Comme ça s'écrit…


Notes de pluie

Posted in Admiration par Laurent Gidon sur 31 janvier, 2011
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Waiting for the summer rain, yeah !

Depuis des années (30 ?), j’essaye de traduire en phrases l’effet qu’a produit sur moi cette simple ligne, glapie par Jim Morrisson dans The end, sur le premier disque des Doors. Aucun moyen de précipiter à ce point l’attente poisseuse et désabusée, l’atmosphère de Sud profond, l’imminence de la déflagration orageuse, à la fois libératrice et dévastatrice. Quoi que je fasse – histoire, image, incantation – c’est toujours trop long, verbeux, et pourtant il y manque aussi toujours quelque chose, au moins ce presque rien qu’apporte le yeah final, contrepoint mitigé de connivence et de résignation. Comme si nous étions tous, au fond de nous, dans l’attente de cette pluie d’été et de sa déchirure humide dans le voile sec de nos existences. Pas plus de lumière, pas moins de nuage, mais l’écrasant martelage des gouttes chargées de laver un peu tout ça.
Voilà que je m’égare à essayer encore…
Malgré tout son talent, il fallait à Tennessee Williams plus d’une heure de théâtre ou tout un roman pour mettre en scène les ingrédients de l’orage. Il est pourtant le seul – à mon humble avis – à y être parvenu aussi bien que Morrisson, en un titre et sans musique : Cat on a hot tin roof. Pas plus d’une syllabe par mot, ça balance sec, hérissé et dressé sur les griffes, mais ce n’est pas du jeu : c’est une métaphore. Les Doors sont dans la réalité partagée. Williams a aussi touché l’os de la chose avec un autre titre, Something Wild… Mais le morceau des Doors fait plus que dire, il invite à entrer dans ce quelque chose de sauvage tapi en chacun. Ce n’est pas un énoncé, c’est une initiation. Bascule de la chanson, Waiting for the summer rain produit une rupture, consacrée par quelques frappes sèches de John Densmore. Premières gouttes, ou trois coups avant lever de rideau d’un tout autre théâtre ?
Je suis sûr d’une chose : pas moyen pour tout mon clavier de signifier autant que ces si peu de mots et de notes.


Jeudi au hasard

Posted in Ateliers par Laurent Gidon sur 27 janvier, 2011
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Pour ce jeudi, je pioche au hasard dans un gros livre de ma PàL : La Bibliothèque nomédienne. C’est un collectif au thème intriguant (générer l’histoire, la nature et la littérature d’un archipel caché), avec un copain aux commandes (Alfred Boudry) et des copains au clavier. Et c’est publié depuis 2 ans chez l’Atalante. J’ai ouvert une page au pif, la page 133 :

Je n’en suis pas sûre, c’est peut-être seulement un mythe familial, une de ces vieilles histoires que racontent toutes les familles et qui, à chaque nouvelle récitation, se voient augmenter de quelque chose selon l’humeur de l’orateur ou selon ses besoins d’obtenir quelque chose de la part de ceux qui l’écoutent, approbation, incrédulité, faveurs sexuelles, qui sait ? Bien sûr, dans ma famille, il y a toujours un autre facteur : l’alcool – soyons francs, là -, le degré d’intoxication de l’orateur doit être pris en compte. Mais c’est ma grand-mère – qui n’a jamais taquiné la bouteille, comme on dit – qui m’a raconté l’histoire ; aussi je lui accorde quelque crédit. Et puis, j’ai tout le temps d’y réfléchir, ici sur ce navire en route pour le continent égaré de Nomédie, et quel meilleur sujet de réflexion que cet autre voyage mal organisé ?

 

La Bibliothèque nomédienne – Elémént 9 : l’Expérience impossible, Poppy Burton, traduit de l’anglais par Alfred Boudry

Banque des citations du jeudi : Chiffonnette.

