Comme ça s'écrit…


Ta mère l’argent

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 12 janvier, 2024

Une petite phrase croisée dans un ouvrage sur la gestion des émotions (habilement titré Gérer ses émotions, par Olivier Nunge et Simonne Mortera) a éveillé une réflexion que j’ai envie de partager ici.
La phrase : « La vie commence par un deuil, celui de l’utérus de notre mère où nous étions logés, nourris, au chaud, protégés. »
Ma réflexion : et si notre relation à l’argent était le signe que nous avons mal terminé ce processus de deuil ?
L’argent, par ses entrées régulières – les revenus – et par son accumulation – l’épargne – reconstitue l’utérus perdu, ce coussin protecteur dont la perte nous a laissés inconsolables.
En bonne mère, l’argent nous donne un toit, de la nourriture, nous protège du froid dedans et dehors, nous sécurise face à l’avenir…

À se demander si les milliardaires et tous ceux qui accumulent le fric sous tant de prétextes (mérite, pouvoir…) ne seraient pas les plus perdus de tous les enfants, en quête perpétuelle du plus gros, du plus solide, du plus protecteur des utérus disponibles.
Sous leurs airs dominateurs et leurs discours vainqueurs, seulement de la peur et un grand cri muet : MAMAAAAN !
Mais l’argent est une mère fictive qui peut s’évaporer d’un claquement de doigts.
Et, comme toutes les mères, l’argent ne protège ni des tempêtes, ni de la foudre, ni des bombes, et encore moins de la folie des hommes. L’argent peut même provoquer cette folie, l’attiser, l’attirer.
En 2024 comme avant, je veille donc à prendre l’argent pour ce qu’il peut apporter – une énergie de circulation et d’échanges – et non pour ce qu’il n’est pas : un doudou maternel de substitution.

On m’a prêté Minuit dans la Ville des songes, de René Frégni, que je lis donc avec plaisir mais sans avoir pu contribuer aux revenus de son auteur, désolé.

L’année d’avant l’année dernière

Posted in Textes par Laurent Gidon sur 4 janvier, 2024

Un scandale chassant l’autre, qui se souvient en ce début 2024 de ce que fut la fin 2021, bien encrassée au pass sanitaire ? Il est donc temps pour moi de ressortir la petite histoire troussée pour saluer l’entrée en piste de 2022.

C’était il y a deux ans seulement. L’Ukraine vivait en paix, les Iraniennes allaient voilées, on croyait encore que les Talibans, mais non, quant aux Palestiniens et aux Israéliens… Bref, bonne année à tous, et replongeons-nous dans l’an tépénultième.

Voilà que ça n’avance plus : la fin de 2021 est toute grippée, le calendrier ralentit, du sable plein les rouages.

Au Ministère du Temps qui passe, on s’arc-boute. Avec un peu d’effort sur les leviers usuels, on pense pouvoir relancer la machine avant que le grand public ne s’aperçoive que tout est coincé. En fait les gens du peuple sont au courant, mais on ne voudrait surtout pas qu’ils s’habituent trop à ce temps alangui. Ce ne sont quand même pas des vacances, juste une période d’impuissance.

Le Ministère des Défis et Challenges fait déjà la grimace devant la baisse de motivation dans la start-up nation. « Trouvez un truc, quoi ! » Il faudrait au moins pousser les curseurs jusqu’à Noël. Les spécialistes pensent l’exploit jouable, mais après… On n’ira pas plus loin. En tout cas, pas tous. Il sera nécessaire de trier. Et donc définir un critère de tri entre ceux qui passent et ceux qui restent.

Au Ministère des Solutions Arbitraires, quelques technocrevures commencent à caresser l’idée d’un pass pour accéder à 2022. L’idée n’est pas neuve, et d’ailleurs le Ministère des Idées Neuves demande des droits d’auteur. Au Ministère des Mots Passant on fait valoir que le mot de pass pour 2022 va se faire hacker et que l’Humanité entière risque de s’engouffrer en fraude dans une année déjà bloquée. Engorgement à prévoir, toute la misère du monde dans l’entonnoir. Le Ministère des Entonnoirs dépose, par réflexe, une motion de censure.

Chacun semblait devoir se renvoyer la balle sans une chance d’atteindre le but – quel est-il, déjà ? – lorsque, au Ministère des Solutions Oubliées, on eut une idée ancienne – bien lavé, c’est comme neuf – ainsi formulée : « Il suffirait de ressortir une bonne burette de créd’huile, ce concentré de crédulité grasse et de croyances visqueuses qui a déjà bien fait ses preuves, et d’en créd’huiliser les rouages de notre beau système, hélas tout encrassé par l’accumulation de mensonges et d’exagérations. Ça n’ôtera pas la crasse, mais ça permettra quelques tours de roue supplémentaires, au moins jusqu’à 2022, sans qu’on ait besoin de tout nettoyer à fond. »

Créd’huile ! Comment n’y avait-on pas pensé plus tôt ! Tous les ministères se rangèrent comme un seul homme derrière cette solution parapluie qui leur évitait d’être éclaboussés par ce problème de temps figé.

Certes, dans les hauts lieux de pouvoir bien encrassés, chacun risquait d’être touché par quelques gouttes de créd’huile, et donc d’abandonner un peu plus de son libre arbitre et de sa pensée critique. Bah, on survivrait sans… Et comme l’efficacité de la créd’huile se complétait d’une bonne dose d’amnésie satisfaite, cet abandon de liberté se diluerait dans une béatitude confite.

Ainsi fut fait et les rouages rouillés, soudain gracieux de se sentir graissés, reprirent leur ronde grinçante dans un roulement ronronnant. Bien sûr, le bruit de ce redémarrage ferraillant rappelle à chacun que nous sommes toujours pris dans un engrenage à carnage prêt à se recoincer grimace. Mais le train du temps étant reparti, l’entrée en gare, et à l’heure, de l’année nouvelle nous donne l’impression que, si tout n’était pas plus propre, au moins on avancer encore un peu.

Noyés dans la créd’huile, on y croirait. Oui, pour le bien de tous on y croirait. Et que passe 2022 !

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Pendant que 2023 tirait à sa fin, j’ai lu Le Silence, de Dennis Lehane (traduit par François Happe) et j’y ai retrouvé la puissance qui m’avait subjugué si fort dans Un Pays à l’aube.