Comme ça s'écrit…


Fred 1 – Le Monde (entier) 0

Posted in Non classé par Laurent Gidon sur 30 janvier, 2009

Ce matin, un ami bien (très bien) intentionné m’a envoyé un texte de Fred Vargas.
Ce n’est pas d’aujourd’hui, sans doute, mais j’ai bien aimé. Pas seulement par ce qui est dit, mais aussi parce que c’est bien dit.

Nous y sommes, par Fred Vargas

Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l’incurie de l’humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d’insouciance. Nous avons chanté, dansé.

Franchement on s’est marrés.
Franchement on a bien profité.

Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu’il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.

A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières ( la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu’on ne l’a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.

On n’a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.

D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de s’amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.

Voilà. Je ne sais pas ce que vous en pensez (lisez le texte en entier, mais je trouve qu’il y a du talent, ça balance !

Un qui ne balance pas du tout en revanche, c’est le journaliste du Monde qui titre : À l’épreuve de la crise, les Vingt-Sept se réfugient dans le « chacun pour soi ».

Non, mais franchement, aucun talent. Il n’a jamais lu Vargas, ou quoi ?

M’énerve, tiens !

Où l’on approche d’Ambeliane sans sortir de la brume

Posted in Djeeb par Laurent Gidon sur 27 janvier, 2009
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À Hélène Ramdani,
et à tous ceux qui lâchent la bride à leur funambule intérieur.


I – Où l’on approche d’Ambeliane sans sortir de la brume

Il y avait dans cette brume quelque chose d’inquiétant qui venait lécher les flancs du navire. Navire, bien sûr, demeurait un bien grand mot pour cette coque de récupération sans mât ni voile, propulsée par deux pauvres rangées de dix rames inégales et rafistolées. Mais Djeeb Scoriolis y tenait. Il avait gagné l’Arbogail sur un coup de dés magistral et son nouveau statut d’armateur exigeait un navire, pas moins. De même, le mystère dont la brume voilait la route d’Ambeliane lui convenait bien : il voulait être le premier à réaliser l’exploit d’aborder le port de la cité aux mille secrets, et surtout d’en revenir. Une navigation tranquille sous un soleil serein aurait retranché bien de la valeur à sa performance, comme à la façon qu’il aurait plus tard de la narrer. Oui, il vivait et vibrait par le frisson de l’aventure, ainsi que par son talent à partager ensuite ses expériences. C’était ainsi, il était Djeeb et ne voulait rien changer à sa manière, encore moins au moment d’approcher ce qui serait, sans nul doute, le sommet de sa trajectoire audacieuse : Ambeliane ! Pourtant, à n’y rien voir dans ces eaux inconnues, le tout récent possesseur dudit navire commençait à considérer que trop d’aventure pouvait tuer l’aventure.

― Ce vilain brouillard ne me dit rien qui vaille, déclara-t-il en forme de question au capitaine.
Celui-ci ne daignant pas entrer dans la conversation, Djeeb reprit sur un ton de confidence, comme s’il voulait éviter d’effrayer les rameurs, ce qui aurait pu nuire à l’allure :

― On m’a dit que, passé la pointe d’Arfioll, s’ouvrait le territoire des monstres marins. Cela en soi incite à la prudence. Mais avec cette brume par-dessus, alors… Ne dirait-on pas l’haleine d’un dragon, ou pire ?

Le capitaine Salingast leva les yeux au ciel. Il n’était qu’employé. Les propriétaires de l’Arbogail se succédaient au gré des ventes, saisies, ou défaillances, et ce n’était pas toujours pour le mieux. Le rafiot passait de main en main comme un paquet d’espoirs déçus ; aucun des armateurs ne s’y était attaché durablement. Pas assez en tout cas pour intégrer les rudiments d’art maritime. Ce Djeeb, drapé dans un costume voyant et mal adapté aux conditions de mer, ne dérogeait pas à la règle. Il eut fallu un œil plus exercé que celui de Salingast, vieux et usé par le sel, pour discerner dans l’attitude volontiers grotesque du patron et unique passager les signes fugaces de facultés hors du commun. Et puis, il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut voir. Le capitaine, se complaisant dans sa supériorité d’homme de l’art sur ce faquin ridicule, ne comptait pas lui découvrir des qualités bien cachées. Et donc, s’il ne voulait pas perdre son temps à faire l’éducation d’imbéciles de passage en exposant sa conception de la réalité maritime, conception rabotée et soigneusement polie par des années d’expérience, il devait se limiter aux observations factuelles.