 

 

 

 

Le monde selon John

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 24 janvier, 2011
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On m’excusera ce titre déjà très vu, parce qu’en ce moment j’ai du mal.
En ce moment, j’ai du mal à écrire un certain livre. Et ce moment dure depuis quatre mois. Chaque matin je me lève en me disant que je m’y remets ; chaque soir je me couche en disant non, je jette l’éponge. Il lui est tout arrivé, à ce roman. Jusqu’à disparaître de mon PC par une fausse manip irrattrapable. Jusqu’à me faire perdre le sommeil pendant 37 jours (j’ai compté, j’ai eu le temps). Et pourtant il est là, encore en germe.
Lundi dernier, je voulais appeler mon éditeur pour lui dire que c’était mort, que j’arrêtais, qu’il fallait que je sois honnête en lâchant l’affaire. Au lieu de cela, cet éditeur m’a remis en selle, en me disant que ce qu’elle en avait lu (c’est une éditrice) lui donnait envie de le publier. Qu’il fallait juste que je le finisse. Je suis faible : j’ai accepté.
Je me suis remis au travail, à la peine. C’est ridicule de parler comme ça alors qu’il y a tant de métiers pénibles. Mais ce ridicule-là ne m’atteint pas : j’étais vraiment en train de crever de ce roman, comme un abcès. Même remotivé, tout ce que j’écrivais était bon à jeter. D’ailleurs je l’ai jeté.
Et puis il y a eu cette longue interview de John Irving à la télé. Pour une fois, alors que je l’oublie chaque semaine, j’ai pensé à enregistrer l’émission. Je l’ai regardée tout à l’heure.
John (vous permettez que je vous appelle John ?) est un de mes écrivains favoris. Sans avoir tout lu de lui. Chacun de ses livres m’a parlé, d’une certaine façon, du monde et de l’humain en général. Pourtant, le bonhomme me restait inconnu. Même sa tête. Là, il passait à la télé (… partout où luit la télévision, veille quelqu’un qui ne lit pas.*). Je voulais l’entendre dire quelque chose. Me dire quelque chose.
J’ai longtemps rejeté toute idée de destin ou de signes ; ce n’était que du fatras new age. Mais là, entendre John Irving expliquer que le boulot d’écrivain c’est du travail, qu’il y faut de l’endurance, que – surtout si on est doué – on s’aperçoit toujours que ça ne marche pas du premier coup, qu’il faut y revenir sans cesse… eh bien entendre ça m’a semblé être ce qu’il fallait, au bon moment. John Irving remercie la discipline que lui a appris le sport. Moi, je remercie John, bien que l’idée m’avait déjà été inculquée par nombre d’autres.
Passer de la facilité à la difficulté, c’est ce qui donne le plus envie d’abandonner. S’il y a quelqu’un pour vous dire de continuer même si c’est dur, franchement ça ne rend pas moins dur, mais ça pousse un peu. Alors s’ils s’y mettent à deux…

*préface du Monde selon Garp

La balance du jeudi

Posted in Ateliers par Laurent Gidon sur 20 janvier, 2011
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Je lis en ce moment, à petites gorgées gouleyantes, un pavé que le père Noël a eu la bonne idée de secouer de sa hotte dans mes chaussons. L’auteur y balance à la diable ses souvenirs d’enfant du rock et n’hésite pas à tremper le clavier dans l’acide, à l’occasion. A la fin de cette retranscription partielle d’une rencontre décevante avec un Mick Jagger cacochyme qui marche en s’appuyant douloureusement sur une canne, mes lèvres ont fait ‘Pouffff’ avant de partir dans un long sourire que j’ai envie de partager en ce jeudi, même si c’est méchant.

