Comme ça s'écrit…


It’s june

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 20 juillet, 2012

Cet été, les hannetons sont morts.
Ils meurent chaque été, après être sortis de terre, avoir dansé leur parade amoureuse autour des arbres du jardin, et assuré leur descendance. Quand j’avais dix ans, au coucher du soleil, ils vrombissaient comme des camions volants et avec mes cousins nous les shootions à la raquette de badminton. C’était plutôt moche comme jeu, nos parents nous le disaient avec lassitude, mais sur les centaines qui tournaient en l’air nous n’en descendions que quelques-uns.
Quand mes enfants ont atteint l’âge de jouer à la DCA du crépuscule, je le leur ai interdit. Il reste tellement peu de hannetons. Il m’arrive de trancher une de leurs larves blanchâtres d’un coup de bêche. Je ne sais pas quel rôle ils jouent dans les cycles croisés de mon jardin. Cet année, aucun. Au moins dans leur forme adulte.

Ils sont sortis de terre à taille réduite, très peu nombreux. On aperçoit seulement quelques petites larmes dorées, pattes et ailes recroquevillées, inertes. Comme si la remontée à la surface avait épuisé leurs organismes diminués. Je n’en ai vu aucun voler autour des arbres. Sans être un spécialiste, je me doute qu’ils n’ont pas pu se reproduire. Dans trois ans, durée du cycle larvaire, il n’y aura pas de hannetons du tout en juin. Et si j’ai oublié ce qui s’est passé cet été, je ne m’en apercevrai pas.
J’ai parfois l’impression que des petits bouts de notre vie ou de notre environnement disparaissent ainsi, en catimini. Il n’y a pas d’effet immédiat, même si tout va très vite. Un jour on voit des hannetons morts, un autre jour il n’y a plus de hannetons, mais on ne le voit pas. Comment avoir conscience de ce qui s’est effacé ?

On pourrait penser à du Philip K. Dick ou à Eternel sunshine of the spotless mind. Pourtant, je ne sais pas pourquoi, mais cela me rappelle quelques unes des paroles les plus tristes de la chanson que j’ai toujours trouvée la plus triste des années 80.

In september my cousin tried reefer 4 the very first time
Now he’s doing horse, it’s june

Prince – Sign o’the times, 1987

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Je lis toujours Rêves de Gloire et No et moi. Je prends mon temps, j’en ai.

Comment ça s’écrit

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 18 juillet, 2012

Le blog de Simon Sanahujas décrit parfois ses techniques d’écriture, et évoque bien d’autres thèmes. Celui de Fabrice Colin rend compte de ses achèvements, de ses découvertes, et lance parfois des appels à collaboration. Celui de Lionel Davoust informe sur son actualité littéraire, mais aussi sur ses lectures et ses voyages, et offre même des petits jeux de plumes. Et il y en a plein, des blogs où les auteurs parlent de ce qu’ils font et de comment ils le font parmi d’autres sujets qui construisent leur vie.

Récemment, j’ai compris dans une sorte de flash pourquoi j’écrivais, et par voie de conséquence, comment.
Attention, scoop :
J’écris pour ne pas penser.

Stylo en main ou les doigts sur le clavier, j’ouvre une sorte de vanne qui laisse s’écouler autre chose que de la pensée. Je me branche sur une connexion différente, dont je ne contrôle ni le contenu ni le débit. Cela me traverse et finit sur la page ou sur l’écran.
Le mental est toujours là, mais il fonctionne enfin dans le cadre stricte qui devrait en permanence être le sien : celui d’un outil. Le mental me sert à mettre en forme intelligible les flots d’impressions et d’émotions qui me traversent. Fin de la zone de pensée réactive, vous passez la frontière de l’être. Ce qui explique aussi pourquoi j’ai abandonné toute idée de pseudo, en affirmant que je suis ce que j’écris.
Ce qui explique aussi pourquoi j’ai tant de mal à finir une histoire dont j’ai fait le plan. Une fois le plan posé, il ne reste plus que du mental à l’œuvre, pour construire et ordonner ce qui avait coulé librement. Je ne peux pas faire cela, ce n’est pas de l’écriture pour moi. C’est de la dactylo, de la grammaire et de la stylistique, pas de la musique. Cela ne vit plus.
J’ai donc écrit quatre romans et pas mal de nouvelles en les laissant apparaître tels qu’ils voulaient être. Et surtout, je leur laissais choisir leur destin jusqu’à la fin, au moment de les laisser partir ailleurs. Je les retravaillais un peu, après la naissance, mais sans chercher à les faire devenir autre chose que ce qu’ils étaient. Un peu comme des enfants : on les laisse grandir, mais cela n’empêche pas de leur donner une douche et un coup de peigne de temps à autres. Tellement comme des enfants, d’ailleurs, qu’ils continuent de vivre en moi et viennent parfois réveiller mon clavier, tels des membres de la famille dont on reçoit des nouvelles lointaines. Ils continuent de grandir. Voilà pour Aria, Djeeb et les autres.
Inconsciemment, je sentais que ce n’était pas parfait. Pas en termes littéraires, mais plutôt sous l’angle de la sincérité. Alors j’ai écrit L’Abri des regards. En laissant couler la dépression et le suicide de mon père à travers moi. J’ai laissé couler toute la vie entre mes doigts pendant plus de neuf mois, et j’ai posé chaque jour sur l’écran ce que mes doigts avaient retenus. Ce n’était pas un journal, mais un flux continu d’impressions et d’interrogations qu’aucune pensée normalisatrice n’est venu juger ou corriger. Est-ce que cette approche d’une certaine pureté va finir par trouver un éditeur assez courageux ? Bien sûr !