― Nous avons passé la pointe d’Arfoïll voilà trois jours. Rien ne s’est produit.
Bien sûr, Salingast ne décela pas l’éclair de malice dans l’œil de Djeeb quand il lui répondit.

― Arfoïll dites-vous, et non Arfioll ? Ah, très bien, j’aurais mal entendu… Oui, trois jours et pas une rencontre désagréable. Nous avons dû avoir de la chance, non ?

Le silence prolongé du capitaine voulait signifier combien, dans sa pratique des monstres marins et de toutes choses issues de l’onde, la chance avait peu de place. Mais Djeeb ne sut apparemment pas saisir la nuance de ce silence-là.

― Cela vous inquiète aussi, reprit-il d’un air entendu.
Il n’avait pris possession de l’Arbogail que depuis cinq jours. Jours tranquilles pendant lesquels il n’avait guère quitté la cabine de soute coincée derrière l’étrave. Salingast avait apprécié de ne pas l’avoir dans les pattes, tant ce rampant précieux ne donnait aucun signe de compétence en matière de navigation. Il s’était à peine présenté comme un esthète épris d’aventure, et rien dans sa tenue ou son comportement n’était venu démentir cette brève introduction. Malgré sa taille honnête, sa seconde jeunesse encore ferme et son allure vigoureuse, ce Djeeb se laissait vivre sans paraître incommodé de n’être utile à rien. Une fois monté à bord, le nouveau propriétaire avait tout juste passé l’équipage en revue, puis exprimé le désir de cingler vers Ambeliane par la route la plus directe.

Ambeliane, rien que ça ! Que pouvait-il avoir à faire dans cette cité close ? Il devait bien y avoir une raison, ou alors le goût de l’aventure dont se targuait le personnage dépassait la simple pose et entrait dans la catégorie des folies furieuses. Personne d’étranger à Ambeliane n’allait jamais là-bas, et de toute façon personne n’en était jamais revenu pour raconter de première main ce qui pouvait s’y voir. Tout ce qu’on savait du port et de la ville haute se limitait aux rares indiscrétions des marins ambelians. Eux seuls, coureurs des mers versés dans tous les trafics, osaient affronter les légendes qui entouraient leur patrie, sa justice réputée intraitable, ainsi que ses défenses naturelles, peut-être plus redoutables encore. Quelques vieux codes de marine en décrivaient parfois les secrets en termes abscons qui amplifiaient encore le mythe. Devancés d’une telle réputation, Ambeliane et ses fins navires régnaient sur le commerce maritime du monde connu, fixant les cours, préemptant les cargaisons, diligentant des caravanes jusque dans les confins intérieurs pour y rafler les plus secrètes denrées et ne laissant que des miettes aux caboteurs locaux. La cité retirée drainait vers elle des richesses impossibles à évaluer, mais comme tout l’arc côtier comptait sur l’efficacité de ses marins pour activer et protéger les échanges entre états, principautés et comptoirs, personne n’y trouvait à redire.

Depuis quelques minutes, le rythme des claquements de fouet sur le dos des rameurs s’était ralenti. Le clapotis des pelles giflant la surface d’une mer d’huile perdait en énergie. Dans ce brouillard d’une rare densité, les sons parvenaient avec une présence extrême. Le cri d’un oiseau, peut-être distant de plusieurs miles, semblait frôler le moignon du mât. Quand se fit entendre un friselis d’eau, soulevé quelque part sur la droite, Djeeb sentit distinctement le frisson de l’aventure se frayer enfin un chemin le long de sa colonne vertébrale.

L’instant d’après, un frottement long caressa l’avant de la coque.
― Ha ! s’exclama Djeeb, un doit levé comme pour rappeler au capitaine qu’il l’avait bien dit.

Mais Salingast n’était déjà plus à ses côtés. Incliné au-dessus du bastingage, il reculait en suivant des yeux quelque espar flottant dans l’eau. Il attrapa au passage une gaffe dépassant du râtelier. Arrivé à la poupe, il se pencha presque jusqu’à basculer, et réussit à crocheter ce qui filait vers l’arrière. Petit, râblé et dense en muscles comme en influx nerveux, le capitaine passait pour une force de la nature. Ses efforts à remonter son fardeau furent pourtant longs et pénibles.

Djeeb observait de loin. Sa confiance dans la nature du monde s’arrêtait à la surface des eaux. Ce qui grouillait en-dessous, ma foi, mieux valait s’en tenir à distance. Dans les mouvements pénibles du capitaine, il lisait un combat acharné contre le rejeton bagarreur de quelque entité des profondeurs. Écailles et dents pointues ou tentacules visqueux, rien d’élégant ne pouvait en sortir. Aussi préféra-t-il se tenir à distance, de peur de froisser son sens esthétique. En de pareilles situations, il avait toujours dû son salut à la compétence d’hommes d’action frustes tels que Salingast et savait maintenir son élégance et sa distance. Il n’était pas peureux, mais prudent. Si d’aventure quelqu’un d’assez costaud s’avisait même de le traiter de couard, il n’aurait pas eu un mot ou un geste pour le contredire, tant qu’il ne s’agissait que de paroles. Djeeb Scoriolis menait ainsi ouvertement sa vie, et jusqu’ici, cela ne s’était pas trop mal passé.

Pour le capitaine aussi, tout semblait s’arranger. Il réussit enfin à faire basculer sur le plateau de poupe un lourd amas d’algues dont s’échappaient quelques crabes, un nœud d’anguilles coléreuses et les doigts déjà grignotés d’une main droite.

― Nous approchons d’Ambeliane, se contenta de remarquer l’homme de l’art.

Sous les algues en effet, Djeeb put voir dépasser les cornières de rotin tressé d’un casier renfermant le bras qui prolongeait la main. Il ne savait pas encore, bien sûr, que les Cours de Justice d’Ambeliane s’exprimaient parfois ainsi ou de bien d’autres façons à l’encontre des maraudeurs des mers ou des visiteurs indélicats. Mais il pourrait bientôt l’apprendre, si toutefois l’Arbogail parvenait jusqu’au port de la cité.

…/…

Voilà.

Le début du premier chapitre de Djeeb le Chanceur, juste pour annoncer discrètement que ce « roman d’aventures extraordinaires » semble avoir trouvé son éditeur. Happy me, happy Djeeb.

Un rêve de Sans Façon

Posted in Non classé par Laurent Gidon sur 21 janvier, 2009
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Je vais vous raconter une histoire. Celle de ce vieux naturaliste un peu toqué qui part à la recherche des mythiques oiseaux blancs d’Amerzone.

La légende veut que ces oiseaux sans patte mais aux ailes géantes passent leur vie en l’air sans jamais toucher terre. Ils volent sans trêve, s’aiment à tire d’aile – les parents se passant l’œuf pour le couver sans jamais le déposer dans aucun nid – et meurent même en plein azur. Après chaque décès, le corps est alors conduit du bout des ailes au-dessus d’un volcan où des générations de dépouilles de leurs semblables profitent des courants chauds nés de la lave et tournent pour l’éternité.

Plus personne en Amerzone ne croit à cette légende. Le pays est livré à la guerre civile, chaque coup d’état remplaçant une dictature sanglante par une autre. Seulement voilà, le naturaliste sent sa fin prochaine et veut finir sur un coup d’éclat : être le premier à ramener des images des oiseaux blancs. Il monte une expédition de bric et de broc et part dans la jungle, poursuivi par quelques sbires du pouvoir en place comptant bien lui voler sa découverte, si découverte il y a.

