne vient à personne l’idée de les dégommer.
De temps en temps, une chauve-souris entre dans la maison en volant, au grand plaisir du chat qui est bien capable de l’attraper: nous nous levons au milieu de la nuit, à moitié assommés à ouvrir en grand les fenêtres, à tenter de la libérer.
sur 20 août, 2012 sur 3:22
Cher Grossman,
Merci de me rassurer pour les hannetons polonais (il faudrait en acclimater un couple pour les réintroduire en Haute-Savoie). Félicitations à personne, pour son respect de leurs brève vie. J’aimerais pouvoir dire la même chose, tant pis.
Quant à notre chat, il a bouffé la première chauve-souris que nous avions trouvée derrière un volet : vous avez raison de protéger les vôtres de ce monstre prédateur.
sur 20 août, 2012 sur 4:03
Grossman, c’est pas mal non plus comme pseudo 🙂
sur 21 août, 2012 sur 10:45
Oui, hein ? Tu as le choix entre Vassili, David et mes excuses 😉
sur 25 juin, 2017 sur 9:41
[…] cinq ans déjà, la mort prématurée de hannetons mal formés m’avait ému. Ils n’avaient pas pu se […]