Et maintenant ?
Ayant pris conscience de ce qui fait mon écriture, je peux continuer tranquille, en laissant de côté les projets qui me paraissaient excitants intellectuellement, mais qui n’avaient aucune vérité. Et je peux aussi expérimenter d’autres façons de faire.

L’outil informatique est magnifique. On écrit, on relit, on corrige ce qui ne va pas, on poursuit.
Pour un cossard comme moi, c’est une horreur. Tout est parfait jusqu’à la mise en page et aux détails typographiques (je veille aux espaces insécables), quasi bon à imprimer : le premier jet est un produit fini. Il faut donc tout mettre dès le début, détails, dialogues et descriptions. Et rien ne peut plus changer. Pas moyen de l’améliorer autrement qu’en corrigeant des bricoles. Refaire tout un chapitre, changer un lieu ou un personnage, donner une autre direction à l’intrigue, alors que tout est déjà là, prêt à envoyer chez l’imprimeur… impossible !
J’ai mis longtemps à comprendre que Word est une prison pour moi, et que chaque mot tapé est un barreau que je ne pourrai plus enlever.

Pour me sentir plus libre, j’essaie donc de m’y prendre autrement. Écrire au crayon, dans une sorte de gros carnet à spirale qui compte près de 300 feuillets d’un blanc cassé sous sa couverture rouge.
Le crayon est magique. Je peux l’effacer, mais surtout il me dit en permanence que le travail n’est pas fini. Il me libère de la tyrannie du texte accompli. Même si je ne change pas une virgule, il faudra tout reprendre à zéro en tapant le texte. Je tiens entre mes doigts la preuve du caractère transitoire du premier jet. Ce n’est qu’une étape. Ce qui coule là, maintenant, n’est pas le produit fini. Je peux sauter du coq à l’âne, poursuivre deux envies à la fois, écrire mal, en télégraphique, résumé, tronqué, pour ne garder que quelques mots clés qui fixeront l’impression sans figer la forme. Lorsque je me mettrai au travail de dactylo, les petits traits de crayon magique viendront réveiller le flux qui m’avait traversé des mois auparavant. On ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière, mais on peut y revenir et trouver l’eau bonne à chaque plongeon.

Avec un peu de discipline, je me suis aperçu (on évolue à tout âge) que je peux maintenant travailler de la même façon au clavier. Jeter ce qui vient comme cela vient, sans me soucier de forme ou d’exhaustivité. Je garde mon gros carnet rouge pour finir le premier jet de Persistance. Et je promène ma clé USB d’un clavier à l’autre pour laisser couler Les Chercheurs. Voilà, deus projets, deux façons de les écrire.
Je crois que cela va m’occuper un moment. Dommage pour l’appel à texte de Acta est Fabula. J’aurais bien aimé m’amuser avec une nouvelle de fantasy, mais le temps est choisi.

 

Oh, un vrai manuscrit...

Oh, un vrai manuscrit…

Grands

Posted in Admiration,Vittérature par Laurent Gidon sur 13 juillet, 2012

Tous les jours, je regarde mon fils devenir. C’est une erreur.
Nous avons commencé à la commettre avant même qu’il soit né. On dit « attendre un enfant », alors qu’on attend juste sa naissance : lui est déjà bien là. Mais le pli est pris. La suite n’est qu’une longue attente de quelqu’un qu’on a sous les yeux mais qu’on ne voit qu’au futur.
Je m’aperçois que, depuis treize ans maintenant, j’attends qu’il devienne… au lieu de voir ce qu’il est.
Si je cherche une excuse, c’est peut-être dans notre ressemblance troublante que je peux la trouver. En mélangeant ses photos d’enfance et les miennes, difficile de retrouver qui est qui, ni même d’être sûr qu’il s’agit bien de deux personnes différentes avec plus de trente ans d’écart.
Heureusement, le chamboulement de l’adolescence balaie cette excuse. Il change et devient autre chose que moi. C’est idiot, je le sais depuis longtemps, mais là je le vois.
Il a sa tête, sa coiffure, ses expressions, son humour bien à lui.
Et surtout, il me regarde un peu avec un air de me demander : qui t’es, toi ?
Comme je n’ai pas la réponse, je m’intéresse à lui. Au présent. Et j’aime ça.

