Comme ça s'écrit…


En ce moment

Posted in Textes,Vittérature par Laurent Gidon sur 19 mars, 2022
Des Russes (Irina Moiseeva et Andrej Minenkov)

De la période pendant laquelle j’ai hanté les patinoires, autant pour assister à des compétitions que pour y participer, j’ai conservé une certaine tendresse pour l’hymne soviétique.
la Guerre Froide se rafraîchissait, c’était la fin de la détente. L’Américain roulait des mécaniques, tout juste extirpé du Vietnam. Le soviétique représentait dans nos contrées le mal absolu, la menace absolue, la peur absolue.
Pourtant, sur la glace, les couples Moiseeva-Minenkov, puis Bestemianova-Bukin, représentaient eux la grâce absolue. En bon Français j’aurais dû les haïr.
Je l’admets, j’étais amoureux d’Irina Moiseeva, pourtant de 10 ans mon aînée. Je l’admirais depuis la barrière pendant les entraînements et la croisais parfois dans les couloirs.
Elle était russe, moi pas, et la dissuasion nucléaire nous séparait plus que l’âge et la langue. J’avais bien conscience que le sport avait une valeur politique, mais la beauté, la beauté !

Il m’en reste cette admiration éperdue, tellement plus forte que la peur du parapluie nucléaire, ainsi que l’émotion de l’hymne soviétique chaque fois que ces Russes gagnaient.

En ce moment encore, je ne parviens pas à les haïr.
En ce moment…

Dernier printemps

En ce moment la fracture rouverte entre amis et ennemis
En ce moment la même Histoire pour justifier le bruit de bois sec des membres sous les chenilles des chars
En ce moment les certitudes à sous-munitions
En ce moment l’évaluation des vies perdues, des territoires gagnés, comptabilité des pouvoirs, cimetière des sentiments
En ce moment le cri ignorant du pourquoi
En ce moment l’éclat d’obus dans la chair, mais rien dans les consciences, intouchables
En ce moment les bobards érigés en programme
En ce moment les racines, les troncs, les branches et les bourgeons au lance-flamme
En ce moment j’avoue l’envie venant de vidanger à vide
En ce moment le tourbillon ferreux du centre de la Terre, placide, pas même dévié par notre acupuncture
En ce moment le temps bientôt vacant

D’autre Russes (Natalia Bestemianova, Andrei Bukin)

Les « Toujours Plus »

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 4 mars, 2022
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La force ne se donne jamais tort : quand son usage échoue, on croit toujours qu’avec un peu plus de force on aurait réussi. Alors on recommence, plus fort, et on perd encore, avec un peu plus de dégâts. La force ne comprend jamais rien, et ceux qui en on usé contemplent leur échec avec mélancolie, ils rêvent d’y revenir.

Alexis Jenni – L’Art français de la guerre ; Gallimard, 2011

Toujours plus d’armes à démonter et recycler

D’une manière plus générale, face à la persistance d’un problème nous avons au moins deux attitudes possibles : renforcer l’action entreprise en espérant qu’y mettre plus de moyens rendra efficace ce qui pour l’instant n’a pas marché, ou bien chercher autre chose.

L’idée du toujours plus est confortable.
On sait quoi faire, on sait comment, on s’interroge seulement sur le combien.
C’est normal : depuis un moment déjà on maîtrise les compétences et les moyens qui nous semblent adaptés, il n’y a plus qu’à augmenter la dose.
S’y ajoute l’impression donnée au public d’un héroïsme du sacrifice : oui, ce sera dur et coûteux, mais il faut s’y résoudre et moi, votre chef, je serai le premier à en souffrir. Un pur héro pour temps de crise !
En termes politiques, c’est sans risque, une vraie martingale.
Il serait dommage de s’en priver en pleine campagne électorale

Voilà pourquoi, je pense, notre actuel président nous a allocutés sur les deux thèmes du renforcement de l’indépendance européenne et de l’accroissement de nos moyens de défense militaire.
Cela paraît tellement évident, et c’est tellement stupide dès qu’on s’y penche un peu.

Renforcer l’indépendance de l’Europe, alors que c’est justement l’interdépendance qui nous permet d’avoir plus à perdre qu’à gagner dans le déclenchement de conflits ?
Cela n’a pas marché, cela ne marchera pas mieux.

Renforcer nos défenses militaires alors que c’est d’avoir des armes à notre disposition qui nous empêche de traiter les menaces d’une autre manière ?
Les menaces sont toujours plus fortes et les armes toujours moins efficaces pour y faire face.

Le vrai courage, le vrai risque à prendre, serait de chercher des solutions de coopérations vraiment gagnantes pour tous, conduisant à ne plus avoir d’ennemis et à rendre inutiles les limites factices que nous traçons au sol pour nous planquer derrière.
Bref, par une prudence bien comprise, le courage de quitter notre zone de confort mortifère.

Monsieur le Président, en martelant ainsi des idées à l’encontre du bon sens et du résultat recherché vous savez bien que vous empêchez les Français de penser vraiment, et que vous serez donc réélu.
À vaincre sans péril on triomphe sans gloire… mais on triomphe : bravo, bien joué !
Vous savez aussi que, loin de résoudre les problèmes actuels vous allez accroître les problèmes à venir.
Et vous savez encore que face à ces problèmes futurs votre costume de héro est déjà tout taillé. Quelle prévoyance !
Si j’avais une question à vous poser, ce serait celle-ci : croyez-vous vraiment que personne ne voit la manœuvre et ne vous en demandera des comptes ?

Est-ce un hasard si je lis en ce moment Une Sortie honorable, de Eric Vuillard ?