Comme ça s'écrit…


Ukraine Today

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 5 février, 2023

Difficile, à l’ère des Rézosocios dominants, de développer pour soi-même une pensée nuancée : tout me pousse à ne laisser affleurer que des opinions punchline.
Or, c’est le travail de mes seules émotions de m’amener à répondre, en un instant, oui ou non à telle situation perçue.
La réflexion devrait ensuite me permettre d’élargir cette perception première pour prendre en compte la globalité des faits et peut-être me positionner à l’opposée de mon émotion.
Au lieu de me laisser cette chance, je me surprends à sélectionner les informations qui renforcent ou justifient ma réaction initiale.
Pourtant, je tente de m’astreindre à une réflexion m’amenant à une position plus complexe que le simple bien/mal.
C’est payant, mais ça prend du temps.

Me faut-il ensuite faire le chemin inverse pour résumer en punchlines cette pensée nuancée avant de l’injecter dans les Rézosocios ? Peut-être…

On ne peut pas être vertueux par intermittence et exiger que l’autre le soit en permanence. C’est trop facile alors de le traiter en ennemi.

Comment croire que les médias de l’ennemi font la propagande du Kremlin, alors que les nôtres seraient objectifs, forcément objectifs ?
Nos journaux et nos chaînes de télé ne sont-ils pas détenus par quelques oligarques ou par l’Élysée ?
N’y a-t-il, en France et en Europe, aucune proximité entre les grands patrons et le personnel politique ?
À qui profite le grand marché ukrainien ?
(vous voyez comme c’est facile ? continuons)

Scoop : les armes tuent quand on s’en sert.
Livrer plus d’armes à un belligérant ne va pas faire basculer le conflit comme si une balance pesait les forces en présence pour décider qui va gagner sans livrer le combat.
Il va falloir s’en servir, faire plus de morts, plus de blessés, plus de destructions… sans même être sûr d’emporter la décision.
Il y a maintenant deux mille trois cents ans que Pyrrhus nous a montré le chemin à ne pas prendre.

Nos analystes expliquent combien les intérêts de la France et de l’Europe (voire de toute notre belle civilisation occidentale) sont en jeu en Ukraine.
Je veux bien les croire : il se livre là-bas une guerre par procuration.
Combien de morts et de blessés faudra-t-il pour assurer – temporairement – notre sécurité en seconde ligne ?

Il me semble très facile, depuis mon village en paix, d’accepter que des Ukrainiens tuent et meurent pour ma sécurité : il me suffit de ne rien faire et ne rien dire, business as usual.
Nos dirigeants se chargent de déléguer l’horreur.
En cas d’inconfort, se connecter aux médias qui nous rassurent sur notre bon droit à soutenir la guerre.

Rappel de cette citation d’Alexis Jenni, toujours aussi actuelle :

La force ne se donne jamais tort : quand son usage échoue, on croit toujours qu’avec un peu plus de force on aurait réussi. Alors on recommence, plus fort, et on perd encore, avec un peu plus de dégâts. La force ne comprend jamais rien, et ceux qui en ont usé contemplent leur échec avec mélancolie, ils rêvent d’y revenir.

À quel rêve mélancolique se livrent ceux qui ont épuisé une guerre Pacifique en larguant deux bombes atomiques, une guerre coréenne en traçant une ligne, une guerre vietnamienne et deux guerres irakiennes en abandonnant la région une fois détruite, une guerre « contre le terrorisme » en laissant la place à des fous de dieu ? J’exagère à peine.
Et pourtant nous leur devons une partie de nos libertés, de nos plaisirs, de nos rêves.
Chacun se plie aux allégeances qu’il mérite.

Ce que chacun inflige à son prochain, personne d’autre que soi-même ne le justifie au moment de tirer ou de frapper.
La seule loyauté qui vaille n’est pas envers une fiction (nation, idée, classe, communauté…), mais la loyauté à soi-même. À condition d’accepter la responsabilité qui l’accompagne.
La vertu c’est bien, ça tient chaud l’hiver.
La nuance n’est qu’une couverture pauvrement rapiécée.
J’accepte d’avoir un peu froid, car c’est bien de ce froid que je tremble.

Étonnamment je me livre à la lecture du Mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli.