Comme ça s'écrit…


Matin calme

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 28 avril, 2012

Je sors acheter le pain. Il fait frais, mais un voile de nuage garde un peu de la tiédeur qui nous avait surpris la veille.
Sylvain joue avec des cailloux devant la boîte aux lettres et me demande si mon fils dort encore. Sa mère loue la maison d’en face. Elle a eu un problème, sans doute perdu son travail, mais n’ose pas en parler. Il faudra bien qu’un jour on ose aller lui dire qu’on peut l’aider, un peu.
Je passe devant chez Omar. Il a la double nationalité franco-marocaine, un problème cardiaque, une retraite anticipée d’ouvrier spécialisé. Sa femme l’a quitté, il déprime, voudrait bien vendre sa maison mais a tellement négligé l’entretien que c’est une ruine. Il laisse filer et vient parfois pleurer à la maison.
Plus loin, un voisin des petits immeubles fait pisser son chien en tirant sur sa clope. Il a l’air accro aux deux, triste et blême. Je lui souris en saluant, il répond à peine, ailleurs.
La boulangère se marre dès qu’elle me voit. Elle avait accepté de tourner dans un des films promotionnels des Blaguàparts. Jocelyne entre. Elle habite les immeubles et revient de la supérette, sa bise est toute fraîche. Elle est institutrice à la retraite et pourtant semble avoir 40 ans à peine. Elle aime lire, a lu mes livres, ne m’en parle jamais.
Gilles entre aussi, en frappant poliment pour rire. Il tient une petite entreprise de chauffage en haut de la rue et milite dans l’association Agir21. Leur plus beau projet promet de rejoindre Annecy en 20 minutes et sans bouchons grâce à l’installation d’une télécabine de vallée. J’y crois aussi, bien que ce ne soit pas la seule solution.
En rentrant avec le pain et les croissants, j’écoute les oiseaux. Il y a des noix sur le noyer de Philippe, on va pouvoir en ramasser sur la route.
Marie-Rose ouvre ses volets. C’est la mère d’Étienne, elle a toujours un mot gentil mais on est loin alors on se sourit seulement.
Je vois Daniel qui va acheter le pain à son tour. Il n’a qu’une oreille et bosse depuis près de 40 ans à l’usine de décolletage. On se croise devant chez François qui dirige la plus grosse marque d’outdoor d’Annecy (no pub), joue au golf pour le plaisir, et part comme chaque samedi animer le club de ski d’une petite station à côté de Megève. Il faut que j’aille voir Jean-Luc pour discuter des devis du couvreur : on va refaire nos toitures ensemble. Mais d’abord, préparer le petit déj pour les enfants et nourrir le chat.
Dimanche prochain, on vote.

Des bas et des hauts

Posted in Non classé par Laurent Gidon sur 23 avril, 2012

Vite, vite, il faut écrire quelque chose, s’exprimer sur ce premier tour, prévoir le second, s’engager ou au moins gesticuler.
Donc voilà, trois petites choses et puis m’en vais.

Dans mon village, nous avons été 85 à voter pour Eva Joly alors que 541 de mes voisins ont cru en Marine Le Pen. Vais-je mépriser, conspuer, voire haïr mes voisins ? Non. Juste leur dire – et encore mieux : leur montrer – qu’on peut vivre sans peur ni colère, sans haine ni jalousie. C’est un job à plein temps, mais il me plaît.

Faut-il laisser place à la rhétorique perverse du candidat président sur trois débats de rang ? Non. Il n’y a pas de débat avec cette façon de s’exprimer qui cherche à détruire, diviser, apeurer et réveiller toutes les jalousies par des sophismes tronqués.

C’est d’ailleurs un service à rendre au personnage qui incarne cette mécanique oratoire que de ne pas le laisser l’exposer trop longtemps. La technique du « si vous ne votez pas pour moi c’est que vous acceptez que vos enfants rendus incultes par des profs paresseux se fassent égorger par des bouchers halal vivant d’allocations familiales frauduleuses » finit par être trop visible.
Il faudrait que l’équipe de François Hollande utilise mieux cet argument. Au lieu de se replier derrière la tradition républicaine du débat unique, ils feraient mieux d’en appeler au respect de leur adversaire en l’empêchant de s’autodétruire dès le second débat sous les rires libérateurs d’une France enfin soulagée de ses peurs, colères, haines et jalousies précitées.

