Comme ça s'écrit…


Folamour(euses)

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 31 juillet, 2022
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Désolé, ça va être un peu long, mais ça les vaut…
Dans Two Minutes to Midnight, spectacle filmé en 2017 et 2018 et visible sur Arte.tv (CLIC), on peut voir – et surtout écouter – un gouvernement entièrement constitué de femmes (des actrices), interroger une palette d’expertes elle aussi féminine, pour faire face à la menace nucléaire brandie par le président un peu tout fou d’un autre pays.

Le décor est calqué sur celui de la War Room du film Dr Folamour de Kubrick.
Le titre fait référence à l’horloge de la fin du monde qui décompte le temps qu’il nous reste avant l’apocalypse nucléaire, minuit étant l’heure du déclenchement. À minuit moins deux, il est temps de réfléchir un peu.

Le procédé de ce documentaire théâtralisé m’a particulièrement intéressé. Seules les actrices ont un script, les expertes ne font que répondre aux situations proposées – une escalade de provocations nucléaires – selon leur expérience (certaine sont diplomates ou politiciennes de premier plan, d’autres militaires de carrière, d’autres journalistes ou encore militantes) et leurs convictions.
Aucune question n’est évitée, aucune réponse censurée.
Faut-il continuer un processus de désarmement alors que la menace se fait de plus en plus précise ?
Faut-il répondre à la provocation ou laisser le président tout fou s’énerver seul sur Twitter ?
Faut-il négocier, protéger la population en programmant la fuite dans des abris, montrer ses muscles en menaçant à son tour du feu nucléaire, ou se préparer à combattre sur le terrain conventionnel ?
Que faire du bouton rouge placé sous la main de la Présidente ?
Les réponses sont multiples, nuancées, enrichissantes.

On entend bien alors que les femmes ne sont pas des hommes comme les autres.
Si quelques-unes soutiennent des solutions militaires, elles cherchent pour la plupart à sortir du cadre imposé par l’adversaire, élever le débat au-delà des notions d’efficacité, de loyauté ou de survie.
Pour beaucoup d’entre elles, la guerre n’est que du banditisme très bien organisé.
(j’aimerais qu’on réévalue nos grands hommes de l’histoire à l’aune de cette idée : la guerre n’est que du banditisme à plus grande échelle et mieux organisé)
Une experte en géopolitique affirme même que la dissuasion nucléaire ne sert pas à protéger les populations, mais seulement à protéger des intérêts.
Que vaut cette politique de dissuasion quand sa promesse n’est que de rétablir, en doublant les millions de morts, l’équilibre comptable rompu par une première frappe adverse ?
Quelle vie envisager pour les survivants, irradiés pour la plupart et privés d’une bonne partie de la surface terrestre ?
Est-ce être encore soi-même que d’abandonner toutes ses valeurs pour avoir une chance de sauver sa peau ?
Plusieurs de ces femmes s’y refusent. Ce sont souvent celles qui, armées de leur expérience militaire, savent ce que c’est que faire ou décider la guerre et en être meurtrie à vie.

Selon les libertariens radicaux, seul est libre l’homme capable de se défendre et de défendre sa propriété. Mais se défendre en se livrant au combat décidé par un Trump ou un Poutine, est-ce encore être libre ?
Dans leur majorité ces femmes répondent non.
Être libre, ce n’est pas se laisser dicter sa conduite par un agresseur. Il existe une liberté plus vaste, bien au-delà, même si elle inclut la liberté de mourir.
Combien d’hommes l’affirmeraient et agiraient en conséquence ?
Je ne sais pas. Je veux croire, comme le rappelle une des intervenantes, que cette question n’est pas genrée.

En bon pacifiste je dirais qu’un humain n’est vraiment libre que lorsqu’il est capable d’envisager de tout changer, voire de mourir, pour rester fidèle à lui-même.
Il est facile d’être un bon pacifiste quand la guerre ne frappe pas à ma porte.
Agirai-je en conséquence le moment venu ? L’honnêteté me pousse à reconnaître que je ne sais pas. Pas encore.

En parallèle, j’ai achevé la lecture des Furtifs, du grand Alain Damasio.
La furtivité comme voie de dégagement et de défrichement pour une humanité qui refuse ce que ses grands hommes lui impose ? Pourquoi pas…