Comme ça s'écrit…


Avatôt ou tard

Posted in Non classé par Laurent Gidon sur 29 janvier, 2010
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Désolé pour l’inanité du titre, mais j’avais quand même envie de la faire, voilà, c’est fait.

Et puis, tôt ou tard, il fallait bien qu’un penseur légitime rejoigne plus ou moins l’idée que je m’étais faite sur ce film, phénomène auto-réalisé (on a commencé par dire que ce serait un phénomène avant même que ça sorte, et Oh surprise ! c’est devenu un phénomène une fois sorti) que chacun critique ou encense en surface, mais que peu vont gratter vers le fond. Pierre Desjardins, auteur et professeur de philosophie au collège pré-universitaire Montmorency (Québec) a creusé l’affaire. Et en vient dans sa tribune du Monde à la conclusion que sous le rêve chatoyant, Avatar ne réussit qu’à justifier notre cauchemar diplomatique et militaire actuel.

Outre que ce jeune homme détient une certaine légitimité à énoncer ce propos, il le fait avec une clarté sans détour.

Lorsqu’on est attaqué, il faut savoir se défendre. C’est là un droit absolu. Tel est le message central de cette superproduction américaine de 300 millions de dollars qui se veut l’expression de l’idéologie guerrière, c’est-à-dire celle de la guerre dite juste ou, si l’on veut, celle du bien contre le mal…

Certes, il n’évite pas le point Goodwin (« Rappelons que même pour Hitler, la guerre était juste…« ) mais appuie son argumentation sur des détails que j’ai rarement vu relevés, comme :

Le mot même d’avatar, qui vient du sanskrit, désigne un envoyé de Dieu qui assure le combat du bien contre le mal.

Il aurait pu creuser le fondement narratif du film, alors qu’il ne fait que l’effleurer, mais ce n’est déjà pas mal :

Son réalisateur, James Cameron, aura sans doute compris mieux que tout autre cinéaste que pour qu’un film plaise, il faut savoir réconforter le public dans ses convictions.

Oui, creuser là : d’où viennent les convictions du public ? D’un storytelling de la Maison Blanche (un peu) ou de quatre mille ans de mythe et de structure narrative que l’on retrouve du conte de fée au thriller post-apo en passant par le roman historique (l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs).

Bref, en réponse à un certain forumeur qui se plaît à vilipender mon billet précédent sur divers forums en m’accusant de révisionnisme historique (voire de justificateur du colonialisme), je dirais ceci : loin de jouer les donneurs de leçons (comme il dit), je m’inquiète seulement du fait que notre soumission à certaines constructions d’histoires nous empêche de les questionner, et même de les percevoir. Platon, caverne, tout ça… je voudrais faire mon cuistre que je saurais où chercher.

Je laisse la conclusion à Pierre Desjardins, qui la mérite :

Tuer, oui, mais tuer uniquement ceux qui menacent la sécurité de nos pays ! (…) Le seul hic toutefois avec cette vieille et ridicule formule est qu’elle est valable pour tout peuple qui se sent menacé…

14 Réponses to 'Avatôt ou tard'

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  1. Alors autant je trouve ta critique bien argumentée et intelligente, autant celle de Pierre « j’aime! les! points! d’exclamation! » Desjardins me semble simpliste et borderline idiote. Sur l’idéologie, on peut effectivement reprocher à Avatar l’idée du dialogue impossible comme tu l’as bien fait, mais il faut voir aussi que les humains sont clairement dépeints comme des agresseurs bourrins et sans concession dans le film (ce qui légitime la riposte Na’vi, oui, mais c’est pour moi un artifice scénaristique).

    Surtout, à une Amérique toujours très engoncée dans sa righteousness, le film montre que d’autres peuples, qui ne sont justement pas les gentils GI’s, ne sont peut-être pas le seuls à se sentir légitimés dans leur action, et que c’est forcément générateur de problèmes. Ce n’est pas, comme dit Pierre! Desjardins! un simple « brouillage de cartes », cette inversion de point de vue me semble au contraire génératrice de réflexion, parce qu’elle prend le parti des autres avec le discours des uns. Et comment ne pas prendre le discours de Quaritch sur les frappes préemptives comme un étrillage direct envers la guerre contre la terreur de George W. Bush? Cameron réutilise la même rhétorique dans un contexte absurde, et, par là-même, la ridiculise. C’est du moins l’effet que ça m’a fait.

