Comme ça s'écrit…


Encore, encore aujourd’hui

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 17 février, 2018

Aujourd’hui, j’ai cinquante-deux ans.
Si j’étais mon père, dans deux ans et huit mois je serais mort.
Mais je ne suis pas mon père, bien que les années nous rapprochent.
Moi, je ne suis encore qu’à mi-chemin.
Aujourd’hui comme souvent je pense à lui et à ce que nous n’avons pas eu le temps de nous dire avant qu’il meure.
J’en ai tiré un roman, Persistance*, dont aucun éditeur n’a voulu pour l’instant.
Avec L’Abri des regards, j’ai l’impression que ce livre a changé ma manière d’écrire, et peut-être ma manière de vivre.
Je suis redevenu une sorte de chasseur-cueilleur. Je glane ici ou là ce qu’il me faut d’argent, de chaleur et de sourires pour vivre au jour le jour. Sans plan, comme en sursit. Avec plaisirs, surprises et émerveillements.
Pour cela je m’appuie chaque jour sur ma tribu, immense, qui compte l’humanité entière.
Tous comptent. Hier j’achevais la restitution d’une série d’ateliers d’écriture poétique dans une prison. En mars, je débuterai une série d’ateliers avec les adolescents en souffrance d’un hôpital psychiatrique de jour. Et ce matin je pars grimper avec des amis chers en pensant à mon père parce que c’est ce qu’il aimait le plus.
Encore, encore aujourd’hui, merci à tous.

Georges Gidon 1940-1994

*Si quelqu’un est intéressé par la lecture de Persistance, il suffit de m’en demander le fichier.

Le bois et le temps (qu’il fait et qui passe)

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 15 février, 2018
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10h22 / 3,2° dehors / 16,6° dedans

Cet hiver le poêle ne chauffe pas bien.
Il ne fait pas très froid dehors, mais nous avons du mal à dépasser les 17° dans la maison. Chaque matin au réveil il fait un petit 15 dans la cuisine, ce qui me pousse à rallumer d’urgence.
Nous ne savons pas si c’est à cause du bois, de moins bonne qualité, un problème d’isolation détériorée depuis l’an passé, ou simplement une mauvaise gestion du feu de notre part.
Nous sommes tentés de brûler plus. Pourtant, même quand nous cédons à cette tentation, la température intérieure ne monte pas.
En revanche le tas de bûche baisse.
Nous avons brûlé mi-février ce que j’avais prévu pour mars.
Il ne restera bientôt plus rien.
Cette constatation, non pour faire pleurer sur notre sort, mais parce qu’elle me permet de ressentir physiquement ce qu’éprouvent ceux qui ont peu, ceux qui n’ont pas assez, ceux qui voient leurs réserves s’épuiser sans espoir d’aide face aux temps encore plus difficiles.
Ils ont déjà froid ou faim, alors qu’autour d’eux règnent l’opulence et le gâchis.
Ils savent que ça ne va pas s’arranger, qu’ils vont avoir encore plus froid ou plus faim, parce que d’autres accaparent ce qui leur permettrait – ce qui nous permettrait à tous – de se chauffer ou de se nourrir convenablement.
Ceux qui accaparent ne sont pas des sales types.
Seulement ils restent inconsciemment (pour la plupart d’entre eux j’espère) ancrés dans leur mode de prédation parce qu’ils croient en deux notions irréfutables.
D’abord qu’il n’y a pas assez pour tous.
Ensuite qu’ils ont mérité leur part et donc que celui qui manque mérite de manquer.
Selon les obédiences, ces deux croyances se justifient de bien des façons, mais elles sont là, bien ancrées.
Ironiquement, cette croyance d’un partage impossible est la mieux partagée.
Même ceux qui manquent y croient. Sinon, la révolution partageuse aurait déjà été accomplie.
Cela me rappelle un passage du Sapiens, de Yuval Noah Harari, page 140 :

Comment amener les gens à croire à un ordre imaginaire comme le christianisme, la démocratie ou le capitalisme ? Premièrement vous ne voulez pas admettre que l’ordre est imaginaire. Vous protestez toujours que l’ordre qui soutient la société est une réalité objective créée par les grands dieux ou les lois de la nature. […] Le marché est le meilleur système économique : ce n’est pas Adam Smith qui l’a dit, ce sont les lois immuables de la nature.

Les lois immuables de la nature font qu’en hiver il fait froid, mais elle n’impliquent pas que je dois avoir froid.
J’aurais pu couper plus de bois l’année précédente, en racheter cette année, ou descendre dans le Sud. Et sans doute d’autres solutions que je ne parviens pas à imaginer, ancré que je suis dans mes propres croyances.

Agir – ou ne pas agir – selon nos croyances, c’est ce que nous faisons tous, et assez facilement.
Mais changer de croyance, voilà le défi.

On ne tiendra pas jusqu’à mai…

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Évidemment, en grelottant je lis toujours Sapiens Une brève histoire de l’humanité, de Yuval Noah Harari, traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat.

L’espace moins dangereux que les gens

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 9 février, 2018
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Heavy !

Elon Musk vient de lancer Falcon Heavy, sa grosse fusée badaboum dans l’espace. Bravo Elon !
Le milliardaire stratosphérique aurait dans l’idée d’envoyer des gens sur Mars, des héros, des vrais, qui partiraient pour au moins 6 mois de voyage à travers le grand rien avec personne autour. Un risque de voyage sans retour.
C’est vrai que ce sera dur.
Mais ce qui est dur aussi, c’est sans doute de tenter des traversées à peine plus courtes, et bien plus actuelles.
Avec du désert ou de la mer autour.
Avec surtout des gens, plein de gens, qui sont là, sur le chemin, pour vous racketter, vous bloquer, vous esclavagiser, vous rançonner, vous torturer au besoin, et tout ça sans même la promesse d’un voyage sans retour : à l’arrivée vous avez plus de chances de vous faire renvoyer au départ que de trouver un endroit où vivre mieux.
Alors si monsieur Elon Badaboum Heavy cherche vraiment des héros prêts à tout, il peut venir les chercher sur les pistes qui traversent le Sahara, dans les boîtes à torture du Sinaï, les marchés aux esclaves de Libye, les barbelés des enclaves ou les jungles déforêstées de chez nous. Il y trouvera du lourd !
Ça lui coûtera le millième de sa fusée, mais ça donnera de l’avenir à plus de monde.
Et s’il lui reste des migrants volontaires pour le grand saut vers Mars sans retour, on saura ce qu’ils fuient : nous, les autres, les gens.

Heavier !

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Pendant que les fusées montent et que les migrants plongent, je lis (comme tout le monde) Sapiens, de Yuval Noah Harari, traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat.