Comme ça s'écrit…


La liberté, la mort

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 18 Mai, 2021
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HK, Danser encore…

Cela devient un lieu commun partagé même par des militaires tribunaux et des médias insoumis : on est en train de crever, le risque n’a jamais été aussi grand.
Mais qu’est-ce qui meurt ? La France ?
En ce qui me concerne, la France n’existe pas : ce mot est un fourre-tout que chacun remplit de ses rêves, de ses obsessions, de ses propres ambitions et de ses manques.
La France, pays des Droits de l’Homme et de la liberté ?
Ce pays existe, dans des limites géographiques et dans l’imaginaire de pas mal de monde, mais pas dans la réalité.
C’est une fiction qui selon moi s’appuie sur autre chose : l’attachement et le combat de certains Français aux Droits de l’Homme et à la liberté, lesdits Français pouvant être du monde entier.
Est-ce cela qui meurt ? Cet attachement, ce combat, dans les limites géographiques de la France ? Peut-être.
Peut-être aussi est-ce une bonne chose si l’on sait la voir.
Il faut avoir vu la mort pour rebondir vers la vie. Pour être résilient, selon un mot à la mode.

On ne peut pas parler de résilience sans laisser la parole à Cyrulnik :

«On ne peut parler de résilience que s’il y a eu un traumatisme suivi de la reprise d’un type de développement, une déchirure raccommodée. Il ne s’agit pas du développement normal puisque le traumatisme inscrit dans la mémoire fait désormais partie de l’histoire du sujet comme un fantôme qui l’accompagne. Le blessé de l’âme pourra reprendre un développement, dorénavant infléchi par l’effraction dans sa personnalité antérieure».
Boris Cyrulnik Le Murmure des fantôme (Odile Jacob – 2003)

Les traumatismes s’enchaînent et ne se ressemblent pas, mais ils creusent et la déchirure se fait de plus en plus profonde.
Tout en bas, lorsque lâchera le dernier fil qui nous retient ensemble, la mort nous guette.
N’hésitons pas à descendre au fond de son gouffre et à la regarder en face.
Cette mort a le visage des généraux, des prêcheurs de violences islamistes, de tous les marchands de peur et de vengeance,
elle a le visage de la matraque et du casseur de flic,
elle a le visage du secret d’État et des données personnelles en pâture,
elle a le visage du pouvoir de l’argent sur ceux qui n’en ont pas,
elle a le visage du lobbyiste pétrolier, chimique ou automobile et du realpoliticien sûr de son droit,
elle a le visage urbain des zones fracturées et des palais fermés,
elle a le visage de la détresse qu’on flatte en lui offrant comme un hochet le sacrifice du prochain bouc émissaire
elle a le visage de tous les discours contre, tellement plus efficaces face aux angoisses que les propositions pour…

Cette mort qui nous menace, elle n’est pas à combattre.
Nous pouvons la regarder en face pour trouver en chacun de nous et surtout dans les liens que chacun tisse avec chacun, la force de construire un autre développement.
Notre résilience passe par là.
Nous sommes blessés, tous, reconnaissons-le.
Et reconnaissons la blessure de l’autre : toi, ma sœur, mon frère, qui souffre et crie contre moi alors que seule une déchirure nous sépare.
Viens, je t’écoute.
Viens, je t’accepte sur le chemin à parcourir ensemble.
Viens, n’aie pas peur, ta colère est juste, mais elle n’est pas contre moi.
Viens, la France c’est nous, bien au-delà des frontières, des prochaines élections et des actions en bourse.

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Pendant que je tiens mes peurs à distance, je lis Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, de James C. Scott traduit par Nicolas Guilhot, Frédéric Joly et Olivier Ruchet.
Et bien sûr je sème avec HK et les Saltimbanks (clic), je remonte la pente avec Cyril Dion (clic), et je danse, je danse

Le matelas par terre

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 7 Mai, 2021
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En revoyant un vieux film (Nikita, lorsqu’elle s’installe dans son premier appartement pourri) m’est tombé dessus l’envie – le besoin ? – de retrouver une certaine légèreté de jeunesse.
Le matelas posé directement par terre, juste une endroit pour manger, un endroit pour me laver, le tout dans vingt mètres carrés et basta. La vraie vie est dehors.
Les enfants achevant leurs études cela devrait être envisageable pour dans bientôt. En attendant…

Grimper

Plusieurs semaines de pluie quasi continue, falaise impraticable, salle d’escalade interdite, et revoici l’envie – le besoin ? – de grimper.
Pas seulement me colleter au rocher ou à ma peur de tomber, mais retrouver ce contact avec d’autres qui, pendant quelques heures, ne sont ni profs, ni commerciaux, ni fonctionnaires, ni chauffeurs-livreurs, ni retraités, mais juste grimpeurs.
C’est fort ce qui nous unit au pied des voies, et je ne parle pas de la corde. On mouille la chemise ensemble, pour rien, en pied de nez à notre civilisation du rentable.
Notre président nous reprocherait de ne pas participer assez activement au redressement de l’économie nationale.
On rigolerait bien…

Faut-il moquer Manu ?