Je vous passe les péripéties, trahisons et chausse-trappes. Juste avant de mourir et presque par hasard, le vieil homme trouve enfin le repère des oiseaux blancs. Encore plus beaux que dans la légende, ils planent sans fin et ouvrent sur le monde de grands yeux désolés.

Le vieux savant mort, l’expédition se débande. Mais avant de quitter le sanctuaires, une jeune fille perdue et un détective étranger rendent un dernier hommage au naturaliste dont ils fixent le cadavre à un delta-plane de fortune avant de l’envoyer planer vers les oiseaux blancs. Ceux-ci le reconnaissent peut-être comme l’un des leurs et le guident jusqu’au cimetière volant où il tourne peut-être encore.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Il faut encore que les survivants redescendent vers la civilisation.
La jeune Carmen, fille d’un opposant notoire, est recherchée par la junte militaire. Le détective étranger propose de l’emmener avec lui vers la démocratie. «La démocratie ? Qu’est-ce que c’est ?» lui demande-t-elle. «C’est… pour plus tard» répond le disciple de Mike Hammer dans une des fulgurances que ces hommes de l’art ont parfois. Mais à la frontière, de patibulaires soldats veillent. Il laissent passer le détective, et retiennent l’appétissante jeunette. Alors que la pluie noie ses larmes et que les hommes en armes lui détaillent les plaisirs qu’ils vont lui faire subir, elle rêve encore un peu aux oiseaux blancs. «Les oiseaux blancs, c’est rien que des histoires pour faire rêver les enfants d’Amerzone.»

Pourquoi je vous raconte tout ça, sans façon ? Parce que cette histoire reste une des plus belles qu’il m’ait été donné de lire (dans «L’Amerzone», un enquête de l’inspecteur Canardo, par Sokal).

Mais aussi parce qu’elle me semble représenter l’idée que je me fais de la Science-Fiction. On peut y mettre tout ce qu’il y a de plus noir en l’homme. Mais à une condition : ne pas tuer l’espoir. La SF demeure pour moi le dernier endroit où rêver d’oiseaux blancs, même si l’on sait que l’homme trouve chaque jour de nouvelles façons de leur briser les ailes. Plus le pire paraît certain, plus ils faut se donner de mal à inventer le meilleur.
Comme l’écrivait Joë Bousquet, le poète immobile : «L’écrivain qui cherche à faire désespérer l’homme de lui-même est un médiocre et un salaud.»

Tout ça pour dire qu’un nouvel appel à textes de SF est paru, sous l’égide de La Volte et de la Ligue des Droits de l’Homme.
Le thème : « Nouvelles technologies et atteintes à l’humain. »
Je cite une partie du libellé : « L’objectif de ce recueil est donc de montrer, au travers d’histoires courtes et imaginaires, l’évolution actuelle de notre société vers un contrôle accru sous la pression de ces technologies diffuses. »
Allons-y, sortons notre plume, terrassons le dragon, mais n’oublions pas de faire rêver les enfants d’Amerzone.

Un an d’Aria

Posted in Promo par Laurent Gidon sur 19 janvier, 2009
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Joyeux zanniv’, mon livre à moi !

Voilà, ça y ‘est, aujourd’hui ça fait un an tout chaud que « Aria des Brumes » est à votre disposition dans les rayons des librairies.

Si j’avais eu les chiffres de vente, j’aurais pu vous dire combien d’entre vous je dois remercier individuellement et bisoutivement.

Tout ce que je peux dire, c’est que ça a été d’abord un beau rêve, puis une belle aventure, et que je resigne pour un an quand vous voulez. Un an de salons genre Imaginales ou Esperluette, un an de dédicaces genre Auchan ou Decitre, un an à en parler à la radio quand on me demande, ou à répondre aux interviews sur ternet, un an à en discuter avec ceux qui l’on lu et qui m’en disent des trucs.

