Comme ça s'écrit…


Une semaine d’arrêt (d’essais)

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 24 février, 2019

Dimanche dernier comme cadeau d’anniversaire mon fils m’a accompagné à la falaise pour faire ses premières voies en tête sur rocher : grandiose !
Grimper en t-shirt un 17 février, pas mal non, Mr Trump ?
Après… eh bien, après ont suivi quelques jours de moins bien.
Un incroyable rhume qui me cloue au lit du lundi midi au mardi soir.
Une brève rémission qui m’incite à aller grimper jeudi et là : malaise vagale, chute et front ouvert sur un caillou.
Depuis, une contracture du diaphragme (on a d’abord cru à un pneumothorax – radio -, puis à une embolie pulmonaire – scanner -, puis à un syndrome infectieux – analyses sanguines – et maintenant c’est juste pas-de-bol) qui me donne l’impression d’avoir trois côtes cassées et me renvoie dans les pommes dès que je me lève un peu vite.
Quel est le sens de tout ça ?
« Ne bouge plus ! » me semble être une bonne traduction en mots de cette injonction physique.
Est-ce tout ?

Pourtant, j’ai déjà l’impression d’être à l’arrêt.
Depuis 2010 tous les manuscrits que j’ai envoyés aux éditeurs ont été refusés. Tous.
Je n’ai donc rien publié à part quelques nouvelles. Au point que, lorsque j’ai repris l’escrime après cinq ans de pause pour cause de ménisques fissurés, les copains m’ont demandé « Et tu écris toujours ? ».

Oui, j’écris toujours. J’en suis même à mon dixième roman, bien que trois seulement aient été publiés. Dix !
Il y a Terra Concerto, suite de Aria des Brumes, écrit pendant le naufrage de mon éditeur et que j’ai envoyé à tous les publieurs d’imaginaire sans recevoir jamais la moindre réponse.
Il y a Quelque chose d’autre, roman sur la relation intime qui se noue entre trois personnages et une manifestation extraterrestre (c’était en 2012, avant Premier Contact, le film).
Il y a bien sûr L’Abri des regards et Persistance, les récits de mon extraction à chaud de la dépression et de mon lien post mortem avec mon père suicidé.
Il y a Une Face, une trace ! roman sur le ski en haute montagne et la quête de soi, plutôt destiné à de jeunes ados.
Il y a Papa va mal, polar noir qui file à toute vitesse en vingt séquences de quatre plans sans la moindre description.
Il y a Comme des riches, roman sur le déclassement social qui ferait joli dans la poche d’un Gilet Jaune.
Voilà, si vous ajoutez les deux Djeeb, cela fait bien dix romans achevés, relus, proposés aux éditeurs, refusés pour la plupart.
Sans compter bien sûr les projets avancés que j’ai foutus au tiroir après le énième refus d’un truc achevé, mais que je ressors régulièrement pour y ajouter un chapitre ou une correction.

J’écris donc toujours, avec énergie, même si je me demande quelle raison j’ai de me démener ainsi.
Écrire, oui, facile, mais être choisi, voilà la difficulté.
Avoir suffisamment de valeur aux yeux de l’autre.
Avoir été choisi une fois, deux fois, trois fois, cela ne suffit pas.
Il faut à chaque fois refaire ses preuves.
Éveiller l’intérêt d’un éditeur, vaste tâche.
Mais aussi éveiller l’intérêt de lecteurs encerclés et attaqués de toute part pour que chaque seconde de leur attention soit rentabilisée.

Ai-je l’air de me plaindre ? Peut-être… mais en fait non.
J’ai juste envie de remercier tout ce qui me permet de continuer à me consacrer à l’écriture, même sans succès. Sans être choisi de nouveau.
Le besoin de reconnaissance est toujours là, mais supplanté par le besoin de sens… qui lui est satisfait.
J’écris parce que c’est là et qu’il faut que ça sorte, sinon personne d’autre ne le dira, en tout cas pas comme ça. J’essaye, en tout cas.

