Comme ça s'écrit…


Publistoire

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 30 mars, 2012

Chaque semaine je lis un magazine culturel. Je vous laisse deviner lequel et percevoir la légitime fierté qui m’étreint, mais ce n’est pas le sujet.
Ses premières pages sont truffées de publicité jusqu’à l’overdose. C’est là que le magazine fait son chiffre, plus que dans son prix de vente. Parfois, je m’en agace. Un mag qui se veut culturel, à la pointe des idées – donc social et écolo selon ma grille de lecture perso – peut-il afficher autant d’odes à la surconsommation, au bling-bling, à la bagnole statutaire ? Hein, en voilà une question ! Et puis d’autres fois ça m’amuse. Car le télescopage des produits raconte des histoires inattendues.

Cette semaine par exemple, on enchaîne de quoi faire tout un scénario.
D’abord une solide berline allemande se déplaçant de droite à gauche dans un environnement urbain : Monsieur rentre à la maison. Puis, un bijou : il ramène de quoi faire plaisir à Madame… ou se faire pardonner une infidélité. Parce que Madame n’est plus toute fraîche, malgré ce que veut lui faire croire l’antirides de la prochaine page. Cela se finira-t-il au lit, présenté ensuite dans un décor trop onirique pour être vrai (à 3 900€ la couche, on peut offrir du rêve en prime) ? Peut-être, mais pas en galipette, comme nous l’indique en page suivante le Kindle et ses 1400 livres sans effort pour 99€. Le temps que Monsieur lise tout ça, Madame peut toujours passer l’aspirateur sans perte d’aspiration que lui conseille la page d’après. Pas de chance, lassé par le bruit ou le manque d’inspiration, Monsieur profite de la prochaine pub voiture pour repartir vers la campagne (électorale) dans une solide berline se déplaçant cette fois de gauche à droite.

Quel drame du quotidien des pauvres riches vient donc de se nouer là, sous nos yeux inattentifs ! Bêtas que nous étions à lire l’éditorial, les brèves, les interviews d’artistes, nous n’avions pas compris que l’argent, le luxe et la lecture électronique conduisent à la solitude, à l’incompréhension, et à la séparation propre et nette sans perte d’aspiration. Vivement la semaine prochaine, qu’on me raconte la saga du yaourt dont le bifidus sauva un vieux en perte d’audition de la tourista au Maroc… à moins que tout se finisse en convention obsèques.

Puisque c’est un homme

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 28 mars, 2012
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Il a pris des vies, a couru après des enfants pour les achever, a filmé tout cela, a tiré jusqu’à se faire tuer, et pourtant c’est un homme.
Il a parié sur une parole qu’on lui disait de dieu alors qu’elle n’est qu’humaine, si petitement humaine, comme tant d’autres, comme tant d’hommes.
Il a choisi la violence, la haine, la négation de l’autre jusqu’à la mort, et pourtant c’est un homme.
Il a grandi parmi nous, il a appris à lire, à rire, à aimer sans doute, il a appris d’autres choses aussi, comme le mépris, la colère et la peur, il a hurlé avec ses balles, il a voulu ne plus être des nôtres, et pourtant c’est un homme.
Il a déclenché l’horreur, l’incompréhension, la stupeur, l’abjection, l’indignation, la récupération aussi, et pourtant c’est un homme.
Et puisque c’est un homme, il pose la question : qu’y avait-il de nous en lui et qu’avons-nous à nous pardonner ?