J’ai un deuxième fils, je ne l’oublie pas. Il court derrière son grand frère (sur la photo du billet précédent, par exemple) sans mettre les pieds dans les mêmes traces. Nous l’avons pourtant attendu comme le premier, nous l’avons aussi projeté dans le futur, mais la donne avait changé.
Lorsqu’il est arrivé, j’étais déjà un papa, j’assumais ma différence de statut. Il ne m’a jamais ressemblé, n’a pas eu les mêmes maladies que moi (le premier, si), a été immédiatement un être à part, lui-même. Pas de confusion possible, cela s’est tout de suite imposé comme une évidence. Je le regarde être au présent, souvent sans bien le comprendre. Heureusement, lui comprend tout.
Il complète parfaitement le tableau.

Mon épouse et moi nous demandons parfois comment les choses auraient tourné si nous avions eu une fille. La question ne se pose plus. Passé 9 milliards, un de plus c’est sans doute un de trop.

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Je n’aime pas trop donner mon avis sur les livres que je lis. En revanche, je peux les mentionner. En ce moment, je lis Rêves de Gloire de Roland C. Wagner, No et moi de Delphine de Vigan et Le pouvoir du moment présent de Eckhart Tolle.

Easy lessons

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 4 juillet, 2012

Qu’est-ce que je pourrais vous dire pour vous aider à aller mieux ?

D’abord peut-être poser la question : qu’est-ce qui ne vous convient pas dans votre vie ? Faites-en la liste.

Ensuite, classez : d’un côté ce qui dépend de vous, et de l’autre ce sur sur quoi vous n’avez aucun pouvoir.
Cela peut sembler simple, mais c’est une question piège.
Ai-je une capacité d’agir sur la pluie qui tombe et cette météo grisâtre qui me plombe le moral ? On a envie de dire non et de classer l’aléa climatique dans la colonne « ne dépend pas de moi ». Pourtant, je peux quitter la région pluvieuse et aller où il fait beau : le soleil brille toujours quelque part.
On pense bien sûr « je ne peux quand même pas tout quitter comme ça juste pour aller au soleil ! » Et en affirmant « je ne peux pas », effectivement on s’interdit de le faire. Alors que si, on peut, en assumant le coût que cela représente, même si cela veut dire abandonner sa famille, sa maison, son boulot, pour aller là où le soleil brille sans savoir de quoi on vivra demain. On décidera alors « qu’on ne peut pas », sans accepter de se dire « on ne veut pas » ou « on n’ose pas ».
Le classement en colonne « je peux » et « je ne peux pas » est déjà une action sur le monde et la vie tels que nous les façonnons pour notre usage. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de classer. Il faut juste avoir conscience du fait que ce classement est un choix et que nous pouvons à tout moment le modifier.

Qu’est-il possible de faire ensuite ?
Pour ce qui ne dépend pas de vous, changez votre regard, votre attitude face à ces faits, votre façon de les vivre. Mon voisin fait du bruit à 3 heures du matin (et j’ai décidé de ne pas oser lui dire d’arrêter, ni d’aller dormir ailleurs). Au lieu d’en souffrir et de m’énerver, je peux décider que ça ne me gêne pas, que je vais me passer de dormir un moment, en profiter pour lire un livre ou me faire un film, voire aller me balader dehors, ou encore essayer de faire autant de bruit que lui. Le fait « voisin bruyant » demeure hors de ma sphère d’influence, mais ma façon d’y réagir est en plein dedans.
Pour ce qui dépend de vous, faites ce qu’il faut pour que cela change. Si vous voulez vraiment que cela change. Faites-le sans vous corseter d’excuses (« je ne peux quand même pas tout quitter comme ça juste pour aller au soleil ! ») et faites-le maintenant. Continuer de souffrir de quelque chose que vous pouvez changer montre juste que vous « voulez » en souffrir, que vous acceptez cette souffrance pour préserver autre chose, votre boulot, votre famille, votre vision du monde, du bien et du mal peut-être… C’est votre droit. Mais prenez-en conscience et jouissez sereinement de votre souffrance et de tout ce que vous comptez préserver avec.

Cela me rappelle le message clé que m’avait adressé une psychothérapeute : « Qu’êtes-vous prêt à changer pour aller mieux ? »
Ma façon de voir.
Ma façon de faire.
Quoi d’autre ?