Peut-être est-ce là le sens de cette semaine d’arrêt qui m’est proposée : arrêter d’essayer et simplement faire.
Une façon de lâcher-prise : accepter le réel (réalité : jusque là aucun éditeur ne m’a choisi) et continuer d’agir sur ce qui est de mon ressort (écrire). En y prenant plaisir, diantre !
Faire ce qui a du sens pour moi, même si ça n’en a pas pour d’autres, ou pas d’intérêt, ou pas assez bankable, ou juste pas vu pas pris dans la masse miroitante des informations et propositions qui nous entourent en permanence.
Bref, continuer d’être là.
Faire sans attendre d’être choisi. Faire malgré la sensation d’être rejeté.

Merci donc à la Terre entière d’être là aussi, bienveillante, pendant que je tapote au clavier sans même penser à me justifier.
Pour citer Claude Ponti :

J’ai conscience de ma chance de faire ce que j’aime, d’aimer ce que je fais.

Si, tout de même, une justification : si vous sentez l’envie de lire un des manuscrits achevés, vous n’avez n’a qu’à en faire la demande par message ci-dessous (mise à jour : on constate après une semaine qu’ici aussi tout le monde s’en fout).
Vous en recevrez par retour une version numérique, sans obligation ni contrepartie, c’est cadeau.

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Tout en cherchant le jeu de mots pourri du titre de ce billet je lisais Un Monde à portée de main, de Maylis de Kerangal.

La doctrine fantassine

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 18 février, 2019

Photo Peter Leibing

C’est quelque chose que j’ai touché du doigt en étant militaire à Berlin au 46ème régiment d’infanterie en 1988 : le fantassin sert avant tout de cible.
Bien sûr j’avais une arme, je pouvais tuer des ennemis, détruire des véhicules, voire des bâtiments. Mais surtout, je servais de cible.
Les soviétiques, cent fois plus nombreux, pouvaient nous vaincre quand ils voulaient. Mais cela aurait constitué une agression et aurait justifié une riposte, voire une escalade nucléaire.
Notre fonction de fantassins toujours en patrouille le long du Mur (voire au-delà) ne nous a jamais été décrite ainsi, pourtant elle était claire : servir de prétexte à un éventuel incident diplomatique.
La suite des opérations se serait faite sans nous, à un autre niveau.
Vous auriez d’ailleurs été sans doute tous concernés.

Le fantassin donc ne sert pas à contrôler un territoire ou à valider la présence de son camp, ni même à assurer « le combat débarqué au contact, après approche sous blindage » tel que décrit dans la Doctrine d’Emploi de l’infanterie : il est utilisé à découvert afin d’attirer les coups de l’ennemi pour que celui-ci se dévoile.
Il suffit ensuite d’envoyer les vrais obus, les vraies bombes ou les vrais missiles, et maintenant les vrais drones avec pilotes bien planqués à l’arrière, pour vaporiser l’ennemi qui n’avait qu’à pas commencer.
L’intérêt est double. Un intérêt tactique : avec des pertes légères on porte des coups destructeurs à des forces identifiées et localisées. Un intérêt stratégique : nos fantassins ayant été lâchement agressés, il est tout à fait légitime de riposter avec une force disproportionnée.
On voit aux infos que cette doctrine militaire est toujours appliquée dans toutes les opérations occidentales, en Afrique, en Afghanistan, au Moyen-Orient, partout où nous envoyons des soldats maintenir l’ordre (que nous avons parfois détruit auparavant).

Photo Alain Jocard / AFP

Je me demande si ce n’est pas cette doctrine qui prévaut également dans les opérations actuelles de maintien de l’ordre en France.
Plus je regarde les vidéos des affrontements, plus je repère cette façon de faire en deux temps : on encaisse d’abord, et ensuite on frappe, plus fort. Le dernier coup étant la loi dite « anticasseurs » : la bombe longtemps retenue qu’on se sent légitime à larguer enfin.

Je ne tiens pas ici à m’exprimer sur le bien-fondé du mouvement ou de sa répression, mais dans ce billard à deux bandes, les fantassins qu’on envoie au casse-pipe m’inspirent pitié et colère. Peut-être parce que, à l’âge de 22 ans, j’étais à leur place dans un jeu potentiellement plus dangereux, mais qui heureusement m’a (et nous a tous) laissé rentrer indemne.
Les blessés des deux camps auraient tout intérêt à peser soigneusement leur prochaine action dans ce tournoi de dupes.

