Comme ça s'écrit…


Glaciation

Posted in Promo,Vittérature par Laurent Gidon sur 30 juillet, 2020

Réserve mondiale de semences de Svalbard, au Spitzberg

Comment rendre compte d’un monde qui meurt ?
La plupart des récits post-apocalyptiques font l’impasse, comme leur genre l’indique, sur l’apocalypse elle-même pour se développer dans l’après.
La catastrophe est résumée en quelques paragraphes, quelques images lapidaires au début du livre ou du film.
On sait que ça s’est mal passé, sans détails, parce qu’imaginer le processus de l’apocalypse à l’échelle d’une planète entière, ce n’est pas facile.

Zep a assez bien joué le coup dans son The End (titre programmatique s’il en est) : une cause unique, simple, efficace, qui aurait déjà fait le boulot sur les dinosaures voici 66 millions d’années… et qui n’est pas un gros méchant météore. Pas mal.
Mais il s’agit là d’une cause extérieure.
On peut dans le même registre invoquer les aliens, les démons d’une autre dimension, une intervention divine, les radiations d’une supernova qui vient péter un peu trop près du système solaire, que sais-je encore…

Mais un monde qui s’effondre de lui-même, avec une multitude de causes contenues dans son fonctionnement-même, notre monde, quoi, comment fait-on pour le raconter ?

C’est ce que je me suis demandé, avec en plus la contrainte de ne pas dépasser 30 000 caractères.
Cela a donné Glaciation, une nouvelle que j’ai présentée au concours Plume d’Agence.

En écoutant les enregistrements réalisés par des candidats à la cryogénisation, enregistrements censés leur rappeler leur personnalité et les raisons de leur mise en sommeil, ce pour faciliter le réveil lors de leur décongélation future, nous comprenons beaucoup, sinon tout.
Par petites touches individuelles se dessinent ainsi les faux pas d’un monde qui persiste dans l’erreur jusqu’à disparaître, ne laissant que des caissons juxtaposés dans de vastes frigos automatiques.

Il y a bien sûr une histoire qui vient se plaquer là-dessus.
Je viens d’en relire les épreuves pour le Bon à Tirer (le concours est très sérieux jusque dans la qualité technique du rendu).
Il vous faudra la lire lorsque le recueil paraîtra, cet automne.
Parions que je vous préviendrai.

 

Berliner round 36 – autorité

Posted in Berliner Round,Textes par Laurent Gidon sur 30 juillet, 2020

Brrrrouuuummmm

Le matin suivant le capitaine Lafeuille nous invite à un petit footing de décrassage. Il semble très attaché à la cohésion entre ses cadres. Il me faut bien accepter, et c’est l’occasion de faire aussi un peu de tourisme. Nous partons trotter, d’abord à travers le Quartier Napoléon. Je me familiarise peu à peu avec la disposition des lieux. Dans cette enceinte en forme de large poire cohabitent des espaces boisés aux belles lumières d’automne, des équipements sportifs (dont un stade et une piscine avec hauts plongeoirs), des bâtiments à la laideur toute fonctionnelle et des architectures plus élégantes qui rendent d’autant plus incongrue la rencontre inopinée avec un char AMX 30. Ses chenilles – bien que munies des patins caoutchouc amortissant leur vrombissement – ébranlent le sol, font tomber les feuilles des arbres et me secouent jusqu’aux plombages. C’est la première fois que je croise ce genre de monstre en mouvement, presque vivant : la rencontre est rude.

Nous sortons du quartier avec un geste de salut au planton pour nous engager dans un parc vallonné dont les allées proprettes bordées de barrières basses et de haies naines nous éloignent de plus en plus des locaux de la Compagnie. Au bout d’une demi-heure de trot, tentant de participer à la discussion, je suis de plus en plus essoufflé, en sueur, puis époumoné. Le capitaine et son adjoint ont l’air un peu désappointés. Ils s’attendaient sans doute à mieux de ma part, surtout vu mon classement à Coët. C’est clair, je ralentis le rythme. Bogoss et Poilade en profitent pour se ménager. Ils m’avoueront plus tard que ces footings les saoulent, que Lafeuille cherche toujours à les pousser à bout, mettant un point d’honneur à être l’homme le plus en forme de toute sa compagnie. OK, si ça l’amuse. Dès notre retour j’allume une cigarette, façon de marquer mon propre territoire, même bêtement : je ne suis pas là pour prouver quoi que ce soit, et surtout pas que je suis le plus fort. D’autant que je suis loin de l’être.

Poilade et Bogoss m’aident à trouver mes marques. Ils sont sympas, rigolards, détendus, souvent prêts à parler d’autre chose que du quotidien militaire. Fumette, l’aspirant du Génie, nous rejoint le soir autour du billard de l’hôtel Wagram. C’est un amateur expérimenté qui maîtrise les coups à trois bandes et le massé produisant un effet détour sur la bille blanche. Il pousse souvent son raffinement affecté jusqu’au second degré et l’on sent qu’il aime faire rire de lui. Une attitude très agréable et reposante dans l’ambiance dopée à la testostérone qui nous entoure. Poilade me lancera quelques défis pour monter l’escalier en grimpant l’envers des marches à la seule force des bras, avant d’abandonner devant mon rapport taille-poids-puissance avantageux. Ce personnage plaisant tient des discours étonnants pour un élève de l’École Nationale d’Administration. Très intelligent et cultivé comme on peut s’y attendre, il professe un goût de l’action et du risque qui va le conduire à commander une section de combat dès le prochain contingent. Pour lui, la vie est un jeu qui se joue en utilisant tout ce qui génère de l’émotion : le danger, le sexe, le pouvoir… Quand je le rencontre il se déplace encore à vélo, traversant souvent Berlin pour aller honorer plusieurs femmes la même nuit, dans les secteurs anglais et américain : plus de soixante kilomètres entrecoupés de parties de jambe en l’air. Il passe ensuite se rafraîchir brièvement à sa chambre avant de prendre la responsabilité de sa section sans avoir dormi plus d’une heure ou deux. Sa vitalité deviendra vite légendaire. Il en joue, allant jusqu’à passer sa section en revue torse nu, l’insigne de grade scratché dans les poils fournis de sa poitrine. L’armée lui convient, et j’ai l’impression que le monde comme il va, avec violences et misères, lui créera toujours un terrain de jeu à sa mesure.

De son côté, Bogoss repère toutes les jeunes femmes de qualité présentes ou de passage sur le Quartier. Son sourire et son bagout doublés d’une bonne dose d’autodérision font en général passer un bon moment à ces dames, même si cela ne les entraîne pas au-delà du bar du mess. Il craquera finalement pour une jeune infirmière allemande, blonde sculpturale qui travaille à l’antenne médicale. Amateur de rugby – pas comme spectateur, mais comme plutôt bon joueur – il profitera d’une petite entorse lors d’un match amical (amical, mon œil!) contre les militaires anglais pour nouer des liens plus étroits avec elle. Pour autant que je sache leur liaison a duré jusqu’à la fin de son service à Berlin. L’armée lui convient aussi, malgré les tracasseries qui ne manquent pas. Il restera en compagnie d’instruction pour profiter de Berlin et de la vie en général, avec gourmandise.

Ainsi entouré je m’installe dans une existence agréable. Ce premier contact avec Berlin – la partie française de Berlin – ressemble à un séjour dans un camp de vacances, aux activités et traditions certes un peu rudes, mais tout à fait charmantes par rapport à ce que j’ai vécu aux EOR. Mes premières responsabilités d’officier y tiennent finalement une place assez secondaire. Mais elles me rattrapent bientôt.

Avant de prévoir une session sur le terrain je dois entraîner mes pioupious à la marche. Nous y allons progressivement, suivant les conseils éclairés de Mastard. Il y a déjà eu quelques footings en tenue de sport. Maintenant, nous passons à l’étape treillis rangers.

Pour la première sortie, nous ne faisons qu’un tour du quartier sur les trottoirs des avenues qui l’encerclent. Les gars ne sont chargés que d’un sac léger, sans arme. Pourtant, après seulement dix minutes de marche, la section s’étire sur plus de deux cents mètres. Pas moyen de faire recoller les traînards. En tête, j’ai l’impression d’avancer à un pas de sénateur rhumatisant. Je ralentis quand même, et la queue de peloton ralentit d’autant. J’ai beau vouloir prendre les choses avec calme et philosophie, je sens l’énervement monter. Comme l’impression que ces incapables se foutent de moi. C’est une réaction idiote, je le sais maintenant, mais sur le coup je n’arrive pas à me calmer. Lorsque nous revenons enfin dans la cour de la compagnie je lâche un bon coup de gueule. Avec le recul il me semble que je devais ressembler au sergent Moustache qui nous avait secoués lors de notre arrivée à Coët. Je colle la section au garde-à-vous pendant que j’arpente la cour en traitant mes hommes de tous les noms. Et puis je leur fais remettre le sac au dos pour des séries de pompes censées leur apprendre de quel bois je me chauffe. C’est ridicule, mais à ce moment-là je n’y peux rien : je veux me venger. Aveuglé par l’émotion qui me submerge, je n’ai aucun regard sur ce que je suis en train de faire, soit tout simplement un abus de pouvoir. Nous pompons jusqu’à ce que les premiers épuisés s’effondrent. Là seulement je suis satisfait. Odieux !

