Comme ça s'écrit…


Le peu que je sais de la guerre

Posted in Berliner Round,Réflexitude par Laurent Gidon sur 26 février, 2022
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Du blé et du ciel (et non un drapeau)

La guerre fait mal. À ceux qui la font comme à ceux qui en reviennent.
La première douleur que m’a infligé la guerre était visuelle : dans une salle d’attente de médecin, j’ai vu dans un magazine la photo d’un soldat nord-vietnamien « hébété de douleur » (c’était les mots exacts de la légende), le bras gauche déchiqueté en une bouillie d’os brisés, de tendons et chairs non identifiables. J’avais sept ans. L’image n’a toujours pas quitté mon regard et dès que j’entends le mot « guerre » la douleur se ravive.

La guerre est un art du déséquilibre. On croit qu’il penche en notre faveur, sinon qui combattrait, à moins du désespoir ? Les forces déchaînées font basculer le temps dans autre chose, un inconnu qui excite les moelles et darde les langues. La guerre laboure le terrain, la viande et l’esprit. On en sort tordus, penchés, tous, et il faudra de la patience, de l’effort, pour redresser. Peut-être jamais, ou pas avant la prochaine.

Il me semble que la cause de toute guerre actuelle repose sur la croyance hypnotique, chez celui qui se bat, en trois fictions : ce que je suis (et donc que l’autre n’est pas), ce que j’ai (et donc que l’autre ne peut avoir), et ce qui est chez moi (et donc n’est pas chez l’autre). Il suffit, pour devenir un bon chef de guerre de renforcer cette croyance chez le plus possible de ses « hommes ».
Après, on peut chercher d’autres causes, économiques ou impérialistes, voire civilisationnelles, mais sans ces trois croyances de base, personne ne prendrait une arme pour supprimer une vie. C’est sont « droit naturel ».

Depuis longtemps la guerre est préparée, déclarée, conduite, par ceux qui ne la font pas, d’où l’intense nécessité de contrôler ceux qui la font.
On entre dans les armes comme en religion.
Un pape en cravate édicte le dogme. Un clergé galonné diffuse le credo. Une assemblée de fidèles fonce au carnage en uniforme, absous par avance. Prière de laisser son humanité aux portes de l’église.

On ne fait la guerre que parce qu’on a quelque chose à perdre. Un peu de pouvoir, un peu d’argent, un job. Ce ne sont que des fictions. On se bat pour des histoires mal racontées.
L’alternative ? Aller nu. Je n’ai rien à défendre qui vaille de sacrifier une vie.

On m’objectera les guerres justes, les guerres nécessaires. On s’approchera du point Godwin. On évitera toujours de penser aux autres possibilités.
La fuite et l’accueil qui vont de paire en font partie. La solidarité.
Ma solidarité ne va pas à l’Ukraine. L’Ukraine n’existe que dans l’esprit combatif de ceux qui veulent l’attaquer ou la défendre. Des couleurs sur une carte, à ne pas confondre avec le territoire qui ne connaît aucune limite.
Ma solidarité va à tous ceux qui vont souffrir et mourir, infliger des souffrances et la mort, mus qu’ils sont par des mythes et légendes répandues de tous côtés, tenus et agités par les fils d’une transe hypnotique confondue avec la vie. Tous victimes, aveuglées.

Le peu que je sais de la guerre, je l’ai longuement raconté dans Berlineround, déjà face à l’empire russe.

Faire campagne

Posted in Non classé,Réflexitude par Laurent Gidon sur 18 février, 2022

Ils sont tous là, à tenir le crachoir depuis des mois et pour encore quelques semaines, ceux qui en parlent et ceux qui voudraient qu’on parle d’eux. Faire campagne, une activité à plein temps.

Est-ce faire politique ?

Qu’est-ce, d’ailleurs, que faire politique, dans une société d’abondance où plus personne – ou presque, je sais – ne meurt de faim et de froid ? Il ne nous manque rien de matériel.

Faire politique, ne serait-ce qu’administrer des envies factices génératrices d’insatisfactions réelles ? Proposer chacun sa solution à des problèmes inventés pour des peurs déclamées ? Nous imposer les « nouveaux défis d’aujourd’hui » pour mieux les résoudre en sauveur… merci cher pompier pyromane !

Ou bien, faire politique ne serait-ce pas demander comment nous voulons vivre ?

Comment voulons-nous vivre alors qu’il est possible – le progrès faisant foi – de travailler moins ?
Travailler moins pour être moins malade et moins vieillir, voire mieux vieillir.
Travailler moins pour moins salir ; le travail, tous secteurs confondus, étant le plus gros émetteur de pollutions et d’effet de serre.
Travailler moins pour consacrer plus de temps à nous connaître, nous côtoyer, se frotter chacun à l’autre comme un voisin enrichissant et non comme un concurrent.
Bref, vivre ensemble et prendre le temps de nous élever comme des arbres en forêt (regardez ce doc éclairant).
Je place ici la citation de Teilhard de Chardin qui sera en épigraphe de mon prochain roman : « Tout ce qui monte converge inévitablement. »

Quand ils auront fini de faire campagne, il nous restera donc à faire politique et prendre un peu de hauteur pour converger. Sans eux. Parce qu’ils ne servent à rien, sinon à maintenir cette pression de production qui pousse le couvercle de nos contrariétés jusqu’à la prochaine explosion, divergence permanente.

Allez, je vous redonne mon programme de campagne : cesser le travail, partager ce que nous avons tous (au moins du temps) et regarder le monde changer.

Et, pendant que battre la campagne est devenu sport national, j’ai lu Sidérations, de Richard Powers, traduit par Serge Chauvin.

Encore des arbres…