L’entretien se poursuit ainsi jusqu’à son terme. Pas grand chose à en retenir. Mondanités, papotages de surface. Il s’acharne à parler français, persuadé à tort de maîtriser notre dialecte. On dirait du Birkin deuxième année. Du coup, déjà qu’il n’avait pas grand chose à raconter, il met deux fois plus de temps à le faire. En fait, le seul souvenir marquant de cette journée, c’est la métamorphose de Jagger lorsqu’il monte sur scène, quelques instants plus tard. ça se passerait à Lourdes, on crierait au miracle… Sur le coup des sept heures on était prêt à sonner l’assistance médicale pour lui filer son gâteau de riz… Une demi-heure plus tard, on dirait un jeune pur-sang sortant du box les naseaux fumants. Alors dopage ? Pas dopage ? La différence entre les cyclistes et les rockers, c’est qu’on ne leur fait pas faire pipi au bout de l’épreuve. Et puis, au fond, on s’en fout. Le concert fut stonien en diable, c’est-à-dire foutraque, bordélique, réjouissant, et tellement rodé qu’il ne courait aucun risque de couler une bielle. La vérité de cette métamorphose doriangrayesque est, je crois, beaucoup plus prosaïque. En fait, il s’économisait. Parce que, en plus, Jagger a la réputation d’être un gros radin.

Antoine de Caunes, Dictionnaire amoureux du Rock – Plon

Il n’y a pas qu’Antoine de Caunes qui balance le jeudi : allez voir chez Chiffonnette.

Jasmin dans ta gueule !

Posted in Non classé par Laurent Gidon sur 17 janvier, 2011
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L’époque est à la communication. Le plus important, ce n’est pas de faire quoi que ce soit, c’est de trouver la formule qui le décrive de façon communicante. Le billet précédent en parlait déjà, sur un mode sans conséquence. J’y reviens, pour un truc un peu plus lourd.
Depuis trois jours, la presse parle de Révolution de Jasmin pour formuler en deux mots toute la complexité de ce qui s’est produit en Tunisie. Et tous de s’engouffrer dans ce titre facile, qui semble dire tout à la place de rien.
À titre perso, cela ne m’en fait pas bouger une, mais il faut se méfier des titres perso quand on n’est pas directement concerné. Ce matin, j’ai entendu Youssef Seddik s’en indigner sur France Culture. Deux petits mots qui sentent bon le mépris ex-colonial, comme s’il fallait à tout prix qualifier avec des noms de fleurs des combats inscrit dans l’âpreté et la durée, avec des morts.
Pour Youssef Seddik, la révolution à l’œuvre en Tunisie n’a rien de moins que la révolution française (à laquelle on met d’ordinaire des majuscules).
Est-ce que, pour qualifier 1789, les mêmes journalistes auraient parlé de Révolution de Brioche ?

Ici, un bon titre

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 14 janvier, 2011

Une manie de journaliste m’horripilait jusqu’ici : celle qui consiste à surmonter une critique de livre, film ou disque d’un autre titre que celui de l’œuvre. Pour faire le malin, montrer qu’on a plus que l’auteur le sens de la formule, ou simplement affirmer que le point de vue sur l’œuvre est plus important que l’œuvre.
En tant que lecteur, cela m’agace beaucoup. Je m’y laisse prendre et cours chez mon libraire ou mon dealer de films, pour demander Afghanistan Now au lieu d’Armadillo, le coup de poing filmique de Janus Metz, ou L’Echo magique du réel, de Xavier Hanotte, alors que c’est Des Feux fragiles dans la nuit qui vient (peut-être plus difficile à énoncer, j’en conviens).

Cette manie n’était qu’énervante jusqu’à ce que j’entende sur France Culture une certaine Brigitte Jardin exprimer le percement de cœur qu’elle a ressenti en lisant « J’ai craché sur vos tombes » en titre d’un article illustré par la tombe d’un certain Jean Jardin. Le père de Brigitte s’appelait Jean, était mort en résistant, et sa tombe ressemblait à s’y méprendre à la photo destinataire du crachat. C’était le 2 janvier. Nous sommes le 14 et la douleur ressentie était encore sensible dans les mots de cette presque septuagénaire, passés tout vibrants à l’antenne.

Qui donc avait craché sur la tombe du père de Brigitte ?
Personne.
Si, un critique qui voulait faire le malin en titrant son papier à la Vernon, au lieu de laisser place à Des Gens très bien, d’Alexandre Jardin. Je n’ai rien à dire sur ce livre que je n’ai pas lu. Alexandre y parle de Jean, son grand-père collaborateur de Pierre Laval et homonyme du père de Brigitte. Je n’ai pas lu non plus l’article du journaleux à gros titre. Mais je sais maintenant (je m’en doutais, mais là c’est prouvé) qu’à faire le malin on perce des cœurs. Quel titre aidera à cicatriser ?