Prendre, et rendre

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 20 mars, 2012

Dès le tout début, on le ressent, même sans le comprendre. La vie, c’est prendre, puis rendre. Pas moyen d’y échapper.
Avant l’aérobie, à l’époque du tout amniotique, pas de vraie vie à soi, juste prendre, rien à rendre. Mais ça ne dure pas. La première chose qu’on fait dès la sortie, c’est prendre un grand coup d’air, et le rendre en criant. On apprend à la dure.
Toute la vie va continuer ainsi : inspirer et expirer. Ingérer et… exagérer ? Peut-être, mais il faudra toujours exfiltrer d’une manière ou d’une autre. Jusqu’au bout. Et même au-delà, rendre la matière même qui nous a constitué.
On inspire et expire en permanence, comme un pense-bête : n’oublie pas que tu devras tout rendre. Et pourtant, combien oublient ?
Cela me rappelle l’histoire assez futée – où l’ai-je lue ? je ne sais plus – de ce gamin qui passe tout l’été à s’améliorer au Monopoly pour battre sa grand-mère. Elle l’encourage à la ruiner, puisque c’est la règle du jeu. Et il finit par y arriver. Rincée, vidée, la mère-grand, plus une thune. Content, le gamin. Il a compris la première leçon : quand on fait ce qu’il faut pour y arriver, c’est bonheur. Alors la grand-mère dégaine la seconde leçon.
« Aussi riche que tu sois, à la fin de la partie tu remets tout dans la boîte. »
La seule chose que l’on peut garder, c’est le plaisir d’avoir joué. Et même ça, cela se partage sans qu’on en perde une miette.

En temps de campagne électorale, quand certains promettent de garder tout et d’autres de partager plus, chacun peut se situer dans l’histoire du Monopoly et voter en conscience.

De la peur à l’envie

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 13 mars, 2012

Chaque parution de sondage me laisse un drôle de goût d’autodépréciation. Me demandant pourquoi les sondés réagissent aussi stupidement aux âneries et méchancetés que profère le duo de candidats déjà présenté comme final, je me flagelle sans concession : penser que les Français sont des veaux, c’est pas chrétien. Même s’il y a de bonnes raisons.
En effet, chez nous tout le monde se plaint d’un pays où rien ne va, d’un foutoir écologique, économique et social sans précédent, d’une proportion jusqu’ici inconnue de profiteurs du haut comme du bas, d’une classe politique aussi corrompue qu’incompétente et menteuse, et pourtant, tout le monde se dit prêt à voter pour que rien ne change à quelques détails cosmétiques près. Et il suffit qu’un candidat défouraille une proposition ou une petite phrase bien juteuse pour que chacun y morde, et les courbes des sondages de s’inverser. Les veaux !
Vilain que je suis, vite mon fouet, et quelqu’un pour me confesser !

Ce bref instant passé, je peux me demander ce qui motive ces intentions de vote irrationnelles. Sans rien inventer à la psychologie humaine, j’ai l’impression que deux causes tiennent la corde : la peur et l’envie. Peur de perdre le peu qu’on a bien sûr, et envie d’avoir un peu plus. Facile.
Mais cette peur et cette envie ne nous habitent-elle pas même hors période électorale ? Sans doute. Et j’ai l’impression que les sondages en révèlent d’autres.

La peur de la responsabilité, par exemple. Se dire qu’on est un peu pour quelque chose dans l’état du monde et surtout dans l’état de nos vies, eh bien ça fait peur. Très peur. Tellement qu’il vaut mieux y superposer une peur plus supportable. Celle de l’autre, quel qu’il soit. Notre insupportable responsabilité dans l’état du bordel ambiant, nous allons donc l’appeler « art de vivre », « tradition », voire « culture », et tout aussi naturellement accuser « l’autre » (l’étranger, le migrant, voire le voisin indélicat) de venir la mettre en danger avec ses propres « art de vivre », « tradition », et « culture ». C’est légitime, et cela masque très bien la responsabilité. Artifice applicable par exemple à la façon dont nous tuons les bêtes qui finissent dans notre assiette. À la façon dont nous envisageons le sexe en toute circonstance sans pour autant admettre que c’est un point cardinal de nos existences désirantes, la façon dont nous le justifions (procréation ?), l’encadrons (mariage ?), le codifions (séduction ?), voire l’interdisons (âge légal ?). A la façon dont nous autorisons l’expression de nos convictions religieuses (je n’en ai aucune, mais on m’imposera forcément le respect intégral de l’une et le mépris des outrances de l’autre). Et à bien d’autres thèmes quotidiens allant du port de la barbe à celui d’un bout de tissu. Toute différence nous fait peur car elle nous met en danger face aux incohérences de nos propres convictions. C’est tellement plus confortable de continuer à faire comme on a toujours fait (toujours ? mais non, les temps changent, sauf que de l’intérieur on le voit mal) entre gens qui font pareil et se reconnaissent dans leur détestation de ceux qui font autrement.

