Comme ça s'écrit…


Un peu d’élan

Posted in Vittérature par Laurent Gidon sur 28 septembre, 2011

Les mardis et vendredis soirs, je monte à vélo ouvrir la salle d’escalade du village. Pas pour y grimper – l’escalade, c’est plutôt falaise – mais pour m’y suspendre à des prises en résine et surtout discuter avec les copains. Parfois mon fils aîné m’accompagne ; il aime bien redescendre tout seul avant moi.

En cette saison, j’attends que le soir tombe. Je dis aux potes que je file parce que je n’ai pas d’éclairage sur mon vélo. En fait, je guette le coucher de soleil pour descendre dans sa lumière rose. La route à flanc de montagne ouvre des perspectives, loin sur les Préalpes à l’Ouest. Et ça flamboie, rien que pour moi. Petit bonheur.

Le jeu, c’est de laisser filer dans la descente. Accumuler le maximum de vitesse pour rejoindre la maison sans un tour de pédale. Alors il faut prendre des risques dans certains virages, s’interdire le frein. Surtout dans le dernier tournant, à angle droit et sans visibilité au milieu des maisons. Après, il n’y a plus que deux cents mètres à plat et un léger ressaut avant chez moi.

Des mois que j’essaye, des années même : rien à faire ! La dernière petite côte me mange toute la vitesse. Il faut toujours remettre un peu d’élan. Presque rien parfois, un quart de tour sur le pédalier. Ce presque rien qui suffit à continuer.

Tout pourrit, tout fleurit

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 22 septembre, 2011
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Il est de bon ton de critiquer le pouvoir en place comme ceux qui veulent lui prendre sa place. Élus ou candidats, tous pourris, tous guidés au mieux par leurs intérêts et au pire par l’intérêt de puissances cachées dans l’ombre. La France – que dis-je, la France : le monde ! – est aux mains d’arrivistes sans scrupules qui la mettent en coupe réglée pour leur profit et celui de quelques-uns.

D’accord. C’est vrai. Mais nous, les petits, les sans pouvoir, les « propres », de quoi profitons-nous ? Combien d’entailles dans nos contrats moraux personnels ? Combien de petits carottages, d’excuses autoadministrées sur l’air du « puisque tout le monde le fait » ou du « je serais bien bête de me priver tant que je ne me fais pas gauler » ? Et aussi, combien de renoncements, de mains tendues qu’on ignore, de justification bien senties sur le mode « s’il en est là c’est qu’il l’a bien cherché » ou pire « je n’y peux rien, je n’ai pas assez de pouvoir pour agir, laissons les vrais responsables s’en charger » lorsqu’on croise plus mal loti que soi ? Combien de peurs banales, d’habitudes tranquilles, de petits conforts qui font les grands dégâts, d’ambitions mal placées qui nous éloignent de ce que nous pourrions être ?

Il n’y a pas de mystère. Si l’on continue de choisir des dirigeants et des modes de vie que nous savons être nuisibles, c’est d’abord parce que nous espérons y gagner quelque chose. Pas parce que nous n’avons pas le choix.
Ce que nous avons à gagner ? Rien de bon, ou presque. Seulement ce que nous connaissons, qui nous mine la vie mais nous fait croire que demain sera pareil – donc rassurant – et peut-être un peu mieux. Que peut-être quelqu’un d’autre fera le sale boulot. Que peut-être on gagnera au loto. Que peut-être nos petits rêves verront un peu de réalité. Que peut-être on va s’en sortir un peu mieux, demain. Ou après-demain.

Cette ambition petite, si partagée, qui pourrit tout, peut devenir aussi celle qui fera tout fleurir. Commencer par soi. Se dire que demain on sera mieux. Pas le monde mieux, pas la France mieux, pas mon patron, mon boulot, mes proches mieux, ma maison ou ma voiture mieux, juste moi, en mieux.
Un moi mieux, c’est un moi qui se respecte. Donc qui se connaît, qui sait ce qu’il veut, ce qu’il accepte et ce qu’il refuse. Un moi mieux, c’est un moi qui sait ce qui est bon pour lui en profondeur, et qui le fait. Un moi mieux, c’est un moi qui se crée en mieux. Un moi qui se rapproche de la plus haute idée que je me fais de moi.
Commencer par se changer soi, balancer toutes les règles et les habitudes qui ne sont pas soi et se retrouver vraiment, se renaître. Refaire l’intérieur, ce qui est à portée de main ou d’âme, au lieu de placer tout espoir dans l’extérieur, hors de portée.
Petite ambition, grands résultats.