Je dis noir, jeudi espoir

Posted in Ateliers par Laurent Gidon sur 13 janvier, 2011

Il suffit de lire un peu pour trouver, partout et même au milieu des pires recensions du marasme, des raisons de relever la tête, voire retrousser les manches. Pour ce jeudi :

Ce qui est remarquable est que les Etats ne se préoccupent nullement de maîtriser ou au moins contrôler « le marché », c’est-à-dire la spéculation et le capitalisme financier, mais par contre s’efforcent de juguler les forces démocratisantes et libertaires qui font la vertu d’Internet. La course a commencé entre le désespérant probable et l’improbable porteur d’espoir. Ils sont du reste inséparables : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve » (Friedrich Hölderlin), et l’espérance se nourrit de ce qui conduit à la désespérance.
…/…
Mais le probable n’est pas certain et souvent c’est l’inattendu qui advient. Nous pouvons appliquer à l’année 2011 le proverbe turc : « Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra. »

Edgar Morin – Le Monde du 09/01/11

Bon jeudi, à suivre chez Chiffonnette.

Le temps qui va

Posted in Réflexitude,Vittérature par Laurent Gidon sur 12 janvier, 2011

Mon père avait de très bons outils. Il m’en a laissé quelques-uns, dont cette pince qui vient de débrancher un gros thuya et que m’envierait tout serial killer un peu soucieux de désosser proprement ses poupées. Je ne sais pas si on en fabrique encore de pareilles : celle-ci a plus de trente ans. En fait, je suis à peu près sûr que non.

Les outils d’aujourd’hui ne sont pas faits pour durer, mais pour être vendus. Dans un documentaire vu il y a déjà quelque temps, un taillandier concevait et fabriquait des binettes au tranchant inusable puisque autoaffûtable. On va me dire que des binettes, c’est rien, ça ne sert plus. Lui les faisait bien, savait qu’il les vendait pour une vie et passait régulièrement chez leurs heureux propriétaires pour voir comment l’outil se portait. Il était capable de lire sur la lame l’usage qu’on en faisait, aussi bien le bras du bineur que la qualité du terrain.
Aujourd’hui…
Les hommes sont des outils, vendus pour s’user et être remplacés. Qui sait encore lire la morale de l’employeur ou la qualité de l’entreprise sur un visage d’ouvrier ? Pas parce qu’ils sont illisibles, mais parce qu’ils disent tous le même mépris ou dédain. L’argent est un mauvais bras.

Et les livres ? Sont-ils toujours aussi bien conçus et fait pour durer ? Sont-ils autoaffûtables pour garder leur tranchant à chaque nouvelle lecture ? Peut-on lire en eux aussi bien le travail de l’auteur que le plaisir du lecteur ?

Jeudi situation

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 6 janvier, 2011

Pas de citation pour ce jeudi, mais une situation.

Hier, j’entre dans une boulangerie d’Annecy, dans la zone piétonne chic, en remarquant un jeune garçon assis un peu à l’écart de la porte, sur des cartons.
Vêtements vieux et sales, bottes de caoutchouc et bonnet qui me cache son visage, mes pas ses tremblements : il fait entre -2 et -4°. Il ne tend même pas la main.
J’hésite entre lui acheter un pain au chocolat et lui filer une pièce. Je sors mon portefeuille lorsque deux types à moustache arrivent. Ils descendent la rue en plein milieu et passent donc à trois ou quatre mètres de nous. Plutôt jeunes et vifs, toque fourrée, habits démodés mais propres, bonnes chaussures un peu boueuses, l’un en conversation avec son portable. Ils apostrophent le garçon dans une langue d’Europe de l’Est.
Je ne comprends rien, bien sûr, mais ils se connaissent, je sens dans leur ton de la menace et de la moquerie. Le garçon répond, pas fort, comme s’il les insultait pour lui-même. Eux passent sans dévier de leur route.
Plein de questions, je range mon portefeuille.

Vous auriez fait quoi ?