En cinq mois à Saint-Cyr j’ai appris beaucoup de chose. On m’a entraîné pour faire face à toute sorte de situations, on m’a poussé au bout de moi-même – encore que, il me restait peut-être de la marge – et on m’a donné quelques clés pour manœuvrer un groupe humain dans un objectif précis. Mais, à part l’intervention bénéfique de Poirier lors de mon catastrophique test de combat, jamais on ne m’a appris à ne pas déraper. Et c’est sans doute normal. L’encadrement et la doctrine estiment que je suis équipé d’origine de tous les freins moraux et psychologiques qui me doivent me permettre de ne pas abuser de mon autorité. Je suis un être humain, supposé de qualité, on m’a même traité d’élite de la nation, il devrait donc n’y avoir aucun risque : on peut faire de moi une machine à tuer pour entraîner d’autres machines à tuer sans qu’apparaisse le moindre problème, n’est-ce pas ? À l’évidence, non.

Il m’a suffi de croire que trente pioupious bafouaient mon autorité pour avoir l’envie et les moyens de me venger. Parce que cette autorité, qu’on m’a décernée rien qu’en me collant une barrette et deux traces de pneus sur l’épaulette, est maintenant incontestable. Je peux faire ce que je veux, exiger ce que je veux. Je n’ai qu’à dire que c’est dans un objectif de formation ou d’entraînement, et j’ai le droit de priver mes hommes de toute liberté, les fatiguer à crever, les empêcher de dormir ou les forcer à passer une journée au garde-à-vous sous la pluie. Ils pourront, s’ils en ont le courage ou l’audace, demander réparation de cet abus ensuite, mais le mal sera fait.

Après cet éclat je laisse la section aux bons soins des caporaux et rentre à Wagram prendre une bonne douche, tout pétri de satisfaction : ils ont vu qui est le chef ! Au mess le soir, les autres aspirants me chambrent sur les capacités de mes hommes. On les a vus s’écrouler après quelques pompes sac au dos, ils sont nuls, c’est drôle. Le bruit circule que la troisième section de la onze est un ramassis de ramollis. Mais s’y ajoute l’idée que je serais un dur, un vrai Mensch qui va apprendre à cette bande de lopettes ce que c’est qu’un soldat du 46 à Berlin. Après l’autosatisfaction monte en moi la fierté de la reconnaissance, tout aussi indue. Exalté par cette impression grisante d’être accepté et valorisé par mes pairs, je me surprends à défendre ma section. Ils ne sont pas si nuls, ils ont juste besoin d’un entraînement énergique et, vous verrez, il feront la fierté du régiment. Dans deux mois vous ne les reconnaîtrez plus !

Voilà donc ce qu’il est possible d’accomplir en transplantant un jeune savoyard diplômé dans le contexte militaire berlinois après l’avoir trempé dans le bain EOR : un complet basculement des valeurs. Il va me falloir un peu de temps pour en prendre conscience. Je vais encore avoir l’occasion d’abuser de mon autorité. Chaque fois je le ferai en ayant la conviction de bien agir, dans mon droit. Tout ce que je décide est validé par mon grade. Tant que je ne suis pas pris en faute directe, j’ai raison. Et je ne suis pas le seul. J’ai l’impression que, pour la plupart, mes collègues partagent cette certitude. Ce d’autant plus qu’ils ont moins de tempérament personnel, comme si la capacité à commander se nourrissait d’elle-même : moins les fondations sont solides, plus l’échafaudage militaire permet de s’appuyer hors de soi pour se hausser du col.

Heureusement, des types comme Poilade nuancent le tableau. Lui est quelques autres ont le caractère suffisamment trempé pour ne pas s’engouffrer dans les facilités autoritaires. Peut-être aussi ont-ils l’habitude d’un certain pouvoir, sinon sur les autres au moins sur eux-mêmes. J’apprendrai beaucoup à leur contact et je les en remercie encore aujourd’hui.

A suivre ici

Ouvertures

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 28 juillet, 2020

Réfléchir, visser, tester, modifier, en parler : ouvrir !

Ce week-end le club d’escalade proposait une formation Ouvreur permettant aux bénévoles de se perfectionner dans l’art de visser des prises sur un mur afin de proposer des voies et passages intéressants pour tous les grimpeurs, quels que soient leurs âges, morphologies et niveaux de pratique.

Au lieu de nous donner des trucs éprouvés (il est ouvreur pour des compétitions nationales), le formateur insista sur la méthode et l’état d’esprit à mettre en œuvre pour développer une voie qui vaille le coup.
Selon lui, il fallait d’abord avoir une envie ou un thème, puis tenter de le réaliser et enfin le faire tester à plusieurs grimpeurs pour voir ce qui marchait ou pas et pourquoi.
Ensuite seulement commençait le travail : se demander par quels moyens améliorer et se rapprocher de ce qu’on avait en tête au départ.
En interrogeant tous les participants sur un seul problème, il nous a fait toucher du doigt qu’il n’y a pas une solution quand le grimpeur ne réalise pas les mouvements escomptés, mais dix ou quinze, voire plus, et que toutes méritent d’être testées.

Cela m’a rappelé une réunion d’information sur l’éventualité de créer une ligne de téléphérique horizontale entre mon village et Annecy.
Le débat s’est très vite engagé entre ceux qui vantaient le téléphérique et ceux qui militaient pour une voie de bus en site propre.
Chacun argumentait sur sa solution au détriment de l’autre, comme si en choisir une éliminait d’office la deuxième.
C’était idiot et désespérant.
Face à notre problème de bouchons et de pollution, aucune solution unique n’est bonne ou suffisante : ce n’est qu’en multipliant les solutions que nous parviendrons à résorber les engorgements du trafic routier.
Les arguments de chaque bord étaient pourtant solides, bien exprimés, et voilà : dix ans après nous n’avons toujours ni voie de bus ni téléphérique. En revanche, le doublement des voies – travaux pharaoniques prévus sur trois ans – va encore accentuer l’emprise de l’automobile.

Une idée connexe se trouve à la page 417 de Ateliers, le livre où Jean-Claude Carrière détaille ses souvenirs de travail en tant que scénariste : « La scène peut être étrange et belle. Pour y parvenir, plusieurs chemins existent, comme toujours. Il s’agit de trouver celui qui frappe juste. »
Frapper juste ? Un film ou une pièce de théâtre doit en effet choisir la meilleure solution, la plus efficace, parmi les divers chemins qui s’offrent. La vie est plus large, heureusement.

Ce sera peut-être la grande leçon du Coronavirus : pendant le confinement, un peu partout, des gens ont testé des solutions au problème tel qu’ils le percevaient.
Certaines ont peut-être marché mieux que d’autres, mais le mouvement est lancé.
Dès aujourd’hui chacun peut comprendre qu’il n’y a pas besoin d’attendre des directives ou des moyens. Se retrousser les manches, se concerter, et tester, cela suffit pour avancer.
Ouvrir des voies. Créer ce qui n’existe pas encore, ou pas sous cette forme, le confier aux autres et observer.
Prendre le risque de l’échec au lieu de le craindre. En parler et s’écouter.
L’économie destructrice et les dictatures de tous poils ne devraient pas y résister bien longtemps.

Pour ceux que la réflexion intéressent, le site Où atterrir après la pandémie invite à se poser la question et y apporter des réponses (réfléchissez à ce que vous voulez changer avant de commencer à répondre, l’exercice est exigeant).

Berliner round 35 – pen pals

Posted in Berliner Round,Textes par Laurent Gidon sur 26 juillet, 2020

Deux jours plus tard, Mastard décrète que les pioupious sont présentables. Ils viennent donc un à un se présenter dans mon bureau, hésitant sur le salut et le garde-à-vous comme sur la formule nom+régiment+compagnie+section. Au début cela m’amuse. Je joue l’officier débonnaire, tente de les mettre à l’aise, leur pose des questions sur leurs origines ou leur activité dans le civil. Ils ont pour la plupart un niveau CAP, certains travaillent déjà depuis un an ou deux. Ils ne savent rien de Berlin, ont à peine entendu parler du Mur et se demandent bien ce que peuvent leur vouloir ces diables rouges de soviétiques : « c’est une équipe de foot, Mon Lieutenant ? » Au dixième je trouve ça moins drôle et au vingtième j’en ai marre. J’éprouve sans doute ce qui s’apparente à un mépris de classe. Plus que le décalage entre ce qu’ils vivent et ce que je ressens, c’est la répétition de ces ignorances qui me mine, comme si chaque nouvelle indifférence affichée au contexte berlinois venait augmenter la tâche qui selon moi m’incombe : les instruire. Et les rares éléments qui me semblent en savoir un peu plus en profitent pour se signaler par une certaine agressivité, comme s’il me reprochaient leur infortune et me tenaient personnellement responsable de leur présence à Berlin. « J’ai pas demandé à venir, Mon Lieutenant, et si ça va mal ici, j’hésiterai pas à vous attaquer en justice : c’est vous le chef, c’est vous qui prenez, fallait pas m’embarquer là-dedans ! »

Je finis la journée assez démoralisé. D’autant que j’ai réuni la section dans une salle de classe en forme d’amphithéâtre à gradins pour leur faire un point sur le programme des deux mois à venir. Mon idée est de les convaincre que je suis là, avec le sergent Mastard et les deux caporaux, pour leur faciliter la vie. Ils sont à Berlin pour y rester un an et, d’ici deux mois, intégrer une compagnie de combat pour faire rempart contre l’hydre soviétique. C’est donc en appliquant scrupuleusement tout ce que nous allons leur enseigner que ça se passera bien. Je leur propose de remplir chacun une fiche avec leurs nom et prénom, leurs éventuels savoir-faire ou qualifications, afin de mieux les orienter pour la suite. Il y a en effet des places de cuisiniers, de chauffeurs ou de secrétariat à pourvoir. Papiers et crayons sont distribués, la plupart des jeunes griffonne quelques lignes, certains transpirent sur leur feuille, d’autres n’écrivent rien, penauds. « Je sais pas bien écrire, Mon Lieutenant… » J’entendrai cette petite phrase murmurée plusieurs fois. Parmi les transpirants, l’un d’entre eux finit par se relever et brandir sa feuille avec fierté : « vous voyez bien, Mon Lieutenant, que je sais écrire ! » Il vient de mettre un quart d’heure à graver son nom en serrant son crayon dans son poing crispé.