    • Don Lorenjy said,

      C’est vrai ce que tu dis, mais avoue que la propagande du bon humain (avec son traducteur Na’vi) auprès des différents peuples a un parfum de united we stand et de we shall prevail assez proche d’un discours de l’Union période Bush. Et Desjardins a raison de conclure que tout peuple se sentant menacé par l’Amérique sera légitimé par la fiction à tenir le même discours.


  2. J’admets, bien sûr. Après je pense le we shall prevail n’est pas forcément négatif en soi : c’est l’idéologie qui fait la différence.

  3. Lucie said,

    Ca m’agace un peu, un article d’un prof de philosophie (qui met son titre en avant) francophone qui n’est même pas fichu de donner une bonne définition d’un mot de la langue française. A se demander si c’est exprès.

    « Avatar » vient effectivement du sanskrit, mais ne désigne absolument pas un « envoyé de Dieu qui assure le combat du bien contre le mal ». Les « envoyés de Dieu qui assurent le combat du bien contre le mal », c’est dans les religions du Livre, qu’on les trouve, et particulièrement dans le christianisme. L’hindouisme est très loin de cela. Pour commencer, c’est une religion polythéiste (ce qui, en matière d’acceptation d’autrui, pose une énorme différence). Ensuite, un Avatar n’est pas un envoyé de Dieu, parce qu’il n’y a pas de Dieu avec une majuscule, mais des dieux (et des déesses, et c’est loin d’être anodin). Et puis un avatar n’est pas un envoyé, c’est la réincarnation de Vishnu, ou d’une autre divinité. Et le cycle des réincarnations est présent dans le film : « l’énergie est prêtée, elle doit être rendue ».

    Bref, cet extrait mensonger de l’article me fait douter du reste. Ce type dit « Tel est le message », mais je ne le crois pas. Primo parce que ça n’est pas le message que j’ai reçu, deuzio, parce qu’un type qui manipule la vérité de cette façon n’a pas à être « cru » (ni cuit, d’ailleurs). Et tertio parce qu’il sort le film de tout contexte historique, ce qui est malhonnête, pour la rapprocher d’un pan de l’histoire qui n’a rien à voir. Oui, « historique ». Un western, même transposé sur une autre planète, a une dimension particulière pour les étasuniens. Par contre, comparer le film à Hitler, c’est tout simplement honteux — et prouve qu’il n’a pas vu le film, parce que s’il y a une comparaison à faire, c’est plutôt avec les Résistants.

    Tiens, un autre truc idiot qui prouve qu’il n’a pas vu le film : « Car le film fait le partage entre les bons guerriers (les Na’vi) et les mauvais guerriers (les GI’s). Mais on le sait, il n’y a pas de bons et de mauvais guerriers. » Et le gentil héros, il n’est pas GI, peut-être ? Ah, non, d’après l’auteur de cet article, il est « un simple soldat américain éclopé de la guerre, revampé dans un corps neuf, (…) l’Américain moyen, c’est-à-dire un innocent qui ne veut pas de la guerre mais qui, pour les besoins de la cause, va finir par se transformer en un combattant enragé ». Excuse-moi, mais c’est n’importe quoi. Un simple soldat américain qui ne serait pas un GI, alors que « GI » signifie « soldat américain » ? « revampé dans un corps neuf » heu… non, pas vraiment, son esprit est transposé dans un corps totalement étranger, a n’est pas tout à fait pareil. Par contre, on lui fait miroiter un corps (des jambes) à la fin de sa mission ! Un « innocent qui ne veut pas de la guerre », mais qui est quand-même un marine, c’est à dire un engagé et non pas un appelé…

    Non, décidément, Pierre Desjardins ment, ou il est idiot et ne comprend rien à un simple film de fiction.

    Comme chacun, il lit dans ce film ce qu’il apporte. C’est plus révélateur de sa mentalité que de celle de Cameron (au passage, bonjour les attaques personnelles, sacré argument !). Et la mienne, de mentalité, là où Desjardins voit « la justification parfaite de la guerre en Afghanistan » me fait voir sa critique et son explication (l’argent, le minerais).