30 ans et un jour…

Posted in Admiration par Laurent Gidon sur 19 septembre, 2011
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J’ai un problème avec la peine de mort.
J’ai un problème pour argumenter contre la peine de mort : cela me paraît tellement évident que je n’arrive pas à trouver les mots.

Lorsque quelqu’un évoque devant moi la nécessité de condamner à mort, puis exécuter, certains criminels pour des tas de raisons qui lui semblent très sensées, je reste sans voix et ne peux que bégayer « Mais… Non ! C’est pas bien ! »
La peine de mort me pétrifie.
Cet acte définitif de tous contre un seul me paraît nier l’humain, détruire le lien entre humains. Avec tellement de force et de violence que je n’arrive pas à exprimer ce qu’elle bouleverse en moi.

Heureusement, voici trente ans et quelques jours, Robert Badinter a trouvé suffisamment de voix, de mots, d’arguments, pour que les députés de la République Française votent l’abolition de la peine de mort.
Par 363 voix contre 117. Encore une affaire de voix. Je reste toujours ébahi que l’on puisse se donner le droit, se donner des raisons valables, d’exécuter un être humain. Et que l’on puisse soutenir ce droit aberrant devant la nation.

Alors merci M. Badinter. Merci.

Cette voix-là

Un dieu jaloux

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 15 septembre, 2011
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En cette rentrée, de nombreux curieux viennent essayer le tatami. Bonne occasion de se frotter à des sensibilités diverses pour leur décrire la démarche aïkido et les accueillir sans (trop) de préjugés mais en les aidant à faire le pas de côté nécessaire. Parce qu’il faut souvent se dépouiller de certaines habitudes à la fois physiques et psychiques avant de sentir ce qui est à l’œuvre entre uke et tori.

Hier soir, deux gars d’une trentaine d’années regardent la séance depuis le banc. L’un est déjà venu essayer, il veut s’inscrire. L’autre accompagne, se laisserait bien convaincre. Je les emmène au bureau remplir le dossier d’inscription du premier, puis nous revenons dans le dojo et ils acceptent de finir la séance avec nous.

Brève explication du protocole : on salue debout en montant sur le tatami, puis à genoux, en direction du fondateur, Morihei Ueshiba.
Blocage : l’accompagnateur n’a le droit de s’incliner que devant dieu.
Bien sûr, je prends le temps de lui expliquer que nous posons nos religions respectives avec nos tongs au bord du tatami, que sur le tapis nous sommes tous pareils malgré nos différences, que s’il y a quelqu’un là-haut il nous préfère sans doute égaux ainsi, et qu’il faut prendre l’aïkido en entier, rituel compris.
Il va accepter, avec réticence, et ne pas le regretter, mais la question n’est pas là.
Quel dieu jaloux interdit à ses fidèles de s’incliner devant autre que lui ?
Quel dieu hésitant est si peu sûr du respect de ses ouailles qu’il interdise toute autre marque de respect ?
Quel dieu revanchard a peur qu’un de ses adorateurs puisse dire merci à un autre que lui ?

L’homme crée les dieux qui lui font défaut. Des dieux de peur ou de colère. Des dieux d’interdit et de punition. Des dieux qu’il voudrait tout puissants pour le protéger exclusivement, mais qu’il prive de leur puissance par les interdits qu’il s’impose au nom de ces mêmes dieux.
Si dieu ne peut tolérer que je m’incline devant un vieillard mort depuis trente ans, ce dieu est bien faible.
Si par respect pour dieu je ne peux ni saluer, ni dire, ni voir, ni manger, ni porter, ni toucher, ni caresser, ni penser ce que je veux, je fais de ce dieu une création plus basse que moi-même.
Si je pense – et donc crée – un dieu de perfection, il me créera libre et parfait, sans peurs ni jalousies, sans interdits. Salut !

Ce qui nous lie et nous libère

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 11 septembre, 2011
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J’ai longtemps été très matérialiste : il y avait ce qu’on pouvait voir, analyser, comprendre, prouver, et puis le reste, l’immatériel, l’irrationnel, que je ne niais pas a priori mais dont je contestais toutes les descriptions puisque – pensais-je – en tant qu’être humain vivant personne n’est équipé pour percevoir et comprendre ce qui se trouve hors de la sphère de nos sens.

Ou, pour faire plus court : je voulais bien croire à une réalité métaphysique, mais pas croire ce que d’autres m’en disaient.

