Comme ça s'écrit…


Go ouest !

Posted in Ateliers par Laurent Gidon sur 25 juin, 2021
Maison d’arrêt de Bonneville (détail)

Pendant que nous pensons déconfinement, fin du couvre-feu et réouverture des bistros, j’en connais qui se réjouissent sans doute pour nous et pour leurs proches mais ne partagent pas notre retour à la liberté.

J’en connais précisément neuf, quatre femmes et cinq hommes.
Je ne sais pas pourquoi ils sont incarcérés (vous pouvez inclure de vous-mêmes les .e inclusifs qui vous semblent nécessaires, mais je ne pense pas que ce soit leur préoccupation principale). Je ne le saurai jamais, parce que ce n’est pas sous ce jour que je les connais.

En revanche je sais que Alexi rêve d’une femme prêtresse aux pouvoirs guérisseurs face à des bandits masqués, que Cédric voudraient situer la naissance du mouvement Black Panther dans une grotte du Texas à la fin du XIXème siècle, ou que Aïcha n’a jamais vu de western de sa vie et que ça ne l’empêche pas d’en inventer un sous forme d’histoire d’amour.
Je le sais, parce que je les rencontre à la maison d’arrêt où ils sont enfermés, pour des ateliers d’écriture centrés sur l’élaboration d’un scénario de western.

Cette opération est rendue possible par le travail de Florent à l’association Label Vie d’Ange, qui se démène pour restaurer un peu d’humanité là où elle est tellement malmenée. C’est lui qui m’a mis en contact avec l’institution pénitentiaire.
Pour quelques séances je suis accompagné par Fabrice. Il fait partie de l’équipe de trois instituteurs à la disposition des détenus. Avant cela il a été longtemps instit, et même directeur d’école. Mais il avoue préférer s’occuper des besoins et des envies de détenus.
Parce qu’ils ont besoin et envie.
Le virus vient de leur pourrir une vie que, même avant, je ne souhaiterais à personne.
Ne hurlez pas trop vite à l’angélisme ou au mépris des victimes : je sais qu’ils ne sont pas incarcérés par hasard. Je les prends juste comme ils sont maintenant, et pas comme ils ont été ou comme ils auraient dû être pour que notre société ne les envoie pas derrière les barreaux.
C’est justement l’intérêt de l’entreprise. Apporter ce qu’on peut à des gens, sans se demander s’ils le méritent, s’ils ont bien fait tout ce qu’il fallait pour y avoir droit, voire si d’autres y auraient plus droit qu’eux.
Neuf détenus seulement, sur les centaines incarcérés dans cette maison d’arrêt parmi tant d’autres.
Une goutte modeste dans un océan de misère dont les vagues s’agitent, dans et hors les murs.
On fait ce qu’on peut, par respect pour soi autant que par respect pour les personnes devant soi.

Après m’avoir dit au-revoir, Alexi s’est tournée vers la gardienne avec un clin d’œil : « Hé, on vient de s’évader pendant une heure et demie ».
Merci, ça vaut tous les compliments.

Redescendre

Posted in Admiration,Textes,Une Face, une trace ! par Laurent Gidon sur 15 juin, 2021
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Il faut que je vous parle encore de Jean-Paul Dubois. Après l’avoir entendu à la radio, l’envie m’avait pris de faire comme lui, et donc d’écrire mon prochain roman en un mois.
De cette ambition à sa réalisation il n’y avait qu’un grand pas, que j’ai franchi tout gaillard.
Voilà, ça y est, premier jet de Une Voie à toi injecté dans le cloud. Ouf !
J’ai claqué l’écran du PC et, au lieu de danser autour avec des cris d’Arapaho éthyliques (comme je faisais avant, ou ), j’ai traversé la France pour aller récupérer mon fils dans sa chambre d’étudiant et nous avons dévalé nord-sud jusqu’à Lacanau pour y tremper nos surfs.
Manière de dire que ça suffisait, l’infusion de clavier.