Bref, j’ai bon espoir en demain car la politique se fait ici, en se frottant aux autres, les urnes n’étant là que pour nous montrer quels maux nos voisins nous demandent de panser.

Je vote pour !

Posted in Non classé par Laurent Gidon sur 18 avril, 2012

Eva Joly ne sera pas élue.
Les sondages la prédisent même en sous-sol de ces élections.
J’ai reçu les documentations de la campagne officielle. Tous les candidats vitupèrent contre, contre et encore contre, promettent le grand ménage, sont prêts au combat, prêts à se battre pour notre liberté, notre prospérité, notre sécurité, notre nationalité, notre permanence, notre changement, notre pouvoir d’achat, notre pouvoir tout court (rigolo d’ailleurs, ce slogan qui nous dit de prendre le pouvoir en le donnant à un autre).
Dans ce tintamarre, Eva Joly murmure pour.
Pour tout ce qui nous manque, et non contre ce qui nous embête, nous frustre, nous fait peur ou nous rend jaloux. C’est l’attitude d’une mère qui cherche à réveiller le meilleur chez chacun de ses enfants. Pas la clameur d’un chef qui galvanise ses troupes en attisant l’instinct guerrier avant de les lancer dans une bataille.
Tout combat fait des perdants. Chaque vainqueur ne peut que se préparer au prochain combat, jusqu’à la défaite. Le ménage ? Chacun sait qu’il est toujours à faire : le mieux c’est de ne pas salir.
En relisant la déclaration d’Eva Joly, je retrouve tout ce qui me donnait envie de voter pour une femme.
Peut-être me fais-je berner. Peut-être ne suis-je qu’un doux rêveur.
Peut-être aussi me suis-je assez battu pour savoir que l’adrénaline n’a qu’un temps.
Mais j’ai un argument : Eva Joly ne sera pas élue.
En votant pour elle chacun pourra faire avancer des idées positives sans prendre le risque d’élire quelqu’un qui lui déplaît. Cette sérénité vaut toutes les promesses de combat.

L’adieu au steak ?

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 8 avril, 2012

Vous avez peut-être raté ce doc quand il est passé sur Arte, je vais donc vous faire un condensé à ma sauce.

Disons que ma voisine s’enorgueillit de mettre chaque jour de la viande dans l’assiette de ses enfants : c’est une question de fierté sociale, surtout depuis qu’elle a perdu son emploi. Elle va donc au supermarché et achète les barquettes les moins chères en promo.
Pour que ce soit moins cher, le supermarché fait pression sur les producteurs, lesquels se tournent vers deux façons de baisser leurs prix : maximiser la production et bouffer de la subvention.
Pour maximiser la production, ils engraissent les bêtes au plus vite, sur le moins de surface possible, en balançant les déchets où ils peuvent – mais ça finit toujours dans les nappes phréatiques, les rivières ou la mer – en leur faisant bouffer un max de soja produit ailleurs parce qu’ici on n’a plus la place, ce qui incite les barons du soja sud-américains à étendre toujours plus leurs surfaces OGM et à y déverser le plus possible de pesticides au détriment des gens qui vivent dans le coin, lesquels gens meurent en silence ou se font cogner par la police locale – on s’en fout, c’est loin – puis en faisant abattre la viande produite (ce n’est même plus des animaux) sans trop regarder sur la souffrance dans des usines à mort.
En bouffant de la subvention nos producteurs de viande réussissent à produire beaucoup et vraiment pas cher de la bidoche qu’on ne mange qu’en partie (ce qu’on appelle les meilleurs morceaux) et revendent donc le reste ailleurs – puisqu’ils n’ont plus le droit de donner de la bête morte à bouffer aux bêtes vivantes -, en Afrique par exemple, en ruinant la production locale et en alimentant les trafics mafieux entre pays qui laissent faire et pays qui tentent de se défendre. En plus, avec toute cette viande subventionnée on ne s’occupe pas trop de savoir si les pets du bétail produisent plus d’effet de serre que toutes nos bagnoles réunies, puisque l’important c’est de sauver la filière.
Bien sûr, personne n’est responsable, comme l’explique un administrateur des instances européennes : notre objectif est de maintenir notre capacité de production pour ne pas devenir dépendants d’autres pays producteurs, qui pourraient fabriquer de la barbaque encore pire que la nôtre et en plus nous la vendre chère. C’est le marché qui décide. S’il y a des abus, c’est la main invisible du marché qui les corrigera. Plus besoin de faire de la politique (pourquoi donc nous enquiquinent-ils avec leur campagne présidentielle ?!), le marché se charge de tout. Il faut juste l’alimenter.
Alors on entretient la demande locale pour du steak à bas prix histoire d’entretenir la production locale de steak à bas prix et toutes les cochonneries qui vont avec (des violences policières au Paraguay jusqu’aux marées vertes sur les côtes bretonnes).
C’est un choix.
On pourrait aussi choisir de se passer de steak à bas prix et les enfants de la voisine n’auraient pas de la viande tous les jours dans l’assiette, ni les miens. La fierté en prendrait un coup, mais on pourrait.
Cela ne voudrait pas dire plus de viande du tout, mais que de la bonne, élevée respectueusement, abattue proprement, et peut-être cuisinée avec un peu plus de talent que chez MacDo. C’est un autre choix.

J’ai de la chance, notre boucher du village choisit ses bêtes chez des producteurs respectueux, les fait abattre en leur tenant la patoune (j’exagère, bien sûr) et cuisine les bas morceaux pas facile à vendre tels quels mais très bons dans des recettes à lui. C’est bête pour les Africains qui ne pourront plus bouffer de déchets de poulet au formol, mais tant pis.
Tout ça pour dire qu’entre l’adieu au steak et saloper toute la planète il y a une marge. On peut devenir végétarien (je l’ai été pendant 10 ans), mais aussi on peut encourager ceux qui bossent correctement au lieu de les jeter avec l’eau sale dans laquelle pataugent les salopiots.

C’est un choix de vie qui nous revient et qui aurait plus d’influence qu’un bulletin dans une urne.

C’est sûr, faut imaginer…

Posted in Textes par Laurent Gidon sur 4 avril, 2012

Un de mes clients est une banque. Pas une banque qui crame l’épargne des pauvres gens sur les places financières mondiales pour mieux engraisser les paradis fiscaux. Non, une petite banque locale, de proximité, qui gère en bon père de famille et aide les gens du coin à développer leurs projets.
Cette année, cette banque a 100 ans. Au lieu de le claironner et de faire valoir tout ce qu’elle avait accompli en un siècle, elle a plutôt invité les gens du coin, clients ou pas, à imaginer leur région dans les 100 prochaines années.
Sur Internet, cela donne lieu à un concours bon enfant auquel tout le monde peut participer, soit en proposant une œuvre d’imagination sur les Savoie dans 100 ans, soit en votant pour les œuvres proposées par d’autres. C’est simple, on s’inscrit, on met son œuvre en ligne (texte, image, son, vidéo…), on regarde celles des autres et on vote.
Qu’est-ce qu’on gagne ? Des ordinateurs, je crois, mais surtout le plaisir d’avoir partagé un peu de sa vision à soi de l’avenir qu’on a. Et en ces temps de campagne où l’avenir se limite à 3 semaines pour la plupart et à 5 ans pour un seul, c’est toujours bien d’aller voir un peu plus loin.
Comme je sais qu’il y a parmi vous des gens qui ont de quoi imaginer dans leurs neurones, j’ai eu envie d’en faire l’écho.
D’autant que je participe au truc, en tant qu’écriveur sponsorisé.
Oui, la banque m’a commandé une histoire, pour amorcer la galerie d’œuvres mises en ligne. J’ai été payé pour ça (cette banque est aussi un peu mécène), donc je ne suis pas en lice pour le concours. Mais vous pouvez voter quand même, que je sache si mon histoire a un peu plu.
En voici le début :

Cloning Stones

(c’est le titre)

Cela allait être un drame. Non, c’était un drame ! À vingt-quatre heures du concert, un instrument d’époque qui lâche, on peut légitimement appeler cela un drame. En quelques vingt-cinq ans de tournées à travers toutes les communautés humaines, Cole Runner avait connu toutes sortes de désagréments, mais il avait toujours assuré la prestation. Comment allait-il réussir ici, dans cette région montagneuse tout juste rescapée des bouleversements climatiques du siècle dernier ? Il se tordait les mains sur la scène désertée, suppliant le ciel de l’aider ou de le détruire sur le champ. Les derniers nuages de la mousson d’été lui répondirent en lâchant une ondée crépitante.
Les gradins gonflables, pour l’instant aussi flasques que des outres vides, laissaient le regard du producteur britannique errer sur le lac. Sa surface gris acier était hachée par l’averse. L’explosion de chaque goutte soulevait une brume épaisse qui transformait les montagnes toutes proches en ombres menaçantes. Les musiciens s’étaient déjà repliés sur l’auberge. Qui viendrait en aide au producteur malchanceux de ce groupe venu de si loin – rendez-vous compte : High London – pour égayer un anniversaire savoyard. Cole en pleurerait presque. Et tout cela à cause d’un instrument fichu…
― Faut pas vous mettre dans des états pareils, mon gars. On va te le réparer.
« Mon gars ! » Le britannique maîtrisait assez le français local pour saisir le mélange de commisération et de familiarité qui irriguait cette expression. Depuis combien de temps n’avait-on pas appelé ainsi le grand Cole ? Il était plus habitué à « King », ou « Rolling Run ». Mais là, trempé, la crête rabattue sur le front et le jabot de chemise en deuil, il avait peut-être bien une tête de « mon gars ». Qui donc pourrait le sortir de ce guêpier ? Certainement pas la jeune paysanne en tenue de pluie qui avait assisté dans son coin à cette désastreuse répétition et venait de l’apostropher sans considération.
― Parce que vous sauriez réparer un instrument vieux de plus d’un siècle, peut-être ?
La jeune femme à l’air finaud lui répondit en l’invitant à la suivre :
― Moi, non. Mais mon oncle oui, sans doute.
Elle se présenta :
― Lisa Astruz, co-organisatrice du bicentenaire.
Autant pour la paysanne, pensa Cole qui se souvint avoir croisé le nom d’Astruz sur les contrats.
― Ah… et moi Cole Runner, producteur du… fiasco.
Il empoigna la housse de l’instrument détérioré et lui emboîta le pas. Après tout, il avait peut-être une chance de sauver la face. Et puis son interlocutrice lui tendait une cape imperméable assez tentante sous cette averse.
Ils rejoignirent le rivage à bord d’une barque à induction, traversèrent Aix-les-Bains – « Aix-la-Douche, oui ! » pensa Cole – sans croiser personne dans les rues inondées, puis montèrent à bord d’un compartiment d’éobus en partance pour…
― Mais où allons-nous exactement ?
― Vallée de l’Arve, mon gars. Si on ne trouve pas ce qu’il faut là, on ne trouvera nulle part !
Le bus éolien s’engagea sur son rail, lança sa voile flottante vers les vents d’altitude et fila en direction du Nord dans un silence giflé de pluie. Son parcours traçait une ligne droite dans les bambouseraies de la vallée. Partout, les hautes tiges agitées par les bourrasques masquaient un paysage rendu de toute façon invisible par les derniers sursauts de la mousson. Cole pensa brièvement à High London, sa mégalopole sur pilotis plantée dans la lagune géante de la Tamise. Cette vision grisâtre vint se superposer au camaïeu de verts tendres des bambous qu’une moissonneuse éclaircissait de loin en loin.

La suite est ici…

Pensée délatéralisée

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 2 avril, 2012

Heureusement que des personnes bien dotées en esprit et conscience tentent de rehausser le niveau de cette campagne qui, si on la confiait aux seuls politiciens et communicants, creuserait profond en dessous des égouts.
Une interview d’Emmanuel Terray m’a ainsi redonné le moral et l’envie de savoir pourquoi je veux tant voter Eva Joly alors que Mélanchon est tellement hype. Car sa façon de décrire une pensée latéralisée en l’appuyant sur des études historiques rigoureuses éveille en moi une réaction : si penser de gauche est penser contre la droite, alors je ne suis pas de gauche, ni d’ultra gauche. Il n’est plus temps d’être contre, il est urgent d’être avec. La seule lutte qui ne fasse pas de perdant, c’est la lutte intérieure : partir de soi, de ses prises de conscience et de ses peurs, pour les apprivoiser et voir de quelle manière nous pouvons quand même vivre avec l’autre, du plus proche au plus lointain.
Et surtout, se défier de l’idée qu’un président va tout changer ou tout casser. Il ne fera rien seul. Comme le dit Terray :