Un an, c’est bien. Faut que ça continue…

Gâteau, bougies, bisous, et les chars qui sortent de Gaza : c’est cadeau, merci !

ariacoucdef

Subjectif Gaza

Posted in Non classé par Laurent Gidon sur 16 janvier, 2009
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Je me suis réveillé en plein rêve, et c’était un cauchemar. Je vais essayer de vous raconter ce que j’ai ressenti : ce rêve n’a aucune portée morale, il ne symbolise rien, n’accuse pas. Mais il m’habite encore.

Je courais dans un dédale de couloirs bien propres. Je courais parce que j’avais peur. Mais courir ne servait à rien : ce dont j’avais peur était partout. Je courais quand même, peut-être pour résister à la panique qui m’aurait cloué au sol. Je n’étais pas seul, d’autres couraient derrière moi.
Et soudain il y a eu un éclair blanc, dilaté comme peuvent l’être les éclairs dans les rêves. Pendant cette boursouflure du temps, j’ai pu éprouver toutes les émotions générées par cet éclair, superposées.
L’angoisse finale qui m’a étouffé en réalisant que tout allait s’arrêter, ma vie, le monde, tout.
L’injustice d’être le premier face à l’éclair, alors que les autres, derrière, seraient peut-être protégés (c’est moche d’avoir pensé ça, mais je dis tout, alors…).
La douleur d’une lame de feu qui m’a entamé la chair.
Les hurlements des autres, atteints eux aussi, tronçonnés, explosés, éparpillés.
L’impression que l’air devenu brûlant se ruait dans ma gorge, mes poumons, cramait tout dedans.
La tristesse de sentir que tout cela ne serait pas réparable, que mon corps était fichu, un sentiment de perte définitive.
Et la douleur, la douleur, la douleur, non plus comme une information physique, mais comme un embrasement qui s’installe et occupe tout.

Quand je me suis réveillé, j’ai immédiatement relié la présence de ce rêve à un article lu hier sur la guerre à Gaza. D’après des chirurgiens européens en poste humanitaire dans un hôpital de la ville, un nouveau type de blessure est apparu. Ils n’avaient jamais vu des corps ainsi coupés en deux, de membres, surtout des jambes, amputés et brûlés en même temps. Ils évoquent la possibilité d’armes nouvelles, d’origine américaine, testées pendant ces attaques.

Je ne sais pas quoi en penser. Je me demande s’il faut penser, ou seulement supplier que cela s’arrête.

On ne peut pas regarder ce qui se passe à gaza de manière objective. Cela ne servirait à rien. Compter des morts et des blessés ? Pourquoi ? Chercher des responsabilités, exiger plus de justice ? C’est n’importe quoi.
Je demande que tout ceux qui y réfléchissent commencent par un peu de subjectivité. Sentez-vous sujet de ces actes en cours. Sujet palestinien, terroriste ou non, qui vit dans la peur et sent le piège se refermer avant d’exploser en douleur. Sujet israélien qui court à côté de son char, craint pour sa vie, tire sur tout ce qui bouge, espère pouvoir vivre encore un peu après ça. Tentez d’éprouver toutes ces peurs, toutes ces douleurs, et puis essayez de justifier ça, d’un bord comme de l’autre.

On va me dire que c’est un peu facile de faire vibrer la corde sensible. Qu’il faut penser autrement pour pouvoir penser juste.
Non, ce qui est facile, c’est de ne rien ressentir pour compter en paix.

La modestie me va comme un nez rouge au pape

Posted in Non classé par Laurent Gidon sur 9 janvier, 2009
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Jamais il ne me vient à l’idée de dire à quiconque que Aria est le meilleur bouquin de SF jamais paru, et qu’il ne sera surpassé que par sa suite lorsqu’elle sortira (mon beau Navire…) ; ni que Djeeb le Chanceur introduit enfin cette révolution qualitative et conceptuelle que la Fantasy attendait désespérément depuis Jack Vance, ni même que les nouvellettes que je ponds pour le plaisir partagé du pondeur et du lecteur sont ce qui se fait de mieux pour prendre son pied, juste après l’orgasme et un bon reblochon ; et encore moins que les billets de ce blog sont un must dont même Obama se régale chaque matin avant de faire la bise à Michelle et pendant que les notes de la CIA et de la NSA s’entassent sur le bureau ovale. C’est vous dire si je suis modeste.