La vie se marre et se joue de nous. Elle nous glisse des messages et des peaux de banane, attendant de voir ce sur quoi nous allons glisser. La vie est rigolote. Le 11 septembre d’il y a 10 ans, elle n’a pourtant pas dû rigoler beaucoup. Et pourtant… C’est peut-être juste pour que tout n’ait pas été sombre ce jour-là, mais elle m’a bien eu. La vie. Ce qui nous lie.

Nous rentrions de vacances prolongées : mon épouse était en congé maternité. 900 kilomètres en voiture, avec un garçon de 2 ans et un bébé de pile 3 mois. On était fatigués. On avait beaucoup parlé et chanté parce qu’on n’écoute jamais la radio en voiture. Donc on ne savait pas. J’ai garé la voiture, ouvert la portière puis la porte de la maison. Sans savoir pourquoi, je suis monté direct à notre chambre et j’ai allumé la télé. J’ai vu de la fumée sortir d’une des twin towers. Le temps de crier à mon épouse qui dessanglait le bébé de son couffin « Hé, je crois qu’il se passe quelque chose… », et pouf, je vois un truc blanc entrer dans l’image, puis dans la seconde tour.

Qu’est-ce qui nous lie ? Qu’est-ce qui fait qu’un papa néglige son bébé après une journée de voyage surchauffé et fonce allumer une télé qu’il ne regarde d’habitude que pour les films, jamais pour les actualités ? Je me souviens d’Obi Wan kenobi ressentant le trouble de millions de voix qui ont hurlé de frayeur puis se sont tues lors de la destruction d’Aldorande par l’étoile noire.
Quelles voix ai-je perçues ce 11 septembre ? Ma rationalité matérialiste me disait de ne pas y penser autrement que comme un enchaînement de hasards improbable mais réalisé, sans plus. Maintenant… je me demande. Je me demande ce qui nous lie au-delà de ce que la science peut expliquer.
D’accord, je n’ai pas passé 10 ans à me poser la question. Mais, en traquant l’idée dans presque tout ce que j’ai écrit, je pense qu’il nous arrive de synchroniser nos émotions, de nous percevoir comme une seule entité. Le seuil de perception étant variable de l’un à l’autre, d’une situation à l’autre… d’un centième singe à l’autre.

Bah ! Même si je crois avoir un début de réponse, ce n’est pas ça qui compte.
Ce qui compte, c’est ce qu’on en fait de cette réponse. Ce qui nous lie est plus fort que ce qui nous sépare. Mieux : ce qui nous lie nous libère. Chaque jour, je l’expérimente de façon plus juste et plus profonde. Je dois avoir une sacré chance.

Melancholia : rêve d’une seule

Posted in Admiration par Laurent Gidon sur 7 septembre, 2011

Tout est dit dès les premiers plans aux couleurs artificielles et à la lenteur sidérante : vous entrez dans un rêve. Suivez-nous, débarrassez-vous de votre véhicule de location – il ne passera pas le virage du rêve – et laissez-vous glisser dans un temps autre.
Vous croyez suivre un mariage en temps réel ? Illusion, double illusion : ce n’est pas un mariage mais une rupture, et il est plus rapide de sortir d’un bain pour paraître en robe de mariée que de porter un toast.
D’ailleurs, le temps se précipite, le changement de partie est une autre illusion, nous sommes toujours dans le rêve d’une seule, la dépression monte, gagne, il n’est plus temps de se confronter à la foule familiale, professionnelle ou amicale, il faut se terrer au creux des murs, resserrer le cercle, assigner les rôles… et puis, même cela ne suffit plus, il faut tout détruire, se rêver morte.

Melancholia donc, que j’interprète comme le rêve d’une dépressive qui fait exister tout ce qui la détruit, jusqu’à cette planète blues hésitant à fracasser le monde, puis finalement décidant de ne plus laisser aucune trace. Pas d’autre message que celui-ci : la dépression sépare l’être en âme malade, esprit perdant le contrôle et corps pleurant, chacun sur des voies différentes que seule la mort peut réunir.
Ce message ne me satisfait pas, bien sûr, car il y a toujours un autre chemin que celui de la destruction. L’être est création et l’expérience, même dépressive, est créative de l’être. Mais le film de Lars von Trier m’a suffisamment intrigué pour passer sur cet écueil et le remercier du spectacle.

À un détail près : la caméra épileptique m’a forcé à me reposer les yeux en fixant régulièrement les murs sombres de la salle. J’ai déjà souffert de cette afféterie très mode dans les films d’Assayas ou dans Public Ennemies de Michael Mann. Ici, j’en suis sorti migraineux avec l’impression de n’avoir pas « vu » Melancholia, mais une sorte de brouillon préparatoire juste pour me donner envie du vrai film.