Comme ça s'écrit…


Jeudi critique

Posted in Ateliers par Laurent Gidon sur 31 mars, 2011

Le magazine Télérama offre cette semaine une refonte graphique mais aussi (un peu) conceptuelle de son cahier critique. Et introduit le changement par un article rubriqué « Le Débat » et titré « Faut-il brûler les critiques ». De débat il n’y a point, puisque le papier – même signé par Pierre Murat et Juliette Bénabent – est univoque. Mais des idées il y en a, quelques-une offrant matière à citation :

Or, la critique, la vraie, celle à qui il arrive de faire progresser l’opinion, a besoin de place et de temps. (…) Son honneur, il est là. Aujourd’hui, blogueurs de Web et rédacteurs de magazines devraient tous se souvenir que leurs aînés, jadis, ont imposé Bergman. Fellini. Hitchcock. Et que c’est à leur tour d’en découvrir de nouveaux. De les susciter, au besoin, s’ils manquent à l’appel.

Pierre Murat et Juliette Bénabent – Télérama n°3194

D’en découvrir de nouveaux et de les susciter, au besoin ? Autant j’adhère à l’idée que la critique a besoin de temps, de recul, d’analyse et de bagage pour se démarquer du simple « j’aime » / « J’aime pas » accessible à chacun, autant je ne lui reconnais ni le droit ni le talent de provoquer la naissance du « nouveau qui que ce soit dont l’avenir se pâmera ». Ce sera beau, un artiste formaté par la critique !
Et pourtant, qui suis-je, moi, pour siffler le hors-jeu d’un journaliste critique en affirmant que son papier empreint de vérités bonnes à dire sort soudain du droit chemin ?
J’ai l’impression que le problème du critique est un peu le même que celui du politique : on ne croit plus ce qu’ils disent parce qu’on ne sait plus d’où ni de quoi ils parlent, si ce n’est d’eux-mêmes. Alors on fait de la critique dans son coin, entre soi, comme on fait de la politique de comptoir. Ce qui n’a jamais fait progresser les opinions.

Il y a certainement d’autres belles Citations du Jeudi à découvrir en passant un coup de Chiffonnette.

Calme insurrectionnel

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 25 mars, 2011

Dans mon bureau, rien ne bouge. Sur le palier, et sans doute le reste de l’étage, calme plat. Difficile d’affirmer avec certitude que rien ne se passe au rez-de-chaussée, mais aucun indice ne vient contredire l’idée. La fenêtre ouverte dans la chambre de mon fils m’apporte quelques bruits : l’artisan qui ponce le plafond du voisin, des oiseaux, des voitures qui passent et les travaux de la déviation. Le village fonctionne. Dimanche dernier nous avons été 132 à voter écologiste, dimanche prochain je ne sais pas. Il paraît que le FN monte dans le département et que c’est aussi un problème pour la France. Il paraît que les gens en ont marre. Ils en ont eu marre aussi en Tunisie, en Égypte, probablement aussi en Algérie et au Maroc mais ça s’est moins vu, et ils en ont encore très marre en Libye, mais pas tous, surtout pas ceux qui ont des uniformes. Si on regarde une carte, c’est juste en face. Palestine et Israël aussi, presque. Ils en ont marre aussi ? Comme en Syrie ou au Bahreïn ? On aurait dû leur vendre des centrales nucléaires. Ça détourne l’attention. D’un seul coup, le Japon et ses particules nous ont paru plus proches que… disons la Grèce et ses problèmes de dette publique, ou le Portugal. Pourtant la Bourse a fait montre d’une solidarité sans faille en plongeant là-bas aussi vite qu’ici. Il paraît qu’on n’y peut rien. Fallait pas leur laisser les clés de la planète. Heureusement, on caresse toujours l’idée d’aller sur Mars. Peur de franchir la ceinture d’astéroïdes ? Pourquoi se donner des limites ? L’univers est prêt à accueillir toutes nos secousses.
N’importe quelle pub pour forfait téléphone+internet me dit que dans mon bureau, dans mon village, dans mon pays, dans mon présent universel, je suis connecté à tout ce qui bouge. Pourtant, ici tout est si calme. Quelque chose devrait craquer bientôt, ne serait-ce que par solidarité.
Où est-ce que j’ai fourré les allumettes ?

 

Il paraît que ce lieu si calme est cité dans les commentaires d’un article de Chevillard comme « blog d’écrivain ». Ce n’est pas vrai.