Je ne sais pas s’il s’agit là d’un échantillon caricatural de la jeune population masculine française. Je referai l’expérience à chacun des quatre contingents que je recevrai, avec sensiblement les mêmes résultats. Ils me rappelleront les tests initiaux proposés lors des trois jours. Ces questionnaires déconcertant de facilité m’apparaîtront ainsi tout à fait adaptés à la moyenne des personnes à tester.

Est-ce l’école qui faillit à sa tâche pour laisser passer une partie d’une classe d’âge incapable d’écrire ? Peut-être, mais sans doute pas seulement. Certains de nos contemporains se passent très bien de l’écriture au quotidien. Dans cette fin des années 80 on pouvait vivre sans avoir jamais à prendre le crayon ou s’installer au clavier. Déchiffrer quelques mots usuels était suffisant, les tactiques d’évitement du problème n’étaient pas trop épuisantes. Entre la télé, la radio et le cinéma, rien ne vous poussait à vous intéresser à l’écrit. C’était sans doute inconfortable, mais vivable, avec pour conséquence de se trouver définitivement bloqué, dans son ascension sociale d’une part, mais aussi dans l’appréciation de tout un pan des loisirs dits culturels. En avaient-ils conscience, une fois les bancs de l’école désertés, lorsque plus aucun prof ne leur rappelaient leur inadéquation à la modernité ? Je ne sais pas.

Est-ce que la généralisation d’Internet, des PC et des smartphones a changé la donne ? Le service militaire n’est plus là pour mettre en lumière ces disparités, mais nous avons certainement d’autres sources de données. Aujourd’hui, lorsque j’anime des ateliers d’écriture dans des centres de formation des apprentis ou en milieu carcéral, il m’arrive de retrouver cette même défiance face à l’écrit. Des jeunes capables d’une pensée claire et structurée se braquent dès qu’il s’agit de l’inscrire sur papier. D’un seul coup, la langue leur échappe. Ce qu’ils savaient très bien exprimer un instant auparavant se transforme en bouillie de mots illisible et difficile à interpréter, même par eux.

Quoi qu’il en soit, me trouver alors confronté à cette situation imprévue m’a secoué. Qu’est-ce que je devais faire ? Y avait-il même quelque chose à faire ? Quelle part de mépris s’inscrivait dans ma réaction à la fois triste et effrayée ? Sur le moment, j’ai subi sans recul. Il fallait faire avec. Les autres aspirants se contentaient d’échanger au mess les anecdotes les plus croustillantes sur leurs propres pioupious illettrés, mais personne ne semblait vouloir y prendre une quelconque responsabilité. Il fallait classer et orienter en fonction de ces critères objectifs, sans rien y changer. Notre mission était de veiller à ce que tous aient acquis les gestes de base avant de les transférer sous d’autres commandements. La tenue du crayon n’en faisait pas partie.

Le soir-même je donne rendez-vous à Mastard pour une visite du casernement. J’ai envie de voir ma section – je commence à me l’approprier – sous un autre jour. Nous nous retrouvons à la compagnie après le dîner et nous montons vers les chambres. Il en sort un brouhaha joyeux. Lorsque nous pénétrons dans la première chambre, le caporal qui nous aperçoit crie le « Fixe ! » de rigueur. Les gars manquent de réflexe et mettent longtemps à obéir. Certains, qui semblaient sortir de la douche, étaient en train de se courir après en faisant claquer leur serviette. Mastard reste calme, moi aussi, nous attendons le silence. Tous me regardent, et je me rends compte que je ne sais pas quoi leur dire. Le caporal Krishna me jette un œil mauvais, comme si je venais de pénétrer de façon indue sur son territoire personnel.

C’est d’ailleurs un peu le cas : pendant les heures où la section est laissée sous sa responsabilité, il est le maître ici. Débarquer sans prévenir confine à l’impolitesse. Je décide de passer outre et demande à la cantonade si tout va bien. Pas de réponse. « Vous avez bien dîné ? » Les gars s’échangent des regards, mais personne n’ose prendre la parole. Mastard intervient : « Allez, le jeunes, faisez pas la mauvaise tête, on va pas vous bouffer. Y avait quoi d’bon à l’ordinaire ? » J’entends fuser un « de la merde ! » qui fait ricaner tout le monde sans que je sache qui a osé, et c’est tant mieux : je n’aurais pas su comment réagir. J’ai presque envie de leur détailler le menu du mess, juste pour leur prouver qu’on s’en sort mieux si on fait les EOR. C’est nul, mais soudain ils m’énervent. À la place, je tente un coup de bluff en affirmant que s’ils bouffent de la merde, il faut me le dire, et j’interviendrai auprès du chef des cuisines. Krishna s’étrangle, mais n’ose pas me contredire. La conversation s’engage avec quelques gars, dont un qui est cuistot dans le civil. Selon lui, ce n’est pas si mal pour de la nourriture de collectivité, mais il suffirait de s’y prendre un peu mieux, à la cuisson notamment, pour que ça s’améliore sans coûter plus cher ni prendre plus de temps. Je note ce qu’il me dit, à tout hasard. De toute façon, l’objectif que je n’avais même pas formulé en arrivant est atteint. J’ai brisé la glace et je me suis positionné comme partenaire et pas seulement comme autorité. Ils comprennent que le pouvoir que les gradés ont sur eux est aussi un pouvoir sur leur environnement et la qualité de leur quotidien. Ouf, je n’y avais pas pensé, mais ça vaut le coup.

Au retour, je croise Ractiv qui rentre vers la cité Guynemer où sont logés les militaires d’active et leurs familles. Il y a obtenu un appartement comme VSL. Toujours élégant dans ses rapports avec ceux qu’il considère comme inférieurs, il me demande ce que je fous là. Quand il apprend que je suis venu border ma section avant de lui souhaiter bonne nuit, il se lance dans un grand discours sur la distance qu’il faut conserver entre la troupe et son commandement. Nous ne sommes pas là pour nous faire des copains, mais pour nous faire obéir. Si un jour je dois les mener au combat, il faut qu’ils aient plus peur de moi que de l’ennemi.

Même si je sens une base de justesse, cette tirade me coupe un peu les pattes. J’ai vraiment l’impression d’entendre la plus mauvaise part de moi exprimer à la fois ses craintes et son mépris, voire une certaine agressivité. Comme si le fait d’être chef de section était une déclaration de guerre permanente, non contre les Soviétiques de l’autre côté du Mur, mais contre l’insubordination ou le manque de respect de nos propres hommes. Je n’aime pas ça. Je l’aime d’autant moins que j’ai peur d’y succomber. Car ce que me dit Ractiv va se justifier bientôt : en cherchant une trop grande proximité avec mes gars, je risque de faire passer l’émotionnel avant le factuel. Cela peut être agréable quand tout va bien, mais devient dangereux au moindre accroc. Et ce militaire, un peu trop carré peut-être, a cependant bien raison de me mettre en garde contre la tentation du copinage. Sous un vernis amical de surface couve toujours la nécessité de donner des ordres d’un côté, et d’y obéir de l’autre. Ce n’est pas négociable et cela ne doit pas le devenir. Les pioupious, mais aussi les caporaux ou le sergent, le savent bien. Même s’ils peuvent à l’occasion me faire croire à une certaine complicité ils ne me rateront pas si je fais preuve de défaillance. Et moi-même je risque d’abuser de mon pouvoir si je me sens trahi. Les dés sont jetés. Je rentre à Wagram dans une certaine expectative que les jours suivants vont me faire un peu oublier.

A suivre par ici (clic)

Berliner round 34 – Iltis

Posted in Berliner Round,Textes par Laurent Gidon sur 24 juillet, 2020

Le lendemain matin, purgé des excès de boisson, j’attends tranquillement dans mon bureau l’arrivée de ma section. Un dernier point avec Mastard, Rondouille et Krishna m’a conforté dans ma sérénité. Tout ira bien, puisque tout le monde me le dit.

Lafeuille me fait appeler pour prendre le café dans son bureau. Je crois à une invitation de courtoisie, mais non, c’est boulot boulot. Les deux autres chefs de section sont là aussi, autour de la table ronde. Nous parlons du nombre d’appelés en jetant un coup d’œil sur les listes transmises par télex et vérifiées par le B2. Il y a surtout des Bretons et des Alsaciens. Et pourquoi pas des Antillais ? Je n’ai jamais compris cette idée bizarre d’envoyer des gosses de la façade atlantique se morfondre dans les frimas les plus continentaux à notre disposition. Peut-être s’agissait-il de regrouper des jeunes partageant au moins une origine commune pour créer plus vite un esprit de corps propre à ces unités éloignées de la métropole. Ou alors, le hasard d’un doigt posé sur une carte.