Pourtant, s’il y a un truc qui vous polit tout propre la modestie, c’est bien de relire trois ans après les avoir écrits des textes dont vous étiez content. Surtout si les textes sont enluminés des commentaires d’un correcteur patient et abnégationniste. Trois ans, c’est long, mais je suis un grand timide et mon projet de recueil avait pris un petit coup de placard.

En ce moment donc, je prend un plaisir simple et délicat à ravauder les trames de nouvelles dont j’étais pourtant modestement fier (j’oxymore si je veux !) en 2006.
Déjà, les questions des correcteurs m’obligent à me remettre dans l’état d’esprit d’alors, pour parfois essayer de comprendre ce que j’avais bien pu vouloir écrire. Et si l’auteur est obligé de se plier à cet exercice de mémoire, c’est que ce qu’il avait écrit n’est vraiment pas clair. Sacrifiant par moment au goût de la formule, il m’était arrivé de pondre des phrases totalement injustifiables, incohérentes, et imbéciles. Mais ça se répare, ouf !
Ensuite, mes amis correcteurs pointent des tournures ou des paragraphes entiers qui me paraissent toujours clairs, mais qui manifestement ne le sont pas pour eux. Le lecteur a raison : s’il faut lui expliquer après lecture quelque chose qu’il n’a pas compris, mieux vaut clarifier dans le texte. Après, le boulot c’est de doser pour ne pas prendre non plus le lecteur pour un idiot.
Mais surtout, là où la modestie frappe fort, c’est sur ces passages que le correcteur a obligeamment acceptés tels quels, mais que vous trouvez lourds, pas drôles, boiteux… Jusqu’à cette nouvelle, pourtant déjà publiée, que j’ai envie de toute reprendre pour lui donner un style plus nerveux. Jusqu’au titre d’une autre, qui me lasse maintenant, et que j’ai envie de changer. Pas de doute, en trois ans on grandit. Modestement.

Voilà. Deux enseignements dans le billet de ce jour, prenez note :
1. On peut être fier de ce qu’on a fait, et ne pas hésiter à se remettre au travail (c’est pourquoi j’ai deux fils) ;
2. Le temps est ton ami, laisse-le passer, il travaille pour toi si tu acceptes de t’y remettre aussi.

Si j’ai défoncé quelques portes ouvertes, veuillez m’en excuser et les refermer en sortant : d’autres s’y emploieront après moi, c’est certain.

Back to the Djeeb

Posted in Djeeb par Laurent Gidon sur 5 janvier, 2009
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Il faut le reconnaître, en terme de course à l’édition Djeeb le Chanceur a pris une petite longueur d’avance sur la suite d’Aria des Brumes. Je vais donc continuer à vous en parler, avant que ce « roman d’aventures extraordinaires » trouve son éditeur et sa place sur les rayons des libraires (place dont vous vous empresserez par milliers d’aller le déloger avant de passer à la caisse, merci).

Alors voilà. Un précédent lecteur d’Aria qui a lu le début de Djeeb m’a fait remarquer que Aria était écrit très direct, droit dans l’action (ou la tchatche), alors que Djeeb est plus tortueux, avec un style plus chargé, une action très sinueuse.