    • Don Lorenjy said,

      Tu as raison sur bien des points, et comme nombre de détracteurs de l’article tu jettes ce me semble le bébé avec l’eau du bain pour quelques saletés qui flottent.
      Là où tu as raison aussi, c’est que l’article est orienté. On ne peut rien dire d’objectif sur rien, tout est subjectif. Sachant cela, pourquoi ne pas pouvoir analyser ce que le sujet Cameron a mis dans son film ? Le sujet Desjardins en a le droit autant qu’un autre. Mentir ou être idiot ? Je ne crois pas : voir les choses avec un certain filtre, oui. Mais c’est en filtrant qu’on peut faire apparaître certains détails autrement noyés dans le bruit/spectacle de fond.

      • Lucie said,

        Bien sûr que Desjardin a le droit d’analyser, et bien sûr qu’il a le droit d’être subjectif, au moins autant que toi ou moi ou Lionel 😉 Mais son article est truffé de contre-vérités, mensonges ou ignorance de la part de l’auteur. Et cela jette le discrédit sur l’ensemble de l’article, surtout quand ça parait dans le Monde et que c’est présenté de la part d’un professeur de philosophie.

        Filtrer pour faire apparaitre certaines choses qui risquent d’être noyées, oui. Affirmer haut et clair des choses fausses, non. C’est pas plus compliqué que ça (mais en fait, je sais, c’est très compliqué à chaque heure de notre vie ;))

        Et si un prof de philo n’est pas capable de se servir d’un dictionnaire de français, alors please, qu’il se dispense d’écrire dans un quotidien de langue française

  4. jo said,

    Je viens de lire l’article, qui m’ébranle fortement. Force est de constater que son raisonnement tient la route. Malheureusement, l’admettre, c’est aussi accepter de faire partie des « naïfs » qui voyaient dans ce film un message antimilitariste. Et ça, je ne peux l’accepter, c’est trop douloureux, lol.

    Il me semble que le point central que soulève l’article, c’est la justification de la guerre défensive. Là-dessus, il n’a pas tort, c’est bien ce qui se passe dans le film, mais est-ce pour autant une justification de la guerre? je n’en suis pas si sûr, je dirais que c’est plutôt une justification de la résistance. Résistance de la 2nde GM face aux nazis. Mais aussi, si on poursuit le raisonnement, résistance, face aux mauvais marines, des Afghans ou des Irakiens face à la destruction, chez eux, de « leurs arbres ».

    La transposition du film sur la récente histoire américaine n’est pas parfaite. Certes, les Na’vis comme les américains sont attaqués sur leur sol. Peut-être la chute de l’arbre ressemble à la chute des Twin towers (Je n’ai pas pensé un instant au WTC avec la chute de l’arbre, mais admettons). Mais alors que les américains ont porté la guerre du bien contre le mal jusqu’en Irak et en Afghanistan, avec la logique sous-tendue que la défense de la sécurité justifie la guerre sur un autre territoire, comme c’était le cas avec Hitler, les Na’vis se contentent eux de défendre leur territoire, et ne vont pas porter la guerre jusque sur la Terre…

    Dernière chose après relecture, il n’est pas question ici de placer sur la même ligne américains et nazis, ce serait sinon oublier le rôle fondamental des américains aux côtés de la résistance durant la 2nde GM.

    • Don Lorenjy said,

      Je maintiens que le film que ce soit sur le fond (comme Desjardins) ou dans sa structure narrative, fonctionne comme une machine qui s’auto-justifie et s’auto-alimente de la guerre.
      « les Na’vis se contentent eux de défendre leur territoire, et ne vont pas porter la guerre jusque sur la Terre… » Alors là, j’aurais tendance à dire : attendons Avatar II, le retour des hommes bleus en colère.