Mais j’ai surtout prévenu M. Dubois que j’avais réussi.
Il m’a gentiment félicité, m’a parlé de cette « performance » avec ses expressions à lui, comme montagne de mots, sacrée ascension, ou un mois au fourneau. J’en suis encore tout rose de fierté. La fierté c’est bien, ça tient chaud l’hiver, merci M. Dubois : vous êtes au poêle !
(oui, je me chauffe au bois et je fais les blagues que je veux avec le nom des auteurs que je respecte).
Et vous serez dans les remerciements que je me suis empressé de rédiger dès le point final apposé :

Ce livre et son auteur doivent beaucoup…
à Pascal Linden, guide de haute montagne, ouvreur de voies magiques et maître pédagogue de la grimpe…
à ceux qui équipent les falaises, entretiennent les voies, purgent ce qui doit tomber et affrontent parfois la rigidité administrative ou judiciaire pour que nous autres puissions prendre le risque de grimper en liberté…
à tous les Grimpailloux du village, en particulier Magalie, Odile, Gillou, Lulu, Jean-François, Jérémie, Nico, Patrick, Tony, Yannick (les autres, je vous aime aussi)…
à Jean-Paul Dubois (oui, l’auteur Goncourtisé) pour m’avoir cravaché à son insu afin de boucler le premier jet dans le mois imparti…
et à mon père, bien sûr.

Voilà, c’est donc fini. Tristesse post-partum ? Un peu.
Une Voie à toi sera plus sombre que Une Face, une trace.
Un peu comme Harry Potter, d’un tome à l’autre Jérôme grandit et ses lecteurs aussi. Ils pourront, à 17 ans, encaisser certaines situations auxquelles je ne les aurais pas soumis lorsqu’ils en avaient quatorze.
Il va quand même me falloir convaincre l’éditeur. J’ai toutes mes chances : l’éditeur est intelligente, forcément, puisqu’elle a choisi de publier Une Face, une trace.

Comme d’habitude, j’en propose le texte aux bêta-lecteurs qui auraient l’envie de cette sacrée ascension d’une montagne de mots. Contre retour sur les fautes, les faiblesses et les incohérences, ou juste pour le plaisir.

En avant-goût, le Djer dans sa première séance d’escalade :

— Allez, Djer : vas-y, c’est ton moment !
Toute la classe est là, autour de moi. Ils m’encouragent, sympas. Enfin, pas tous. Il y en a que je sens pressés de me voir minable sur les prises. Des jaloux, blessés par ma popularité. Je ne peux que leur pardonner, grand seigneur. Mais comment pardonner à la verticale, ce mythe écrasant qui me toise de haut : douze mètres de mur d’escalade, douze mètres verticaux, infranchissables sans y mettre les mains !
Je vérifie encore une fois le nœud de corde qui boucle sur les sangles de mon baudrier. Un nœud de huit, comme on vient de m’apprendre à le faire. Ce nœud et cette corde vont m’empêcher de mourir quand je tomberai comme un sac. Si tout va bien.
Je vérifie aussi le système d’assurage sur le baudrier de Jérémie. C’est lui qui va m’assurer, c’est-à-dire faire contrepoids et freiner ma chute piteuse. Jérémie est un pro de la grimpe, j’ai confiance. Mais il paraît qu’il faut toujours vérifier deux fois le nœud et le système d’assurage, sur soi et sur l’autre. Il paraît qu’on appelle ça le double check et que ça peut vous sauver la vie. Il paraît… J’en suis à une quinzaine de vérifications et j’ai toujours peur pour ma vie.
— Allez, Jérôme, on t’attend.
La prof s’impatiente. J’ai tergiversé pendant tout le cours et la cloche va bientôt sonner.
— Oui, Madame, je double checke
Je double panique, oui !
Bon, il faut y aller.
Le faut-il vraiment ? Qu’est-ce qui m’oblige à tenter cette exploit incandescent : provoquer la pesanteur, aller chatouiller la verticale, risquer la morsure de la gravité universelle ?
— Jérôme Blandin !
OK, j’ai compris, j’y vais.

Voilà. La suite doit faire dans les quatre cent mille caractères (ou soixante-dix mille mots).
Je n’ai plus qu’à redescendre et me consacrer à autre chose – comme Jean-Paul Dubois – pendant que le texte prend un bon coup de tiroir.

Et peut-être lire enfin Reprendre le Pouvoir, de François Boulo, aux Liens qui Libèrent.