C’est vrai.
La réponse « c’est fait exprès ! » n’a rien de satisfaisant, pour personne. Il a donc fallu que je réfléchisse un peu pour trouver pourquoi et comment ça s’est fait exprès. Et je crois que j’ai trouvé.
Sur Aria, ce sont les personnages qui guident l’action. Le texte est au présent, on suit donc pas-à-pas le déroulement de l’intrigue, sans pouvoir faire une pause descriptive en dehors de ce que voit tel ou tel personnage. On colle au temps de l’acteur, sans distance.
Pour Djeeb, j’ai utilisé une narration plus classique, narrateur extérieur/imparfait-passé simple. Ce qui m’a permis de m’installer tranquillement partout où j’entraînais le lecteur. Prendre le temps d’inventer un lieu à la fois crédible et étonnant (au moins pour moi). Avant d’y lancer l’action pour la laisser se développer vers un autre lieu. Et, en y repensant, c’est bien le lieu qui, tout au long du roman, génère l’action.
C’est parce que Ambeliane est isolée, protégée par une forteresse naturelle de falaises et de récifs que, d’une part ses marins ont développé leur commerce hauturier sur des compétences navales supérieures (sinon, ils seraient en train de nourrir les crabes au fond de leur rade sans avoir réussi à en sortir), et que d’autre part Djeeb a conçu le projet d’être le premier étranger à y pénétrer sans être invité (le syndrome du coffre fort, qui attire le voleur par son côté inviolable plus que par ce qu’il renferme).
De même, c’est parce que les palais Herold et Cantoris sont si différents qu’il s’y déroule des traquenards et des combats aussi divers et divergents.
Et la situation du poste de vigie imposa l’utilisation du voilair, et la relégation des ateliers derrière le Mont Lorne dicta le tunnel de lave, et… Vous avez compris. Sinon, il vous faudra tout lire, niark !
On suit donc un Djeeb fanfaron en se demandant « qu’est-ce qui se passe après ? » alors que la bonne question serait plutôt « et après, où on va ? ». Si je me souviens, bien, en cours d’écriture c’était exactement ce qui m’intéressait. Faire surgir un nouvel endroit, autant par curiosité de ce qu’il contiendrait que par envie d’y projeter l’action. Je me suis fait plaisir à imaginer des détails avant de leur donner une fonction dans l’histoire, ou pas de fonction, d’ailleurs. Pour éviter le syndrome de l’économie scénaristique. Celui qui vous fait penser, en croisant un élément incongru (disons, dans « Le monde selon Garp », le levier de vitesse qui perd sa boule) que ça va forcément ressortir plus tard, comme un lapin du chapeau. Le même principe d’économie qui vous fait dire, en voyant dans certains films un personnage apparemment secondaire joué par un acteur connu « celui-là, il va avoir un rôle important », syndrome qu’a d’ailleurs bien évité Fincher dans Seven, en ne nous montrant Kevin Spacey qu’à la fin. Dans le cas de Djeeb, tout n’a pas d’importance directe, pas mal de trucs sont là pour faire exister le décor, ou parce que ça me plaisait.

Alors on va dire « Oui, le Don Lo se fait plaisir à décrire des trucs dont on se fout, à ancrer son histoire dans un décor surchargé pour cacher qu’il n’a rien à raconter… » et à cela je répondrai que :
D’abord je ne m’arrête pas que sur les décors, mais que je m’amuse aussi sur les costumes ou la bouffe (choisir son menu est aussi important que se tirer d’une situation critique).
Que parfois il m’arrive de faire exister un élément sans perdre de temps, avec une remarquable économie de moyens (flattons-nous un peu).
Que lorsque l’action se pare d’une frénésie compréhensible, j’ai veillé à ce que le style suive et cogne.
Qu’on m’avait justement reproché dans Aria un manque d’exotisme et de spatialisation, et donc que si j’en ai mis un peu trop dans Djeeb c’est pour atteindre une honnête moyenne sur les deux romans.
Et qu’enfin personne n’est obligé de tout lire, on peut sauter des passages selon la loi dite de Pennac (Daniel, si tu passes dans le coin, note que je te remercie pour la série Malaussène, mais pas pour avoir donné l’impression qu’on pouvait écrire de bonnes histoires sans se prendre le chou, c’est pas vrai, c’est un vrai boulot).

Tenez, la prochaine fois je vous raconterai comment le lieu où j’écrivais a influé sur les lieux où se passe Djeeb. Pour aujourd’hui ça suffit.

Pour les curieux, je rappelle juste que des extraits de Djeeb sont en lecture libre sur mon Wizzz.

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