Quant à l’envie qui nous tenaille… Nous pourrions l’appeler désir de justice, mais il ne s’agit que de revanche, voire de vengeance, et toujours d’aveuglement. Prendre enfin à ceux qui nous exploite, pour éviter de faire face à nos consentements d’exploités. Faire rendre gorge aux profiteurs, surtout parce que nous avons laissé se développer le système dont ils profitent. Un footballeur professionnel n’est riche que parce que, d’une manière ou d’une autre, nous contribuons au fait qu’il soit rentable de le payer autant. Pareil pour les stars de la télé, de la réalité ou d’Internet. Notre pays n’est un eldorado pour ceux qui fuient le tiers-monde uniquement parce que le prix de notre cacao ou de notre café cultivés là-bas ne permettrait même pas de faire pousser du chiendent chez nous. Enchaînez les exemples, vous y verrez toujours une trace de responsabilité personnelle, à moins d’être un écolo freak caché dans un tonneau.
N’avons nous pas un peu envie de prendre à ceux qui ont plus, tout en exigeant que d’autres continuent d’avoir moins pour ne pas être le trou du cul du monde ? N’avons-nous pas peur de nos vilaines envies ?
Aucun veau, heureusement, ne doit faire face à de tels dilemmes. Sondés, Français, rassurez-vous : nos peurs et nos envies nous classent loin au-dessus du ruminant.

Maintenant, faisons-nous un peu plaisir, et intéressons-nous, le temps d’une campagne, aux idées qui pourraient vraiment nous aider à ne plus avoir peur de nos envies.

eva-joly

 

Et d’autres, sans doute…

L’invention du pôle ouest

Posted in Textes par Laurent Gidon sur 8 mars, 2012

Avant d’aller plus loin il faut que vous preniez conscience – comme j’ai pu le faire moi-même – d’une injustice terrible : sur les quatre points cardinaux, deux seulement ont été dotés d’un pôle. Cela n’a l’air de rien, mais imaginez si, considérant les deux genres qui composent l’humanité, tout le monde s’accordait à dire qu’un seul avait une âme ? Il faudrait certes s’attacher à définir l’âme ou chercher le mot pôle dans un dictionnaire, mais le sentiment d’injustice demeurerait.
C’est donc dans l’intention de redresser cette iniquité que je me suis mis en quête du pôle ouest. Pourquoi celui-ci plutôt que l’autre ? Le simple fait de poser la question valide l’objet de ma recherche et je vous en remercie.
J’ai commencé par chercher dans ma chambre. D’un point de vue dynamique, un pôle est le point à l’aplomb duquel on change de direction, un peu comme un centre : j’avance vers le centre de quoi que ce soit jusqu’au moment où je le dépasse et commence à m’en éloigner. Je marche en direction du Nord jusqu’au pôle nord à partir duquel, si je continue ne serait-ce que d’un pas, je redescends vers le Sud. D’où la devinette classique : dans un chalet dont toutes les fenêtres donnent au Sud, si un ours frappe à la porte, quelle est la couleur de l’ours ? Vous avez trouvé, je n’insiste pas. Appliqué à ma chambre, c’est très facile. Son pôle ouest est bien entendu le point limite au-delà duquel, si je marche vers l’Ouest, je sors de ma chambre. En l’occurrence, il se situe légèrement à gauche du pied de la lampe, dans cet espace sans affectation où il m’arrive de jeter mes chaussettes lorsque je me couche dans le noir pour ne pas réveiller mon épouse. Fort de cette vérification in situ, je me suis ensuite fait un devoir et une joie de déterminer le pôle ouest de mon village, puis du canton, du département, et enfin du pays dont je m’enorgueillis d’être citoyen. Rien de surprenant, le pôle ouest de la France métropolitaine est bien l’île d’Ouessant qui se projette quelques encablures au-delà du cinquième degré de longitude. Une brasse de mer plus à l’Ouest, ce n’est plus la France.
N’ayant pas conduit ces vérifications primordiales dans le but d’égayer le chat du voisin qui suit partout mes déambulations géographiques, il a bien fallu que je publie mes résultats. Un bref article dans le bulletin municipal, pour commencer et annoncer que je poursuivais mes recherches jusqu’à découvrir le pôle ouest, non de l’espace Schengen, ni même de l’Europe des vingt-sept, mais bien de la Terre entière. Ce que je fis, avec une conscience dont je m’honore, puisqu’il m’a fallu intégrer la notion d’altitude à celle de longitude. En effet, il m’est apparu qu’une surface sphérique devait disposer d’un point saillant particulier pour que l’on puisse affirmer qu’en marchant vers l’Ouest, à partir de ce point et de ce point seulement, on commençait à redescendre vers l’Est. Une montagne ne suffit pas, encore que le Kilimandjaro m’ait intéressé un instant. Il y faut une élévation globale de la croûte terrestre conduisant à une sorte de sommet absolu entre l’Est et l’Ouest, quelque chose comme un Yalta de la tectonique. J’en étais à étudier les façons de me procurer les relevés satellite des altitudes relatives de chaque région équatoriale lorsque la maréchaussée est venue interrompre mes travaux.
Une plainte avait été déposée et un juge avait décidé une mise sous écrou préventive pour atteinte à la sécurité d’autrui. Les faits sont là : l’institution judiciaire m’interdisait d’aller plus loin sans se rendre compte du caractère éminemment justifiant de son action désespérée. Je devais m’être dangereusement approché du pôle ouest, découverte révolutionnaire qui aurait fait pivoter l’axe de la Terre d’un quart de tour, et surtout fait vaciller toutes les certitudes sur lesquelles s’appuient les puissants pour mieux nous maintenir sous leur coupe.

