Comme ça s'écrit…


Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 9 août, 2014

C’est en Irak, en Palestine, au Soudan, en Syrie, ailleurs encore, ailleurs certainement, forcément. C’est la tentation de la terreur : la vie comme un affrontement permanent. Identifier son ennemi, le chasser, l’exterminer, montrer au monde sa dépouille martyrisée, voilà qui donne du sens et justifie l’existence. Nous pouvons toujours crier, gémir, menacer, cela ne sert à rien, sinon à encourager et justifier encore. Ceux qui chassent se repaissent de nos plaintes. Ils attendent notre courroux, ils l’espèrent.
Alors, que faire ?
La première idée qui me vient est de soustraire les victimes, quelles qu’elles soient, aux tenants de la terreur. Ils en trouveront d’autres, je sais, mais déjà celles-ci, leurs cibles immédiates : les sortir de la nasse. Je vois là un emploi utile et proportionné de nos forces. Ne pas les envoyer combattre, mais protéger la fuite, défendre la vie qui reste, l’aider à s’échapper pour survivre ailleurs. Et assécher les chasseurs.
Les fuyards auront le sentiment d’abandonner leur patrie, leur terre, leur maison. Mais celles-ci sont devenues invivables : on ne peut pas vivre gibier, chassé pour donner sens à la vie d’autres qui nous paraissent fous. Alors autant partir.
Ce sera à nous de les accueillir, ces réfugiés, de façon à ne pas laisser prise aux regrets. Accueillir plus que dignement : confortablement. Loger, nourrir, soigner, former, donner de l’avenir. Nos surplus en tout genre – denrées, matériels, compétences – y retrouveront enfin une utilité. Tout ce qu’on jette ou qu’on met au chômage, l’employer à remettre debout ceux qui nous arriveront à genoux.
J’entends déjà nos nécessiteux râler : « Pourquoi dépenser autant pour des va-nu-pieds du bout du monde alors que la misère, ma misère, est à vos portes ? » C’est légitime.
Je ne vois qu’une solution : donner autant ici que là-bas. Loger, nourrir, soigner, former, sans émettre de dette, sans attendre de paiement ou de compensation. Le faire parce qu’on le peut.
Mais j’entends déjà nos nantis râler : « C’est que je travaille, moi, monsieur, je mérite ! Et vous allez donner autant à ceux qui ne méritent rien ? C’est injuste ! »
Que faire d’autre alors que de proposer à celui qui travaille ainsi, contraint et forcé par sa notion intime du mérite, que faire d’autre que lui proposer de s’arrêter ? Lui rendre justice, le laisser se reposer, et permettre ainsi à ceux qui sont prêts à œuvrer par utilité de faire le nécessaire.
Mais j’entends déjà râler ceux qui s’enrichissent du travail des autres : « Vous allez jeter toute notre belle et séculaire civilisation à terre, il n’y aura plus d’intérêt, plus de profit, c’est la fin de tout. Pire, c’est la fin de l’économie ! »
Je ne vois alors qu’une solution. Mettre à bas l’économie. Ne s’occuper plus que de l’indispensable. Il me paraît indispensable de pallier les souffrances, celles de là-bas comme celles d’ici.
Il me paraît indispensable de le faire, non parce que nous y avons intérêt ou parce que c’est moral, mais parce que ce sont des humains. Et que sinon, si nous nous dispensons d’êtres humains, si nous les laissons à terre pour protéger nos intérêts et nos profits, la barbarie intérieure nous guette autant que celle que nous condamnons – et avec quelle vigueur ! – chez ceux qui chassent pour donner sens à leur vie.
Toutes ces violences, toutes ces souffrances, n’auront servi à rien si nous n’en profitons pas pour changer, nous.

———-

Pendant ce temps, j’ai lu Une Terre d’Ombre, de Ron Rash, et je ne regrette pas. Il me semble rare qu’un livre réussisse à conjuguer la beauté de la terre et des cœurs à une certaine violence qui y couve, sans en faire son fond de commerce. Merci Ron ! J’ai tenté Transatlantic, de Colum McCann, et j’ai butté sur son style sec qui me ramenait à terre chaque fois que le texte voulait m’envoler.