      • Lucie said,

        Là, tu me fais penser à Minority report, tu fais le procès du film qui n’est même pas encore en tournage 😀

      • Don Lorenjy said,

        C’est sûr, I’m bad. Le Good c’est Cameron, et le Ugly c’est Desjardins.
        Tu ne nous a pas vu tourner, tous les trois, dans le cimetière de nos illusions, à la recherche d’une autre façon de raconter les histoires, enterrée comme un trésor perdu ? 😉

  5. Stéphanie Nicot said,

    Bonjour,

    Je ne reprends pas ce qu’a très justement dit Lionel Davoust sur son blog, et je vous y renvoie donc :
    http://lioneldavoust.com/2010/01/avatar-simone/

    Mais je m’étonne qu’un professeur québécois, oublieux de ce qui a été fait dans son pays aussi aux « Natives » du Canada, ne voit pas une évidence qui n’aura échappé, elle, à aucun Américain : les Navi’s font penser aux Indiens… Les références culturelles du film, le fonctionnement tribal, le rapport à la nature, l’Arbre-Esprit, la volonté de chasser les indigènes de leur terre pour s’approprier des ressources minières (Cf. la ruée vers l’or du XIXe siècle aux USA !)… tout, à l’évidence, y renvoie.

    Par ailleurs, qui pense qu’il aurait été illégitime pour les peuples concernés de rejeter à la mer les puritains du Mayflower ? Ou les conquistadors espagnols ? Non, parce que les Incas ou les sociétés indiennes étaient parfaites, mais parce qu’ils étaient chez eux.

    Ou plus simplement, en d’autres temps et d’autres lieux : qui a eu raison ? Ceux qui ont courbé la tête ou ceux qui ont résisté au nazisme ? On peut refuser ou se méfier de toutes les guerres, et surtout ce qu’on nous vend comme des « guerres justes » (toujours louches, toujours complexes, toujours payées par les peuples, au final…), mais ne pas accepter la botte d’une dictature (nazie ou vichyste, allemande ou française, à cette époque, c’était du pareil au même), ne me semble en rien illégitime !

    Par ailleurs, un film (ou un livre !) n’est pas nécessairement mauvais en soi parce que c’est un produit américain, construit pour un succès de masse ! (Quel écrivain fait un livre avec l’ambition avouée de toucher le moins de monde possible ?).

    L’argument le plus absurde que j’ai entendu à propos d’Avatar est celui de Jérôme Garcin, le patron du Masque et la Plume, l’émission germano-pratine bien connue qui parle exclusivement des livres de blanche et des films dit d’auteurs (Bon, c’est un peu moins caricatural pour les films…). Il expliquait qu’Avatar était à l’évidence un film sans intérêt (film qu’il disait n’avoir pas vu, bien sûr)… puisque tous ses amis qui l’avaient aimé ne lui parlaient que des effets spéciaux ! Un tel argument ne prouve qu’une seule chose : comme ses livres, Jérôme Garcin choisit mal ses amis 🙂

    En attendant, après l’avoir vu deux fois au cinéma, je vais bientôt le voir le DVD :-))))

    Amicalement,
    Stéphanie

    P.S. : Avatar 2 pourra être un mauvais film, une grosse daube militariste, etc. Cela ne changera rien à Avatar.

    P.P.S. : Encore un détail (il y en a plein d’autres, il faut juste regarder et écouter…). Tout au début du film, le personnage principal et le major font allusion à une guerre, sur Terre, qui n’a pas été une partie plaisir, contre le Vénézuela… Si c’est pas une allusion aux cibles potentielles des USA, c’est quoi ? Et ces soldats, ex-marines, qui passent avec armes et bagages du côté des Indigènes ? Il a fallu Little Big Man, Soldat Bleu, puis « Danse avec les Loups », pour voir de vrais westerns pro-Indiens (je ne parle pas de ces films édifiants, avec de « bons indiens » pacifiques, opposés à ceux qui combattaient les tuniques bleues 😉

    • Lucie said,

      +1 avec toi, Stéphanie. D’ailleurs, les références qui me venaient en tête après avoir vu (tiens, deux fois au cinéma aussi ;-)) Avatar étaient les trois mêmes westerns que tu cites.

    • Don Lorenjy said,

      J’abonde aussi, surtout :
      « ne pas accepter la botte d’une dictature (nazie ou vichyste, allemande ou française, à cette époque, c’était du pareil au même), ne me semble en rien illégitime »,
      car pour moi, « ne pas accepter » ne veut pas dire aussitôt « combattre ». Il y a d’autres voies, et le combat n’est pas toujours la moins mauvaise.


  6. […] aussi les avis de SFU, Don Lo, Lionel Davoust, La conquête de l’espace, Viclay, Traqueur Stellaire, Cachou, Chrestomanci, […]


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