Nop, encore un peu plus à l'Ouest...

Être là

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 6 mars, 2012
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Chaque fois que j’écoute Jean-Luc Mélanchon, je traverse une crise de conscience. Ce monsieur m’enthousiasme et m’agace tout à la fois. M’agace parce qu’il m’enthousiasme.
Je veux voter pour une femme, je veux voter pour Eva Joly, je veux voter pour son programme et ses convictions tout autant que pour sa personne… et Mélanchon vient bousculer cette belle assurance.
Il m’agace parce que sa façon d’avoir raison sur bien des points, son espoir que rien n’est perdu, sa volonté d’aller au rapport de force pour écouter et convaincre, se heurtent chez moi à ses réflexes d’accusateur démagogique. Contre la presse et les médias, par exemple : quand on a aussi fermement raison, pas besoin de geindre et pourfendre en toute occasion ceux qui ne vous donnent pas la parole ou vous tendent leur micro comme un crachoir. Pas un billet de son blog qui n’en fasse l’étalage, jusqu’à devenir une rubrique vidéo récurrente. Un peu de hauteur : il y a d’autres combats que l’assainissement des médias, sauf à vouloir se mettre dans la poche les râleurs que tout irrite au présent.
Donc, l’effet Mélanchon. Hier soir encore, en le voyant à la télé, j’adhérais à ses démonstrations, déplorais ses attaques systématiques contre les journalistes présents ou absents, et m’agaçais d’hésiter entre Eva et lui. Un petit tour sur l’excellent outil Voxe permet de comparer les programme point par point. Bien malin celui qui saura trancher et dire quelles sont les propositions les plus saines pour la France de demain, voire de plus tard.

Et puis l’agacement se tasse. Vote de conviction ? Oui, plus que jamais. Vote utile ? Oui, encore plus, puisqu’il n’y a rien de plus utile que de rafraîchir ses convictions et de les exprimer jusqu’au bout. Vote Mélanchon ou Joly ? Qu’importe, finalement ! Je serai fidèle à ce que je pense, dans l’isoloir et après.
Car ce qui compte, ce n’est pas tant de voter bien, d’être sûr, d’être convaincu. Ce qui compte, c’est d’être là, après, pour continuer d’agir selon ces convictions qui auront eu brièvement la parole. Comme sont là mes amis et voisins qui bêchent leur jardin, réduisent naturellement leur empreinte carbone, s’informent et agissent pour un meilleur environnement local, mais aussi pour plus de fraternité, d’entraide, de sourires. Comme Étienne et Françoise par exemple, dont pas un geste ni un mot ne semble contredire les convictions.
Quel que soit le candidat qui deviendra président, qu’il sache bien que des Françoise et des Étienne seront là malgré tout, pour vivre droit, partager un peu d’espoir et de bonheur sans s’émouvoir de leurs discours ou de leurs combats passagers.
Ce ne sont pas des promesses électorales. J’y serai aussi.