Comme ça s'écrit…


Pourquoi rassurer un chat ?

Posted in Réflexitude,Vittérature par Laurent Gidon sur 23 avril, 2015

Le chat qui a choisi de dormir chez nous vit sous condition de stress permanent. Il a été (légèrement) maltraité par le voisin à une période sensible et en a gardé une psychologie de moineau : toujours en éveil, prêt à fuir au moindre bruit. Sauf quand il dort. C’est pour cela que nous lui ouvrons la maison, pour qu’il puisse dormir au calme, loin de toute menace objective. C’est sans doute aussi à cause de cette crainte panique que ce chat squatteur-invité est toujours en vie alors que tous nos autres locataires à moustaches se sont fait écraser sur la route qui passe derrière la maison et sert de piste d’élan aux fanas de course de côte campagnarde.
Donc le chat dort la plupart du temps sur un de nos fauteuils. Certains jours il cherche un endroit encore plus protégé, se glisse entre les draps dans l’armoire ou se cache dans une boîte à chaussures. Parfois, malgré nos efforts, une porte qui claque ou un frôlement de sa couche le fait sauter en l’air.
Quand je le prends dans mes bras il a souvent un réflexe de fuite. Une demie seconde, cela ne dure pas. Une caresse sur le sommet du crâne et derrière les oreilles le rassure vite. Il cherche à se frotter le coin de la gueule sur ma poitrine. J’ai beau savoir qu’il ne fait que marquer ce territoire à son odeur, j’aime y voir une forme de bisou. Une récompense à mes efforts pour le rassurer.
À quoi ça sert, ces efforts ? À le rassurer, bien sûr, encore que son frottement marqueur prouve qu’il sait se rassurer lui-même dans l’univers sensoriel qui lui est propre.
La bonne question est plutôt : à quoi cela ME sert ?
Pour beaucoup d’entre nous, il est utile de se sentir fort, en sécurité, aux commandes. Tout ce qui permet de faire naître ou entretenir ce sentiment de puissance est recherché, favorisé, répété. Cela va des insultes proférées à l’abri du cocon automobile jusqu’aux bagarres de beuveries. On a osé, on se sent fort, le monde fait moins peur.
En ce qui me concerne, et comme pas mal de mes contemporains aussi, je cherche plutôt à me sentir bon. Ce n’est pas une qualité, c’est presque pathologique, mon psy vous le confirmera. Cela ne signifie pas que je ne vais pas m’autoriser une petite démonstration de force de temps à autres, mais j’ai appris depuis longtemps qu’elle ne suffira pas à un bien-être durable. Le sentiment d’être apprécié ou aimé ne suffit pas non plus, d’ailleurs : on cherche toujours plus loin les preuves d’amour, d’affection ou d’admiration et c’en devient pesant (euphémisme). On cherche, on cherche, jusque dans le cou du chat.
Je crois que c’est là que s’explique mon envie ou mon besoin de faire plaisir à cette bestiole, de la rassurer, de lui faire comprendre que non, ce n’est pas de moi que viendra le danger.
Le chat s’en fout, je suis son garde-manger et le tenancier de son hôtel de jour et n’importe qui pourrait tenir ce rôle pour lui. Mais le rôle que je me donne, moi, personne d’autre ne le brigue. Si je passe un peu de temps à rassurer le chat, à le caresser jusqu’à sentir sous mes doigts la vibration de son ronronnement silencieux (oui, le chat a même peur de ronronner trop fort), c’est parce que cela rend mon monde plus beau, plus accueillant, parce que cela me donne le pouvoir divin d’être celui qui apporte douceur et plaisir sans contrepartie. Je ne vais pas faire mon Gandalf et argumenter sur le plus grand pouvoir entre épargner une vie et la sacrifier. Non, je parle ici de petites choses sans grande importance, que l’on fait pour soi et qui prennent de la valeur justement parce qu’il serait si facile, si insignifiant, de ne pas les faire. On se donne de la valeur en rassurant le chat, et ce n’est pas rien.
À l’heure où les migrants meurent par centaines entre l’Afrique et l’Europe, quelle peut bien être l’importance du ronronnement du chat ? Aucune, sans doute. Mais je me dis que, si je peux me sentir mieux en agissant à si petite échelle, je serai peut-être plus enclin à me positionner et agir de même sur des problèmes plus graves. Se sentir fort incite à se défendre. Se sentir bon incite à s’améliorer et à s’ouvrir. A penser en être humain et non en concurrent d’une compétition qui laisse des morts sur le bord du terrain.
C’est à ceci qu’invitent Emanuelle Auriol et Daniel Schneidermann : réfléchir librement et se projeter dans l’univers personnel de l’autre, prendre en compte ses besoins sans les inféoder a priori aux nôtres, se sentir bon et utile au lieu de se sentir fort. Parce que, de toute façon, notre intérêt est là, ainsi que je l’avais exprimé ici  voici plus d’un an.

——————

Pendant ce temps (pendant que le chat dort, donc, et que les migrants meurent) j’ai enfin achevé ma lecture du monument de Ken Kesey Et quelquefois j’ai comme une grande idée. Un voyage de près de 18 mois, et mon premier réflexe à été de le reprendre au début dès la dernière ligne lue. C’est vous dire… Mais j’y reviendrai.