Nous entendons les camions se garer dans la cour. Chacun va les observer, sans se montrer, depuis les fenêtres du couloir. Il pleut légèrement, déjà un froid d’octobre. Les jeunes descendent des hautes plateformes, maladroits, se passent de petites valises, se posent en plusieurs tas informes. Je me revois, cinq mois plus tôt, aussi perdu, désemparé, agressé par un lieu et une ambiance inconnus. Étrangement, au lieu d’éprouver de la compassion ou de la proximité avec ces pioupious éjectés du train et de leur quotidien, je ne ressens que de l’agacement. Comme si j’étais passé, par la grâce des épaulettes, dans une humanité supérieure. Aujourd’hui, longtemps après, je ne suis pas fier de ce sentiment malsain. Je me demande s’il était alors entièrement mien, ou s’il naissait du long bourrage de crâne subi à Saint-Cyr. On m’avait fait croire, à la dure, que j’étais l’élite de la nation et que je devais me comporter comme tel. Au début, cela m’avait juste fait rire. Malgré mes résistances une bonne part de l’idée s’était frayé un chemin en moi, sans doute. Et là, je regardais en ricanant une centaine de pauvres gamins que sergents et caporaux tentaient de ranger par section, les secouant de plus en plus durement. « Bien, ça avance, parfait, pas besoin de nous. Gidon, profitez-en pour aller reconnaître Heilligensee… » lâcha le capitaine en rentrant dans son bureau.

Heilligensee, c’est le terrain de manœuvre. Bogoss et Poilade m’en ont parlé comme un endroit sympa où l’on fait un peu ce qu’on veut. Un grand bac à sable pour gamins joueurs. Je demande une jeep et un chauffeur à la semaine – mon permis civil ne m’autorise pas à conduire des véhicules militaires – et je me retrouve avec un Denfer narquois, tout content d’échapper aux tâches administratives d’incorporation. « Accrochez-vous, mon Lieutenant, on va se secouer un peu dans les dunes ! » Je ne suis pas sûr de comprendre de quoi il parle, mais je m’accroche.

La jeep est un modèle Iltis de l’armée allemande, beaucoup plus stable et confortable que les vieilles Hotchkiss (héritées de la Seconde Guerre Mondiale) que j’ai conduites à Coët. Il y a notamment une solide paire d’arceaux capable de protéger les occupants en cas de renversement. Le cas a été expérimenté par Bogoss qui fut pris dans un dramatique accident aux Écoles. La Hotchkiss dont il était passager arrière a quitté la route dans une descente et s’est retournée. Lui et le passager avant ont été éjectés dans le caniveau pierreux, mais le conducteur s’est retrouvé écrasé sous la jeep, mort sur le coup. Un élève officier de 22 ans, comme nous. Dans la frénésie de notre formation, nous n’avions même pas été informés de l’événement survenu dans la compagnie d’à côté. Bogoss me le racontera à mon retour du terrain de manœuvre où j’ai bien failli me distinguer.

Après quelques kilomètres d’avenues et de rues citadines, Denfer s’engage dans un lotissement qu’il traverse, la route se transformant bientôt en chemin de sable creusé de deux ornières. Nous pénétrons sur un vaste terrain vallonné, bordé d’arbres et parsemé d’espaces boisés. Plusieurs buttes sont parcourues de chemins, de sentiers et de traces de roues. On voit le sable entre les troncs de pins et d’érables, puis ce sont carrément des dunes hautes d’une trentaine de mètres. Denfer s’amuse à les parcourir à fond, faisant danser la jeep d’une ornière à l’autre.

J’ai envie de jouer aussi. Il me laisse le volant et je me lance dans une série de dérapages qui tracent de larges cercles et font fuser le sable. Sans vrai expérience du tout-terrain, à part quelques conduites sur neige avec la Panda 4×4 de mon père, j’enclenche le crabot pour passer en transmission intégrale. J’attaque une côte en visant le sommet de la dune, histoire de voir un peu plus loin. Ça patine un peu, mais je gère à l’embrayage et ça passe. En haut, les arbres me cachent l’ampleur du terrain de manœuvre. J’ai quand même l’impression que ce n’est pas bien grand pour jouer à la guerre. J’amorce la descente en pente raide. Très raide ! Mauvais réflexe de skieur, j’incline ma trajectoire pour couper la pente de biais, ce qui me semble moins abrupt. Denfer attrape soudain le volant et me remet droit. Il ne rigole plus du tout. « Toujours droit dans la pente, merde ! Sinon on bascule et on descend en tonneaux. Fais gaffe, quoi ! » Arrivé en bas je plante la jeep dans un bourrelet de sable et je lui rends les clés. Pas question pour moi de conduire ces trucs là ! Pas question non plus de relever le ton et le tutoiement du sergent : j’ai encore failli me couvrir de ridicule. Bogoss me le confirmera ce soir quand je lui raconterai mes déboires : la Iltis nous aurait protégés, bien mieux qu’une mortelle Hotchkiss, mais me retrouver à remplir un rapport d’accident pour ma première sortie n’aurait pas fait joli sur mes états de service.

Nous finissons le tour du terrain à petite vitesse. Comme les forêts que j’ai pratiquées autour de Coët, le sol est creusé de trous de combat et parsemé de munitions à blanc, d’éclats de grenade et de traces de plâtre. Mais ici, c’est à la fois sauvage et urbain, les premières maisons n’étant qu’à deux ou trois centaines de mètres. Aucun animal, à part quelques corbeaux… et bien sûr l’ours pédé d’Heiligensee, censé venir réveiller les appelés endormis à la garde pour leur faire subir les derniers outrages. Cette légende semble remonter aux premières manœuvres des forces françaises stationnées à Berlin – ville dont la mascotte est un ours – et se propage depuis, de contingent en contingent. Denfer me la raconte avec gourmandise, en me prévenant que je n’ai pas à en parler aux hommes (Mastard s’en chargera, la légende se répandra) et que je ne dois surtout pas la contester. La tradition doit se perpétuer !

Nous laissons la voiture pour marcher un peu. Je cherche à prendre des repères. Il me faut sortir ma carte – en fait un plan touristique de Berlin – et je ne m’y retrouve pas du tout. Denfer rigole. Il me dit de ne pas m’inquiéter : pour rentrer au quartier à pied, je n’ai qu’à quitter le terrain par le sud-est et suivre les panneaux. Je scrute quand même le plan, cherchant à graver cette configuration bizarre dans ma mémoire. Le chemin du retour passe par un quartier résidentiel, longe un lac, traverse une forêt où des dizaines de chemins se croisent sous tous les angles, puis longe l’aéroport de Tegel (un repère sonore intéressant), et franchit le Kurt Schumacher Damm avant d’arriver à l’entrée principale. J’ai beau faire, ça ne rentrera jamais vraiment et après cinq ou six mois d’allers-retours je continuerai de me perdre à un endroit ou à un autre.

De retour au quartier je passe voir où en sont les nouvelles recrues. Le coiffeur est en train de les mettre aux normes. Je lui glisse de ne pas les traumatiser et d’éviter les « têtes à record ». Le jeune homme affecté à la tondeuse ne semble pas comprendre de quoi je parle, mais il acquiesce en me rappelant qu’il y est passé voici tout juste quatre mois. OK, il faut que je m’habitue au fait que, même avec un entraînement et un grade d’officier, je débarque dans un environnement où tous les autres en savent plus que moi.

Après le repas au mess quelques aspirants me proposent avec gourmandise une dégageante dans Berlin. Il s’agirait d’une sortie beuverie écumant les établissements les plus classes qu’ils connaissent, dans l’objectif à peine voilé de m’impressionner. Je les suis avec plaisir en espérant découvrir enfin ce qui fait la particularité de ce lieu unique au monde, enclavé en plein bloc de l’Est et attirant tout ce que l’Occident produit de plus extrême. Nous remplissons une voiture avec XPont et XMines, deux aspirants en cours d’études à l’école Polytechnique, Fumette qui conduit et Trainglot qui fait navigateur.

La soirée ne m’a pas laissé de souvenirs inoubliables. De bars d’hôtels en comptoirs sous néons j’ai eu l’impression de me promener dans une version internationale sans âme des classiques points de chute pour cadres supérieurs. Nous buvons des alcools, certes raffinés, mais dans des lieux interchangeables aux atmosphères fabriquées de toutes pièces. Rien à voir avec les pubs irlandais que j’avais découverts à Dublin et dans les villages reculés autour de Galway, ni même avec certains bistrots parisiens dont le caractère affirmé tenait lieu de décor et où j’allais chanter (beugler ?) en yaourt pendant que mon stagiaire américain m’accompagnait d’une guitare approximative. Cette première équipée berlinoise demeure toutefois agréable, les jeunes aspirants étant d’une compagnie des plus plaisantes. Je rentre avec les chaussures à bascule et me réveille le lendemain en hébergeant un gang de kangourous sautillants dans ma tête.

A suivre ici…

Plus moins mieux égale ?

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 23 juillet, 2020

Champ

Permettez-moi de citer le journal qui cite :

C’est par une nouvelle formule que le chef de l’Etat a présenté le cap écologique des deux prochaines années : « Je crois à cette écologie du mieux, pas à cette écologie du moins. » Reprenant un item développé à de nombreuses reprises, Emmanuel Macron a assuré vouloir combiner économie et écologie. Le plan de relance qui se profile doit être, selon lui, « l’opportunité, [de construire] un modèle qui est à la fois écologique, industriel et environnemental ». « On ne va pas recréer l’industrie d’hier, mais on peut, en France, redevenir une grande nation industrielle grâce et par l’écologie. »

C’est quoi, une grande nation, Ô Cher Grand Timonier ?

C’est quoi d’ailleurs une nation, quand les problèmes qui nous traversent se foutent des frontières, des États et même (surtout ?) des dirigeants qui les dirigent ?
Aurions-nous voté, à notre tour, pour un shérif en chef qui nous promettrait de Make France Great Again ?