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En attendant l’acte XV, je lis Talk Talk de T.C. Boyle (traduction Bernard Turle) après avoir vu l’excellent portrait que Arte lui a consacré.

Sans excuses

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 14 février, 2019

 

Je me suis fait traiter de connard sur facebook. Sous un tweet retransmis par un de mes contacts – tweet où une femme voilée affirme en riant que ce n’est pas son mari qui lui impose le voile puisqu’elle n’a même pas de mari – j’ai répondu (verbatim) : « Comme quoi, pas besoin de mari pour subir une culture patriarcale« .

Je laisse chacun disséquer cette courte phrase, en insistant bien sur le terme subir et le fait que je n’ai fait mention d’aucune oppression, ni même de religion. Je reconnais que l’expression « être sous l’influence de » aurait peut-être été moins polémique, mais bon, il est trop tard.
Car sous ces mots on a vu du racisme, de l’islamophobie, de la misogynie et au minimum de la « violence polie ». On m’a demandé de rectifier mon propos et de m’en excuser. On m’a donc traité de connard, mais aussi de pauvre type, et surtout de mâle blanc dominateur dont le discours serait intrinsèquement oppressif et violent.

Et c’est peut-être vrai.
En tout cas, il est certain que ceux et les (rares) celles qui m’ont répondu sur ce ton l’ont ressenti ainsi. A l’appui de son virulent propos, mon contact facebook m’a renvoyé à ce texte :

FIL DE DISCUSSION ET D’EXPLICATION SUR LES QUESTIONS DE L’OPPRESSION, DES FAUSSES ÉQUIVALENCES ET DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
Ces derniers temps, il y a une multiplication de certains discours oppressifs inconscients. C’est aux auteur-rice-s de telles paroles que les paragraphes suivants s’adressent en priorité.
[…]
Vos méthodes sont mauvaises parce que VOS MÉTHODES PARTICIPENT AUX DYNAMIQUES DE DOMINATION.
De ce fait, elles sont nocives et je ne peux adopter une procédure de pure neutralité : éthiquement, je dois critiquer et refuser votre discours !
Qu’est-ce qu’une dynamique de domination ? C’est un mouvement qui fonctionne de concert avec les axes d’oppression.
Lesdits axes d’oppression sont […] personnes blanc-he-s => personnes racisées
Ces axes d’oppression sont démontrés par les chiffres et les études. Nous ne parlons pas ici de « points de vue » ou de « positions politiques ». La domination des femmes par les hommes cisgenres hétérosexuels, par exemple, est une donnée concrète, maintes fois vérifiée, et la contester ne peut tenir que de l’ignorance, de la mauvaise foi ou de la volonté de nuisance.
La conséquence directe de ces situations de domination, c’est que certaines actions, positions et discours qui seraient normalement « neutres »… ne le sont en vérité pas du tout ! Parce que les dés sont pipés, que les positions ne sont pas égales.

J’adhère à cette approche qui me semble en phase avec celle d’un James Balwin quand il dit que le racisme n’est pas le problème des Noirs mais bien celui des Blancs et que c’est à eux de le régler, entre eux.
Je voudrais aussi la mettre en parallèle avec les positions de René Girard sur le conflit mimétique et la logique sacrificielle telles qu’expliquées par Hypnomachie.
Il y a peut-être là les conditions d’une guerre de tous contre tous où chacun est à l’affût du moindre écart de l’autre pour le désigner comme ennemi, un peu comme dans la scène finale des Body Snatchers (version 1978).
Quel était l’objectif du post de mon contact en republiant ce tweet déjà ancien ? Était-ce de battre le rappel de ses troupes pour se congratuler et identifier les déviants ? Je ne sais pas, il n’y avait ni commentaire ni explication, et par la suite tout le monde a été bien trop occupé à me démontrer mon racisme, ma misogynie et ma dominance masculine blanche pour qu’on en sache plus.

Aurais-je donc dû m’excuser pour me soustraire à la vindicte ? Je vous laisse le soin de répondre.

James Baldwin