« J’ai été défenseur prud’hommes dans les années 70 à la CFDT. Dans notre idéologie, nous voulions une défense collective, participative. On voulait associer les gens qui venaient porter plainte à leur propre défense. On se heurtait à des résistances farouches. Je les entends encore : « Monsieur, je remets mon sort entre vos mains, je vous fais une entière confiance. »
Ce recul face à la liberté et la responsabilité jouent très fort en faveur de la droite, qui fait une distinction fondamentale entre l’élite et la masse. »

Certes, mais c’est aussi l’approche de tout homme providentiel qui vous entraîne dans son combat en vous promettant la victoire. Suivons-le, battons-nous pour la bonne cause, forcément bonne, battons-nous et gagnons… pour gagner quoi, sinon des décombres ? Avoir raison contre l’ordre établi ne suffit pas à faire accepter l’autre. Remettre notre sort entre les mains de l’homme providentiel n’est pas une pensée de droite, c’est la pensée qui donne le pouvoir à quiconque pour ne plus avoir de responsabilité dans nos malheurs. Reprendre le pouvoir est une illusion, c’est reprendre la responsabilité qui compte.
Et c’est difficile.
D’où la notion d’effort démocratique, très intéressante :

« La démocratie implique un effort, une dépense d’énergie, de temps. Quiconque a eu des responsabilités sait que c’est bien plus facile de décider soi-même et d’essayer de faire appliquer cette décision plutôt que de consulter cinquante personnes et discuter pendant des heures pour arriver à un avis commun. Or les gens ne sont pas spontanément portés à l’effort. »

C’est ce qui me donne envie d’écologie. L’écologie politique n’est pas un diktat économique (ah, ce célèbre « retour à la bougie » !) mais une proposition d’évolution collective. Plutôt que décider « qu’est-ce qui marche et qu’est-ce qui ne marche pas », il me semble qu’être écologiste joue sur l’envie de s’approprier à différents niveaux – du local au national – des façons de vivre ensemble se rapprochant d’une idée générale de respect de l’homme dans son environnement. On partage l’objectif commun de mieux vivre, mais on l’applique différemment suivant les conditions locales. L’effort porte donc sur la nécessité de se mettre d’accord plutôt que sur la compétition entre gagnants et perdants.
Car il n’y a pas de combat gagnant-gagnant.

« Je crois que c’est le principe même de la politique de Sarkozy. L’idée est de sauver l’ordre établi dans ses fondamentaux avec ce qu’il contient d’inégalités, de toute puissance de l’argent ; mais de faire les mutations accélérées et cosmétiques qui permettront de sauver cet essentiel. »

Et c’est là, qu’apparaît pour moi la limite de la séduction Mélanchon. Oui, il peut m’enthousiasmer, m’enflammer, mais il ne propose rien d’autre qu’un combat, un rapport de force qui pourrait tourner à notre avantage. Une telle approche sacralise en fait la politique de droite pour mieux s’y opposer et lui substituer un autre ordre, au lieu de la nier, dire qu’elle ne nous concerne pas, rompre le combat contre l’ordre établi et s’occuper d’améliorer ici et maintenant ce qui est à notre portée. C’est moins enthousiasmant, mais je crois à cette résistance par le changement personnel plutôt que par le changement des autres.
D’Ailleurs : « L’islam nous est proposé comme un adversaire de substitution, car il faut toujours un adversaire, depuis que le communisme a disparu. On n’a pas assez noté que les Trente Glorieuses sont exactement contemporaines de la guerre froide. » Ne nous trompons pas d’adversaire. Le capitalisme n’est pas l’ennemi. Ce qu’il faut combattre, c’est notre propension à en profiter et donc à entretenir les conditions du capitalisme destructeur. Tant qu’on se dira « obligé » de prendre sa voiture ou d’aller faire ses courses chez Auchan, on ne prendra pas la juste mesure de l’adversaire intérieur.

En conclusion :
« Dans la préface de « Lucien Leuwen », Stendhal a cette très belle formule :
    « Adieu ami lecteur, essayez de ne pas passer votre vie à haïr et à avoir peur. » »

La campagne attise ces deux facilités que sont la haine et la peur, mais ce n’est hélas pas l’apanage exclusif de la droite.