Alors oui, nous avons besoin d’industrie. Trop de confort acquis et d’intelligence dépensée depuis des générations nous oblige à poursuivre dans cette voie pour vivre pleinement.
Sans l’industrie comme machine à tisser le social, c’est l’effondrement et le survivalisme qui nous rattraperont (je sais, j’affirme sans preuve, cherchez vous-mêmes).

L’enjeu n’est donc pas d’être industriellement grand, ni même d’être une nation industrielle. Ce qui compte c’est d’être suffisant.

Jusqu’ici, une sorte de paresse théorique a placé le marché libre comme unique régulateur de ce qui doit être produit et reproduit. Selon les calculs il n’y aurait pas d’autre solution efficace. La preuve : toutes les économies planifiées ont conduit à la dictature, la misère et l’effondrement.

Hourra pour le marché libre, donc.

Mais pourquoi le traduire par course au profit ou, une croissance verte ?
Abandonner la gestion de l’écologie à une notion de croissance, même verte, ne conduira qu’à cela : une croissance de moins en moins verte, de plus en plus sale, gourmande, autocentrée.
Cela nous créera forcément – comme pendant les 150 dernières années – une écologie du plus, ainsi que l’énoncerait fièrement notre Leader Maximo.

Je fais de l’économie de comptoir, mais n’y a-t-il pas une nouvelle voie à tracer, en commençant par remettre à plat comptabilité et fiscalité ?
Ce sont ces deux outils, confiés à des gestionnaires du profit, qui nous ont conduits là où nous sommes.
Introduire l’écologie (l’impact environnemental, l’épuisement des ressources…) dans la comptabilité, de façon robuste et incontournable, sera le socle. On attaque par en bas.
Faire évoluer la fiscalité vers une taxation du profit marginal (clic)  (et non du revenu ou du seul bénéfice) sera l’attaque par le haut.
Entre les deux, nous serons libres de créer, produire, vendre, améliorer, là où il y en a besoin, en sachant quand nous arrêter.

Tenez, aux prochaines élections, votez pour moi !

—————–

La lecture du moment reste Karoo, de Steve Tesich, chez Monsieur Toussaint Louverture

Berliner round 33 – équipe

Posted in Berliner Round,Textes par Laurent Gidon sur 19 juillet, 2020

De retour dans mon bureau j’y trouve un sergent débonnaire qui m’attend, assis sur une des petites chaises de métal. Il se lève à mon arrivée, salue et se présente avec l’accent du Sud-Ouest : « Sergent Mastard, affecté à la troisième section, mes respects Mon Lieutenant ! » J’en suis tout ému et oublie de le mettre au repos. Il reste au garde-à-vous et je dois insister pour qu’il accepte de s’asseoir. Nous entamons une discussion détendue au cours de laquelle Mastard me dit que tout va bien se passer. C’est un appelé, comme moi, presque aussi grand mais avec un physique de lutteur de foire dont chaque geste fait gonfler un muscle à travers le treillis. Le genre de type pour lequel on se dit, en le côtoyant : « heureusement qu’il est gentil ! »

Gentil et efficace. Mastard a déjà formé deux contingents de pioupious, ainsi qu’il appelle les nouveaux arrivants à Berlin. Il sait comment s’y prendre et va m’aider à établir le programme, mais aussi à gérer les deux caporaux qui nous sont affectés. Selon lui, ce sont des gars sympas mais qui manquent d’expérience. Bien coachés, ils ne poseront pas de problème. Je suis d’accord sur le principe, bien content d’avoir quelqu’un de compétent sur qui me reposer. En fait, tout va se passer comme lors de mon arrivée à Coëtquidan, sauf que je serai de l’autre côté du fouet, côté manche : le sergent et les caporaux vont faire acquérir aux pioupious les rudiments de discipline militaire avant de me les présenter déjà un peu usinés.

Mastard me tuyaute aussi sur quelques usages de la compagnie, ce qu’on peut demander au service de semaine, à qui et quand commander les munitions pour le tir et les sorties terrain, comment déposer des demandes pour l’usage du terrain de manœuvre ou des infrastructures sportives. « De toute façon, ça se passe toujours bien. Pas de mauvais coucheurs, tout le monde s’arrange pour que ça roule. Ce qui compte, c’est que les recrues s’en sortent sans trop de casse. » OK, bien pris, merci.

D’un seul coup je touche du doigt l’étendue de ma responsabilité et celle de mon incompétence. Je sais commander une section au combat pour de faux, mais je n’ai aucune expérience du programme d’instruction pour de jeunes appelés. Heureusement, un manuel posé en évidence sur l’étagère du bureau détaille tout ce qui doit être fait. À moi de mettre ça en musique, harmonisée avec les autres sections. Il ne s’agit pas de management de haut niveau, mais dans le civil je n’ai jamais eu plus qu’un stagiaire à faire travailler et je pouvais planifier la veille pour le lendemain : là il va me falloir acquérir un peu de méthode. Je n’hésite pas à m’en ouvrir à Mastard, lui demandant de me faire part de toutes ses remarques et suggestions. Il semble l’accepter avec un peu de soulagement, comme si cette humilité était pour lui la base d’une collaboration fructueuse et sans accroc.

Ensuite se présente un jeune homme à l’embonpoint jovial : le caporal Rondouille. Il sort tout juste du peloton d’élèves gradés, très content d’arborer une barrette sur son treillis. J’ai l’impression qu’il sera parfait pour mettre à l’aise les nouveaux. Je lui accorde ma confiance en lui rappelant que je suis un appelé moi aussi, que je ne connais encore rien de Berlin et que je compte sur lui pour que tout roule dans la chambrée qui lui sera affectée. Il en est tout rose de fierté. Un autre caporal prend sa place dans mon bureau. Petit, très mince, un teint très sombre et de grands yeux noirs, peut-être d’origine indienne : j’hésite à l’appeler Krishna. D’autant qu’il semble vouloir s’imposer dans son tout nouveau grade, et il s’affirme avec une certaine dureté, voire de la défiance. Je tente de le mettre à l’aise en lui servant le même discours humble sur mon inexpérience. Mais il n’y réagit pas très bien, comme s’il cherchait déjà le défaut de commandement dans lequel s’infiltrer pour acquérir plus de pouvoir. Bon, je garderai Krishna à l’œil tout en veillant à ne pas envenimer les choses.

Avec Mastard et les deux caporaux nous établissons le programme du lendemain, préparons les papiers à faire remplir aux arrivants, et je m’en vais en les laissant finir de peaufiner les détails. La confiance, ça commence maintenant. En passant devant le bureau de la semaine, j’entends une musique qui m’attire l’oreille. Oui, c’est bien un morceau de Tom Waits, sur son album Frank’s Wild Years sorti l’année précédente, fleuron déglingué de ma toute jeune CD-thèque. L’artiste n’est pas très connu en France et je suis surpris de le croiser ici. Je frappe et entre. Un jeune sergent est renversé sur sa chaise, bras croisés derrière la nuque, pieds sur son bureau. Il me regarde entrer avec le sourire, sans rectifier la position, à l’aise dans son domaine. Heureusement pour moi, je ne m’en formalise pas. Nous parlons musique : il écoute Tom Waits sur un petit radio-cassette, avoue apprécier pour la détente mais préfère bouger sur des trucs plus pêchus. Je lui demande où il bouge et il me parle de plusieurs bars où trouver à la fois une musique de pointe et une ambiance accueillante. Ça m’intéresse. Il est de permanence jusqu’à la fin de la semaine – d’où l’appellation « de semaine » – mais sera très content de m’emmener faire un tour là où ça bouge dès qu’il peut se libérer. En attendant, que je ne m’inquiète pas : tout ira bien avec les nouveaux.

Ce type m’intrigue d’emblée. Un physique impressionnant déjà : gueule d’enfer, visage en lame profondément creusé de cicatrices d’acné, yeux gris clairs empruntés sans doute à un chien eskimo, minceur toute en densité… Et une attitude générale à la fois tendue et décontractée, comme une corde de violon aussi prête à chanter qu’à claquer. Il ferait presque peur s’il n’y avait ce sourire gourmand sur dents de loup. Il n’a jamais été question de grades entre Denfer et moi, à peine de fonction. Il me sera utile quand il le pourra, dans le cadre du quartier Napoléon, et me servira de guide vers un Berlin underground où je me sentirai très vite à l’aise.

Pour l’instant, je dois me préparer à accueillir ma première section d’instruction. En partant vers Wagram je passe devant le bureau de Lafeuille, porte ouverte. Le capitaine m’invite à entrer. Il tient à me rassurer : demain, tout ira bien. À se demander si tout le monde s’est donné le mot pour m’inciter à ne pas voir de problème… là où il n’y en sans doute pas. À force, cela pourrait presque entamer ma carapace d’invincibilité longuement polie à Coët.

Le soir, je paye mon coup à tous les aspirants présents au bar du mess. Les tournées s’enchaînent, l’ambiance vire au carabin. On fait assaut de testostérone croisée de franchouillardise. Les brillants officiers se transforment en coqs de basse-cour. Il y a quelque chose qui m’agace dans cette virilité de surface, trop prompte à s’afficher. J’y vois un effet de groupe, mais pas seulement. Une sorte de culture militaire machiste s’est déjà infiltrés dans ces esprits pourtant certainement raffinés pris dans un autre cadre. Quelque chose que je n’avais pas senti à Coët où nous n’avions que des problèmes de sous-merdes et aucune raison de nous prendre pour des hommes. Est-ce un effet de Berlin, de l’éloignement, du manque de contacts avec la population ? Je ne sais pas. Peut-être cela vient-il de notre statut d’appelés, officiers de passage souffrant d’un complexe d’imposture sous le regard des vrais soldats : ils en font plus, voire trop, afin de passer pour ce qu’ils ne seront jamais vraiment.