Jeudi qui tremble

Posted in Ateliers par Laurent Gidon sur 17 mars, 2011

Retour d’une citation jeudiesque, non pas littéraire mais radiophonique. On peut l’entendre ici, mais voici ce que j’en ai retenu :

… Le député Vert Noël Mamère a d’ailleurs répliqué, cinglant : « Ce qui est indécent, c’est de vendre des centrales nucléaires à Kadhafi ». Pour qu’une catastrophe de ce type ne puisse plus se reproduire à l’avenir, il est sain, utile et responsable de chercher à comprendre et à imaginer comment faire autrement. La solidarité à l’égard des Japonais doit s’accompagner d’un débat digne de ce nom sur le nucléaire, qui mériterait de ce clore par un référendum. Car le sujet est grave : nous devons savoir, et nous devons trancher.

Clémentine Autain – France Culture, 17/03/11

Savoir et trancher : j’aime ça.
J’aime d’autant plus la conclusion de cette chronique, qui appelle non à un simple retrait du nucléaire, mais à beaucoup plus : « Il n’y a pas de sortie de crise sur ce terrain sans un changement radical de nos comportements et de notre modèle de développement… »
Changer est difficile, surtout dans notre culture qui a inventé une fausse permanence. Pourtant, il suffit de se regarder soi-même pour voir que seul le changement est permanent. C’est la règle commune, de la cellule à l’univers.
Refuser de changer conduit seulement à l’accumulation de tensions diverses, jusqu’au craquement, cassure prévisible, obligatoire. Alors, voir notre société non comme un idéal figé qu’il faudrait juste aider – par nos vaillants efforts – à retrouver sa perfection constitutive, mais comme une tectonique de plaques en mouvements et frottements permanents, qui ne se grippent sur une position que pour mieux casser une fois la pression trop forte. Tremblement de terre, tsunami, du Japon à ici les signes ne manquent pas.

 

 

Une des très belles images du blog Tsunami

Canapé, bouquin, bière

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 10 mars, 2011

Quand je ne fais rien, je devrais faire quelque chose. Quand je fais quelque chose, je devrais faire autre chose, ou rien, ou mieux. Je tergiverse, je rends du terrain sur toutes mes avancées, tentation du pas de côté ou des pieds tanqués. Ballet des juges intérieurs. Un bon moyen pour les faire taire : canapé, bouquin, bière.

Ou alors prendre le doute de vitesse. Tout jeter très vite, sur le clavier, la falaise, le couloir en poudre.
Le risque ?
Je ne vais pas vous faire un dessin, quand même…

Pas le dessin évoqué, mais ma dernière soirée canapé

Télécabine

Posted in Admiration,Vittérature par Laurent Gidon sur 7 mars, 2011

On entre à six dans une cabine pour vingt. Il reste de la place. Mais la cabine ça concentre.
Deux gars, la trentaine cirrhosée et un reste de coquard à un œil, qui se partagent trois gosses sous casques de loc. Ils jacassent avec un accent et des émerveillements de Plat-Pays. Des première-fois. Venus à la montagne comme on va voir la mer, peut-être pour épuiser un bon tiercé ou un grattage gagnant. Quelque chose d’exceptionnel, sinon on n’aurait pas pu. Alors faut profiter.
Ils mettent fieu toutes les deux phrases et ça rythme. Ils ont des sourires avec les dents qui pendent. Des yeux rougis parce que mauvaises lunettes. Leurs combinaisons couleurs pissées bouchonnent sur des chaussures qui baillent des crochets. C’est l’heure d’après midi, ils ont bouffé et bu. Ils sentent la bière de trop et la douche qu’il faudrait. Où sont leurs femmes ?
Ils regardent dehors et demandent si des fous passent là en-dessous. Au moins une noire, c’est pô pôssib’ ! Les petits gloussent de peur, contents de leurs pères pas si fous, non.
Ils regardent la neige et rêvent tout haut de la descente qui vient. En goûtant leur plaisir maintenant, à l’évocation, parce que en vrai dedans ce sera dur et pas drôle, et froid, et les skis impossibles à dompter. La pente ils connaissent pas, ou alors pour la dalle.
Ils sonnent mal, pas à leur place, ils sont trop près, trop plats, ils gâchent. Et aussi ils disent ma chérie, mon ange, ben fieu t’as vu comme c’est beau, et leurs gosses les aiment de les aimer, et je les aime pour ça. La cabine, ça rapproche.