En pied de nez toujours, ma réponse est oui. D’abord parce qu’il peut l’encaisser.
Oui aussi, parce que face à lui l’argumentation ne fonctionne pas. Soit il répond à côté, soit il invente des arguments frauduleux qui font passer son action pour incontestable, indispensable et salvatrice.
Ce n’est qu’en se moquant de lui qu’on peut révéler ses erreurs et ses torts sans qu’il puisse répondre autre chose que « Ah ben non, c’est pas gentil, ça se fait pas. »
Contre l’argumentation moisie et les éléments de langage puant le vieux fromage, la moquerie fonctionne encore.
Subir une domination de fait, d’accord, mais avec la liberté d’en rire.
Désolé, monsieur le président, c’est l’époque, il ne nous reste que ça.

Soulcié / Télérama
Soulcié / Télérama

Lit (braire)

Voici déjà quelques samedis je suis allé en ville fêter la librairie indépendante.
Soit un petit marathon des librairies d’Annecy : j’entre dans chacune en criant « bonne fête » et j’en ressors après quelques mots sympas avec un livre acheté.

Sauf chez la seule libraire estampillée jeunesse de toute la ville.
Je lui demande si elle a Une Face, une trace ! en rayon (pour lui envoyer des clients, pas pour frimer).
Elle ne connaît pas. Je lui dis qui en est l’éditeur, tout de même installé dans le même département.
« Ah ben non, les Éditions du Mont-Blanc on fait pas. »
Je lui rappelle que c’est local, avec plusieurs collections jeunesse et des auteurs du coin.
« Non, on fait pas, je vous dis. On peut pas tout faire, hein, y a pas la place. »

À l’âge où je posais mon matelas par terre je me serais peut-être emporté.
J’aurais argumenté, contesté sur le fait que des librairies bien plus petites et même pas spécialisées jeunesse ont la place de le présenter, et même (horreur!) le temps de le vendre.
Seulement voilà, j’ai l’âge du matelas posé sur un sommier.
Je ne choisis pas mes combats, mais mes amis. Et surtout je choisis de ne pas avoir d’ennemi, ni de colère.

Une voie à moi

En rentrant j’ai transformé mon envie de grimper en pulsion – en besoin ? – de clavier.
Voilà plusieurs semaines que je prépare des dossiers pour des bourses ou des résidences d’auteurs. Tout est parti dans les temps, j’ai fini. Il ne me reste plus qu’à écrire pour de vrais lecteurs et non pour des jurys.
C’est venu comme une vague. Il m’a bien fallu la surfer. Une vague grosse comme une montagne.

Elle s’appellera Ta Voie à toi.
Si vous reconnaissez dans ce titre de travail la scansion et les voyelles répétées de Une Face, une trace, vous avez bonne oreille.
Ce sera la suite. On retrouvera Jérôme deux ans plus tard, plus grand, plus fort, et avec de plus gros problèmes.
Il y aura du ski et de l’escalade. De l’amour, des dilemmes et de la mort.
Un premier synopsis a vu le jour. Quelques chapitres aussi. J’aime bien, ça prend tournure.
Je vais essayer de faire comme Jean-Paul Dubois et tout écrire en un mois, à peu près.
En voici l’incipit :

La verticale n’est qu’un mythe. Voilà, c’est dit, je peux m’en détacher.
La pesanteur, cette force qui me cloue au sol ? Une croyance, rien de plus. Nous sommes juste très nombreux à y croire. Ce n’est pas si grave.
Une croyance sans gravité… Ha, Ha ! C’est bon ça, jeu de mots à garder pour ma prochaine vidéo : « la pesanteur n’est qu’une croyance sans gravité ».

Vivement la suite ?

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Dans mon marathon des librairies j’ai trouvé Watership Down de Richard Adams, traduit par Pierre Clinquart dans la très belle collection Les Grands Animaux de Monsieur Toussaint Louverture (c’est l’éditeur).