La conversation tourne bientôt autour d’une serveuse allemande du mess, louée pour son physique lumineux mais fortement décriée pour un petit diamant qui orne sa narine. En 1988 le piercing n’est pas encore tendance, pas du tout, pas en France en tout cas. On parle donc de « celle qui a un os dans le nez » pour fustiger ces Teutonnes grossières, probablement pas épilées des jambes, mais qu’en bons Français on aimerait bien culbuter à la hussarde, là, sur une table à nappe blanche et si possible sous les yeux de tous.

En quelques heures le ton est donc donné. Une musique dissonante où luttent le blues-rock déglingué de Tom Waits, plein d’ironie et d’élégances cachées, unique, osé, et la chanson de troupe, lourde, grasse, facile à reprendre en cœur même sans connaître les paroles, histoire de faire corps et oublier un peu son individualité. Je ne peux pas prendre l’un sans me frotter à l’autre. C’est une partie de ce que j’ai appris aux EOR : dans le contexte militaire il n’est pas question de rester en marge. Il faut jouer le jeu, à fond, en tentant certes de rester soi-même, mais sans pouvoir échapper à l’atmosphère ni même la modifier. Toute tentative dans ce sens serait perçue comme une critique, suivie d’une mise au ban. Dangereux.

Je rentre à Wagram avec les autres. Nous avons tous chaussé les chaussures à bascule. Certains ont même fait usage du vomitorium. Je ne me rappelle pas quelle cassette j’ai mis dans mon Walkman pour retrouver un peu de moi-même. Les sept mois suivant vont me voir naviguer ainsi, entre la banalité crasse de la condition militaire et les fulgurances de Berlin, peut-être alors le lieu le plus avant-gardiste de la planète.

à suivre ici (clic)

Berliner round 32 – 46

Posted in Berliner Round,Textes par Laurent Gidon sur 13 juillet, 2020

Quelques babioles d’époques que j’ai gardées…

J’erre dans les couloirs de la onzième compagnie. Les nouvelles recrues vont arriver dans le train de la nuit, je n’ai pas grand-chose à faire en les attendant. Le sergent de semaine m’a montré mon bureau : un espace sans âme, avec un tableau d’affichage, une table et des rangements métalliques, quelques chaises. Mais c’est mon bureau, mon territoire. De même que j’ai maintenant ma chambre personnelle à Wagram, ce petit lieu avec mon nom inscrit sur la porte signale que, ça y est, je suis officiellement un officier, avec son espace de pouvoir.

J’en ai vite fait le tour, j’ai compté mes crayons, mon agrafeuse, mon rouleau de scotch, mon téléphone (ligne interne au quartier), mes porte-dossiers suspendus, et je suis sorti. On m’a parlé d’un sergent et de deux caporaux dont la fonction sera de m’assister. Ils vont venir se présenter quand bon leur semblera. Je pourrais donner un ordre, les envoyer chercher. À quoi bon ? En attendant, je musarde.

Le bâtiment arbore une architecture en peigne incurvé à quatre dents. Le couloir du bas longe d’un côté les bureaux et distribue les accès aux ailes des différentes sections de l’autre : à chaque section une dent du peigne. J’ai la troisième, tout au bout, avant une dernière dent prévue pour héberger des personnels de passage, l’intendance et un foyer des gradés à l’étage. Cette pièce, fermée par une clé qu’il faut demander au bureau de semaine, permet aux caporaux et sergents de s’offrir une pause protégée des exigences incessantes de leur section. Il y a un bar, un frigo, des fauteuils, un magnétoscope et un vieux poste de télé. Nous sommes en 1988, n’oublions pas, en pleine ère VHS. Dans l’aile de ma section se trouve au rez-de-chaussé une salle de classe et à l’étage deux chambrées d’une quinzaine de lits. Chaque chambrée sera sous la responsabilité d’un caporal. Les sergents logent dans un bâtiment où sont regroupés les sous-officiers appelés. Est-ce pour bien marquer l’écart avec l’hôtel Wagram des aspirants qu’on leur a choisi cet espèce de HLM sans grâce ? J’espère que non, mais tout de même…

Lorsque je descends l’escalier, un aspirant inconnu sort de mon bureau et se dirige vers moi. Il m’aborde sans un bonjour : « C’est toi le nouveau de la 11 ? » J’acquiesce. « Tu pourrais saluer un plus ancien dans le grade ! » Je ne sais pas pourquoi je ferais cela, on ne m’a jamais parlé d’une telle exigence. Le type m’attrape alors par le col de mon treillis et me colle au mur en me soulevant presque. Il plonge ses yeux dans les miens pendant que je me demande si je dois me dégager ou s’il s’agit encore d’une forme de bizutage dont je dois me tirer par le calme et la soumission. « On saura très vite ce que tu vaux exactement… » lâche-t-il avant de me tourner le dos et de partir sans un mot de plus.

« Ah, je vois que tu as rencontré Ractiv ! » me crie Bogoss depuis le l’autre bout du couloir. Mon collègue, chef de la deuxième section, me décrit cet aspirant comme un fana mili très contrarié de n’avoir pas pu faire le vrai Saint-Cyr. Il s’est contenté des EOR et a rempilé en fin de temps réglementaire pour un VSL, volontariat service long, qui lui permettra d’obtenir le grade de sous-lieutenant. Ractiv n’en a pas encore reçu la notification officielle, et ça l’énerve un peu. Déjà huit mois qu’il est à Berlin : même s’il paraît parfois un peu cassant, c’est une mine d’informations à entretenir. OK… Heureusement, à de rares exceptions près il sera d’un abord beaucoup moins revêche.

Mon téléphone sonne (j’existe !). Un appel du sergent de semaine me signale qu’on m’attend au bureau du commandant de bataillon pour m’y présenter. Je cherche un peu mon chemin dans le quartier avant de trouver les bâtiments du 46, assez éloignés de la 11ème Compagnie. Hauts murs noircis par le temps et ajourés de nombreuses fenêtres sans volet, entrée par une percée dans ces remparts jusqu’à une grande cour carrée : on se croirait dans un château médiéval s’il n’y avait ces Jeeps et camions garés en rangs d’oignons. Un porche surélevé de quelques marches désigne l’accès principal. Un panneau aux lettres strictes annonce 46ème Régiment d’Infanterie La Tour d’Auvergne.

J’entre, demande le bureau du commandant et monte. À l’étage, les marches de béton font place à une épaisse moquette. Au fond du couloir une fenêtre est encadré de drapeaux et étendards. Cela sent le haut commandement ! Légère appréhension avant de frapper : toujours ce besoin de correspondre à un personnage qu’il me faudrait plaquer en surface, sans vraiment savoir ce qu’on attend de moi. Cinq mois d’usinage à Coët, et pourtant je me sens toujours en marge des usages de l’armée, fragilisé par un complexe de l’usurpateur et craignant à tout moment d’être découvert.

Mais il y a aussi ce vernis d’assurance acquis à la dur : je frappe, deux coups fermes, décidés. Une voix me dit d’entrer, j’entre, claque un garde-à-vous et un salut impeccable avant de me présenter dans les formes, sans oublier d’ôter le béret. Et ça passe. Le commandant Secos, assis à son bureau, me met au repos et m’invite à m’asseoir sur une petite chaise en face de lui.

Je ne maîtrise pas encore le langage informel qui m’aurait permis de décrypter nos rapports. S’il m’avait invité à la table ronde entourée de quelques chaises type Le Corbusier en tubes et cuir, cela aurait signifié une discussion amicale sans notion de grade, ou un échange opérationnel d’importance autour d’une carte d’état-major. Ma position actuelle, séparé de lui par son bureau encombré, accuse la différence de grades. Je ne suis que le nouvel aspirant. Secos parcourt un dossier qui semble être le même que celui dont disposait le capitaine Lafeuille, mais il en fait un autre usage. « Ah oui, bien, quatrième de la promo, pas mal du tout. Bon, je vois à qui j’ai affaire, et je suis bien content de votre affectation au 46 : bienvenue, vraiment. Je me permets de vous accueillir au nom du colonel qui est en déplacement en France et vous demande de l’en excuser. Bon. Là, vous êtes affecté à la 11, c’est la tradition, et puis c’est toujours intéressant de se faire la main sur quelques nouvelles recrues à instruire, n’est-ce pas ? Mais sachez bien que nous vous proposerons vite une section en compagnie de combat, pas de problème, vous le valez bien. Et bien sûr, aucun souci pour un volontariat service long : j’approuve d’avance votre demande. Vous verrez, Berlin est une mine pour les hommes comme nous : c’est là que ça se passe, pour de vrai ! Vous ne le regretterez pas. »

J’en reste abasourdi. Dois-je lui avouer, comme à Boulaz, que je suis là par antimilitarisme primaire, pour avoir le moins de crétins satisfaits et autres badernes de son genre au-dessus de moi ? Dois-je lui préciser que j’ai choisi Berlin pour le tourisme et pas pour y combattre qui que ce soit, surtout pas les hordes soviétiques ?

Non, je ne dis rien. Par faiblesse ou calcul, je me tais et hoche la tête d’un air entendu. Secos me détaille alors tous les avantages qu’il y a au casernement berlinois. D’abord, une solde en marks doublée par le sénat de Berlin : l’équivalent pour moi, officier mieux payé que l’appelé de base, d’un gros SMIC d’alors, à dépenser comme argent de poche dans les bars et restaurants de la ville. Et puis, les contacts enrichissants avec les autres unités françaises, mais aussi anglaises et américaines, sans parler des tournantes, ces compagnies de remplacement venues de métropoles pour compléter les effectifs pendant les permissions. J’apprécierai la qualité des infrastructures, la piscine, le mess, et surtout, surtout, les passages à l’Est. « C’est une survivance des accords que ce diable de De Gaulle avait arrachés : tous les militaires d’une nation occupante ont un accès libre aux secteurs des autres nations. On ne se rend même pas compte qu’on passe en secteur anglais ou américain, mais en secteur soviétique, alors là… Vous verrez, c’est instructif. Et puis, on peut y faire de bonnes affaires ! » Il termine sur un clin d’œil qui m’écœure un peu.

Je manque de connaissance et de recul historique. Pour moi, l’Est c’est l’ennemi. Un ennemi de cinéma, combattu par James Bond ou l’espion qui venait du froid. J’ai d’ailleurs passé ma première nuit berlinoise à surveiller une zone qui aurait pu être le Mur, prêt à couvrir d’éventuels transfuges faisant défection à cette dictature du prolétariat. M’y promettre de bonnes affaires après m’avoir assuré d’un futur poste en compagnie de combat ? Autant me proposer d’arroser d’essence un petit feu naissant pour avoir l’honneur de l’éteindre au Canadair.

Je touche pour la première fois du doigt le paradoxe de Berlin : nous sommes là pour y préparer la guerre contre un ennemi qui nous accueille derrière la ligne de front, dans ses établissements de luxe et ses grands magasins, vitrines idéologiques censées nous convaincre de sa supériorité. Pris dans ce dilemme – combattre ou profiter – les militaires alliés se partagent chacun entre rigueur militaire collective et profit individuel. En groupe, sections, compagnies, régiments, nous sommes des unités combattantes. En bandes de trois ou quatre nous sommes les bienheureux clients d’un système économique qui fait de nous des rois du pétrole en terre communiste. Sur le coup, c’est étrange. Je vais m’y faire très vite, sans me départir d’une mélancolie prudente : le Mur ne fait pas que séparer des gens. Il sépare le temps. D’un côté, le nôtre, je crois en un futur de liberté et de progrès. De l’autre, le leur, je ne vois qu’un avenir bouché, environné de menaces et de peurs. Deux expériences hautement incompatibles qu’il faut bien un mur et des miradors pour isoler de façon étanche.

Il y a pourtant des fuites. Checkpoint Charlie est la plus célèbre d’entre elles. Je vais l’emprunter plus d’une trentaine de fois pendant ces sept mois, à titre civil ou militaire, pour des patrouilles en uniforme avec armes ou pour faire la fête avec un porte-monnaie bien garni. Soumis au paradoxe berlinois, je vais faire comme tout le monde : m’assouplir et fermer les yeux autant que possible. Et, presque par surprise, ce Mur tombera quelques mois après mon départ.

Tout cela, je ne lis pas encore dans le regard complice du commandant Secos. Il referme mon dossier, l’entretien est clos. Je me lève, remet mon béret, salue et exécute un parfait demi-tour droite pour quitter son bureau en espérant ne jamais y revenir. Bienvenue à Berlin, merci, de rien !

A suivre ici (clic)

Perles d’été

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 12 juillet, 2020

No virus inside

Sur la présomption d’innocence :
Mettons que vous ayez un poste à pourvoir, disons dans l’encadrement de jeunes enfants.
Vous avez le choix entre plusieurs candidats, tous déjà en poste ailleurs, il n’y a donc pas d’urgence dans leur situation personnelle à choisir l’un plutôt que l’autre. Bien.
Engagerez-vous celui qui est visé par une enquête pour actes de pédophilie ?
La présomption d’innocence, certes, mais quelle urgence y aurait-il à le prendre lui, sinon lancer un message : « Tel est mon bon vouloir, et je me fiche de ce que vous oserez penser ou crier, vous n’êtes rien ! ».

Le nouveau Maire de mon village est une dame. Elle règle mon quotidien de façon légitime : elle le partage. Après, que me chaud que d’autres décisions soient prises par un nouveau premier ministre de Paris ou un commissaire de Bruxelles ? Je préfère une grande nation de Nations européennes à une petite France arc-boutée.

Autant dépoussiérer Camus :

Notre Europe est une aventure commune que nous continuerons de faire, malgré vous, dans le vent de l’intelligence.
Albert Camus, Lettres à un ami allemand – 1940/45

Ce « malgré vous » ne s’adressant pas aux mêmes. Aujourd’hui, ce sera malgré l’autorisation du glyphosate et des SDHI, les subventions à la surpêche industrielle, les paradis fiscaux locaux et les compétitions fiscales (contestez ou complétez, c’est libre).

Le recyclage d’ex-soixante-huitards en actionnaires ne prouve qu’une chose : n’en déplaise à Brassens le temps fait tout à l’affaire et même les plus remuants, les plus enthousiastes, une fois devenus vieux confisqueront la Terre aux jeunes. Comme leurs prédécesseurs contre lesquels ils ont élevé des barricades.

Depuis que j’ai dix-sept ans je redouble. Ne comptez pas sur moi pour former une majorité.

Est-il possible qu’il y ait encore des staliniens, des maoistes et des néo-nazies ?
Ce n’est pas la question, il sont là.
Plutôt : de quoi ils ont manqué ? De quoi manquent-ils encore ? Quelles privations la société engendre-t-elle pour qu’ils reviennent à espérer en ces cadavres rancies et y acoquiner leurs rêves.
La civilisation du supermarché et de l’écran tactile faillirait-elle à combler le peuple ?

Une bonne pêche, chez Laurent Gaudé (Nous, l’Europe – banquet des peuples – Actes Sud, 2019) :

On a trop obéi.
Depuis des siècles,
Et cela n’a fait qu’agrandir les cimetières.

Et chez Dennis Meadows :

Les modes d’organisation tribaux ont servi notre espèce bien, bien plus longtemps que les alternatives – monarchie, autocratie, l’oligarchie, la démocratie. Je m’attends à ce qu’ils l’emportent à nouveau.

Et pourquoi ne pas redevenir nomades, nous détacher du territoire et de la fiction de propriété, nous frotter à d’autres tribus, lancer la grande transhumance humaine ?

Berliner round 31 – Mauer Nacht

Posted in Berliner Round,Textes par Laurent Gidon sur 10 juillet, 2020

Mein Gott, le mess ! La surprise est à la hauteur de mon appétit : un bâtiment majestueux accueillant un restaurant de niveau étoilé Michelin. Après le haut portique d’entrée, un bar aux boiseries sombres où un barman en livré propose bières, alcools et cocktails. La salle elle-même est immense, avec une cinquantaine de tables sous une verrière en coupole. Nappes blanches, vaisselle fine monogrammée des Forces Françaises, serviettes artistiquement pliées, menu du jour imprimé sur carte filigranées : cela me change de l’ordinaire, même celui du civil. Un personnel allemand en grande tenue assure un service irréprochable et presque bilingue. Une frise de pierre sculptée, à l’entrée, m’interpelle : certains symboles semblent avoir été martelé. J’interroge. « Ici, c’est l’ancien quartier général de Goering. On a juste effacé les croix gammées, ça faisait désordre… » En fait, le quartier Napoléon a été copieusement bombardé en 1945 et si la plupart des bâtiments a été reconstruite, certains ont tenu le coup, comme cette partie du mess.

Bien sûr, je ne me souviens plus du menu de ce premier repas, sinon que ce fut certainement un enchantement. Nous prenons le digestif au bar lorsqu’un lieutenant en treillis accompagné d’un caporal en tenu de combat nous rejoignent, l’air embarrassé. « Quoi, y a que vous ici ? J’ai cette demande du B2 qui vient de tomber : surveillance du Mur dans le secteur Lübars. On craint une tentative de passage et ça risque de chauffer. » Les autres rigolent. Le lieutenant, un jeune type d’une trentaine d’années avec une alliance au doigt et un insigne des parachutistes – sûrement un militaire d’active – est de permanence pour le week-end : la demande du B2 est son problème, les aspirants sont de quartier libre, qu’il se débrouille. « On emmène le nouveau pour une dégageante dans Berlin ! » Ambiance copinage.

Le lieutenant n’est pas d’accord et le fait savoir. Il fait « péter les barrettes » comme je prendrai l’habitude de le dire. Un geste vers son insigne à deux barrettes maintenu au velcro sur sa poitrine signifie qu’en l’occurrence le grade prime sur le copinage : il faut que quelqu’un prenne en charge cette mission, et tout de suite. Ça râle très fort, chacun ayant un programme bien établi pour la soirée. On finit par se tourner vers moi : « Tu as déjà vu le Mur de Berlin, toi ? Non ? Eh bien, c’est l’occasion… »

On me rapatrie vers Wagram. La nuit est tombée. J’ai juste le temps de me mettre en treillis rangers avec parka d’hiver et casque lourd. Le caporal Boulemar, (on me l’a présenté sous un nom de grand boulevard parisien) reste dans le couloir avec le lieutenant Para de permanence pendant que je m’habille. Nous sautons dans une Jeep conduite par le caporal. Le lieutenant me résume le topo de la mission. Le B2, service de renseignement, a recoupé plusieurs infos sur un possible passage à l’Ouest cette nuit. Ce serait dans un secteur bien connu pour la faiblesse des défenses du Mur. Nous devons surveiller et prêter main forte à d’éventuels fugitifs, mais surtout sans créer d’incident diplomatique. « En fait, si ça bouge tu te contentes de rendre compte à la radio, OK ? Surtout pas de conneries. Moi, je serai à la permanence, je relaye tout ce que tu me dis. » Para me donne une radio à courte portée, réglée sur la fréquence de la permanence, des jumelles, ainsi qu’un pistolet automatique dans son holster. « Munitions de sécurité : tu fais pas le con avec, hein ? »

Je n’ai pas du tout envie de faire le con. Apparemment, la façon locale d’énoncer les ordres de mission n’a rien à voir avec ce que j’ai appris à Coët. On se fout du manuel, ce qui compte c’est l’efficacité et la prudence. Je ne sais pas si ça m’inquiète ou me rassure. « De toute façon, Boulemar reste avec toi. Il connaît le protocole des patrouilles de surveillance : si tu as un doute, tu lui demandes. » OK, bien pris, fort et clair. Je me tourne vers ce caporal qui a l’air timide et discret, mais compétent : je l’apprécie déjà.

En fait, je suis en pleine digestion après un excellent repas bien arrosé. Lorsque nous sommes déposés au pied d’une petite colline herbeuse, je me sens comme sur le terrain lors de la formation : prêt à dormir à la moindre occasion. Para retourne à sa permanence avec la Jeep, en me promettant de nous envoyer chercher le lendemain matin. Boulemar et moi montons vers le sommet de la colline. À proximité de la crête le caporal me fait signe de me taire et de rester baissé. Nous rampons les derniers mètres entre les hautes herbes. Loin devant nous – entre cent et deux-cents mètres – je vois une zone fortement éclairée et, effectivement, un long mur qui se perd dans le lointain à gauche et à droite. « C’est là, Mon Lieutenant. On surveille ce point, il est hors de vue des miradors. » OK, c’est bon, j’ai repéré.

Après cinq minutes de silence attentif, je propose à Boulemar de nous partager la garde : il prend le premier quart et je pique un petit roupillon. Il a l’air gêné, presque offusqué. J’insiste, il n’aura qu’à me réveiller en cas de souci. Je lui donne le pistolet, les jumelles et la radio, et je me roule en boule dans un creux en fermant bien ma parka. Trente secondes après, je dors. Une heure plus tard, Boulemar me réveille pour que je prenne mon tour. Il me rend pistolet, jumelles et radio, mais reste éveillé à côté de moi, concentré sur notre portion de Mur. « C’est bon, Caporal, redescendez un peu à l’abri et dormez. Je vous veux en forme pour prendre le prochain tour. » Il descend à contrecœur. Un quart d’heure plus tard, je l’entends enfin ronfler. Il doit être moins de minuit quand je m’endors à mon tour comme un bienheureux.

Ce sont à la fois des claquements secs et les crachotements de la radio qui me réveillent. Il fait toujours nuit, mais l’aube n’est pas loin. Une voix paniquée crie dans le haut-parleur que j’avais calé contre mon oreille : « Qu’est-ce qui se passe, c’est quoi ces bruits, rendez-compte, bordel ! » Je ne suis pas sûr de ce que j’ai entendu. Des coups de feu ? Peut-être… Je n’en aurai jamais la certitude. Je scrute le Mur aux jumelles : aucun mouvement dans notre secteur. Je confirme donc à la radio que tout va bien, sans même savoir à qui je m’adresse. Le caporal est remonté à côté de moi. Il a l’air vraiment mal à l’aise. « Allez, Boulemar, calmez-vous, il ne s’est rien passé. Je vous laisse la garde, je retourne dormir. » Mais je n’ai pas le temps de me recoucher que la Jeep fait crisser ses freins au bas de la colline. Para et Bogoss en sortent, l’air à la fois renfrogné, nerveux et fatigué. « C’est quoi ce bordel, Gidon, qu’est-ce qui s’est passé, qui a tiré ? » Je les rassure, ce n’est pas nous, je n’ai même pas vraiment entendu de tirs… et qu’est-ce qu’ils font là, eux ? « T’occupe pas ! » Les deux arrivants se postent à nos côtés et scrutent à leur tour le Mur dans l’aube naissante. Après un quart d’heure, nous décidons de nous replier. Personnellement j’ai bien dormi, mais les trois autres donnent l’impression d’avoir passé une très mauvaise nuit : ils sont frigorifiés et passablement énervés.

Ce n’est qu’au petit-déjeuner que je comprendrai pourquoi. Cette histoire de surveillance du Mur était une blague. Encore du bizutage. D’ailleurs, Boulemar n’est pas caporal, c’est un aspirant, comme moi. Il était censé me garder à l’œil et veiller à ce que je stresse bien fort tout au long de la nuit, me coller la peur du Mur et de la possible erreur aux conséquences dramatiques. Mais il avait fait la fête la veille et son besoin de sommeil a pris le dessus. Tant mieux pour lui. Les deux autres, et surtout Para qui avaient perçu arme et radio en son nom, ont passé la nuit recroquevillés dans la Jeep, un peu plus loin. Ils n’étaient pas assez habillés et ont claqué des dents sans parvenir à dormir, inquiets pour le matériel sensible. Quand ils ont entendu des bruits suspects, ils ont paniqué.

De mon côté, inconscience ou persistance du sentiment d’invincibilité EOR, je suis passé à travers sans une sueur. Aujourd’hui, n’ayant jamais remis les pieds sur les lieux, je ne suis toujours pas certain d’avoir surveillé une vraie portion du Mur de Berlin. Certes, j’ai passé ma première nuit berlinoise couché dans l’herbe, mais cela ressemble encore à un bizutage raté, malgré toute l’imagination et l’énergie que la lieutenance y consacre. Je suis le seul nouvel aspirant arrivant à Berlin ce mois-ci, donc toutes les ambitions de rigolade facile se fixent sur moi. Ils vont tenter une nouvelle fois de m’en faire baver, avant d’abandonner et de me considérer comme l’un des leurs.

Cela se passe au matin du deuxième jour. J’ai de nouveau bien dormi, mais dans mon lit à Wagram cette fois-ci, quand un sergent frappe à ma porte. Un type impressionnant, pas très grand mais d’une densité de rugbyman girondin. Son visage presque asiatique – une sorte de Gengis Kahn blond – est renfrogné : il n’est pas content de me réveiller, mais il le doit. « C’est pour les tests physiques, Monsieur l’Aspirant. On avait rendez-vous à huit heures. » Personne ne m’a parlé de tests physiques. Je viens de passer des tests physiques quotidiens pendant cinq mois, ne pourrait-on pas me foutre la paix ? Je laisse attendre le sergent dans le couloir pendant que je passe la tenue treillis-rangers-béret. Et mon petit-déjeuner ? Il attendra… Sport d’abord !

Le type me conduit sans un mot vers un parcours du combattant installé dans une sorte de clairière sableuse qui me semble située au centre du quartier Napoléon. Plus loin, derrière une rangée d’arbres dans une dépression entourée de gradins, je vois un stade ceinturé d’une piste de Tartan rouge, sinistre promesse d’un examen d’endurance. Mais nous n’allons pas jusque là. Ouf !

Le sergent sort une fiche et un chronomètre. Je suis censé boucler le PC en moins de quatre minutes. J’en rirais presque : c’est mon plus mauvais temps de débutant aux EOR. Flairant un piège je demande à faire une reconnaissance. Accordée.

À petites foulées je remonte le parcours qui me paraît standard, à part une échelle de corde dont les barreaux sont constitués d’une chaîne métallique. OK, j’éviterai le passage en soleil pour ne pas m’y coincer les doigts. Retour au départ. Le sergent Gengis me donne le top et déclenche son chrono. Je me balade tranquille au début, puis accélère un peu : ce serait bête de passer au-dessus des 4 minute pour cause de flemme matinale. D’autant que je ne sais pas quelle serait la sanction. On me renvoie en France ? On m’enlève mon grade ? Bref, je finis un peu essoufflé en moins de trois minutes trente. Gengis tique, mais note mon temps sur ma fiche.

« C’est bon, je peux aller au petit-déjeuner ? » Non, il y a encore le grimper de corde. Ah, ça tourne au gag. Admettons…

Une sorte de grand portique sous les arbres laisse pendre une corde un peu grasse qui doit recevoir pluie et neige. Visuellement, rien à voir avec ce dont j’avais l’habitude au gymnase de Coët : je ne sais même pas si elle mesure cinq mètres, moins… ou plus. Je dois y grimper en moins de cinq secondes, me déclare un Gengis narquois. Il me demande même en ricanant si cette fois aussi je souhaite faire une reconnaissance.

« Non, ça ira, merci. » Tout énervé, je pulvérise le grimper en moins de quatre secondes. Ce n’est qu’une fois redescendu que je vois sortir les autres aspirants et lieutenants qui nous observaient depuis le sous-bois : tout cela n’était évidemment que du bizutage, Gengis est en fait un lieutenant du 46… Ils ont l’air un peu déçu de me voir réussir leurs pseudo-tests sans même une goutte de sueur. Moi, disons que ça me glisse dessus sans accrocher. Ces deux premiers jours m’ont mis dans l’état d’esprit qui ne me quittera que rarement pendant les sept prochains mois à Berlin : il ne peut plus rien m’arriver, je ne suis là que pour profiter de tout ce qui se présentera. En fait, en faisant parfois preuve d’arrogance ou de suffisance, je serai mon seul ennemi. Nous partons vers le mess et je n’entendrai plus jamais parler de mon bizutage.

A suivre ici (clic)

Page suivante »