Comme ça s'écrit…


Boucler la corde

Posted in Textes par Laurent Gidon sur 30 avril, 2024

Qu’est-ce qu’on a fait au monde ?
Qu’est-ce qu’on a mis comme barrières sur les flots !
Combien de béton en couches épaisses sous nos pieds,
combien de temps avant qu’on étouffe de poussière ?
Et les lambeaux d’enfants éclatés sous nos bombes…
Et le silence d’oiseaux qui ne reviendront plus…
Nous, sans autre désir que tenir
au moins jusqu’à la fin du mois,
sans projet plus vaillant que les vacances prochaines,
sans autre responsabilité que de bien voter.
La roue nous entraîne, le moteur tourne,
ça carbure, ça creuse, ça bouge et ça trépigne,
rien n’arrête l’espèce qui va loin de l’avant.
Et puis, plouf, tous défis relevés :
le grand bond depuis le bord de l’abîme.
À quelle heure ferme le grand magasin ?
À quelle distance tenons-nous le repos ?
Est-il temps de plier toutes les dimensions
de ce que nous avons déployé ?
La place des loups est encore chaude.

En attendant l’éternité, je lis Bonjour Tristesse (il n’y a pas d’âge, merci Françoise).

Mort encore

Posted in Textes par Laurent Gidon sur 10 avril, 2024
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©  Nariman El-Mofty/AP/SIPA

Quand a sonné l’alerte, vous êtes descendu au sous-sol avec d’autres résidents de l’immeuble.
On s’est répartis dans les caves. Les premières détonations ont ébranlé le bâtiment. Autour de vous, ça criait, ça pleurait, ça gémissait.
Un choc plus puissant que les autres, suivi d’une longue convulsion dans la structure, comme un raz-de-marée qui se rapprocherait par le haut. Les lumières se sont éteintes.
Cri général. L’immeuble s’est effondré.
Pas de sortie, pas de réseau, odeur de gravats dans le noir, l’air devenu épais.
Il y a eu les hurlements, les torches hystériques des téléphones, les paniques.
On a tenté de déblayer un passage sans succès, puis de s’organiser, de compter ce qu’on a d’eau et de nourriture, de n’allumer qu’un téléphone à la fois pour économiser les batteries.
De la surface n’ont plus filtré que d’autres détonations, des grondements de chars, des échos d’éboulement.
Les heures sont devenues des jours. Le temps qui passe épuise tout.
Des gens que vous connaissiez se sont engueulés, battus, sous les cris des enfants et d’inutiles appels au calme.
L’odeur de sueur, de pisse et de merde est montée, au fil des corps qui se vidaient, avant de s’estomper : le nez s’anesthésie.
La soif a précédé la faim, mais c’est la peur qui domine.
On ne vous trouvera pas. On ne vous cherche même pas. Vous allez crever ici, les uns après les autres, de plus en plus seuls. Enterrés vivants dans les décombres d’une guerre venue d’ailleurs.
Cela va prendre du temps.
Après des suppliques interminables, le premier mort a déclenché une longue plainte partagée. Les survivants pleurent sur eux-mêmes. D’autres ont suivi.
Les derniers téléphones se sont éteints depuis longtemps.
Quand vous n’avez plus compté autour de vous que quelques souffles dans la nuit, deux idées de la mort se combattaient en vous. L’une s’appelait soulagement, et l’autre panique.
Les cadavres puent. Votre langue cartonneuse voudrait s’étancher de leur sang. Vous ne savez pas comment faire. Vous n’avez que vos dents pour trancher la chair morte. L’horreur d’y avoir pensé vous submerge, et pourtant la soif demeure.
De quoi allez-vous mourir ? Question douloureuse, au sens propre. Vos organes exigent de l’eau et le font savoir par tous vos nerfs.
De brusques bouffées de désespoir vous poussent à griffer aveuglément les gravats. Vous ne faites que provoquer de nouveaux éboulements. La poussière vous colle la gorge.
Même l’asphyxie serait une voie de salut. Cela aussi vous est refusé. Vous toussez du béton et vos poumons reprennent leur gémissement ventileux.
Le corps n’est que douleur, mais c’est l’esprit qui fait le plus mal. La folie vous pénètre, vous ravage, vous frappe la tête contre les décombres. Votre sang et vos larmes se perdent dans la poussière. Vous hurlez quelque chose comme un long sifflement. La mort ne répond pas encore.
Votre corps vous trahit : chaque seconde de vie supplémentaire est une torture.
Jamais vous n’auriez pensé finir comme ça. Mais c’est la guerre.

Étonnamment, alors qu’un peu partout il me semble qu’on meurt plus et plus mal, je lis Manières d’être vivants, de Baptiste Morizot.

L’année d’avant l’année dernière

Posted in Textes par Laurent Gidon sur 4 janvier, 2024

Un scandale chassant l’autre, qui se souvient en ce début 2024 de ce que fut la fin 2021, bien encrassée au pass sanitaire ? Il est donc temps pour moi de ressortir la petite histoire troussée pour saluer l’entrée en piste de 2022.

C’était il y a deux ans seulement. L’Ukraine vivait en paix, les Iraniennes allaient voilées, on croyait encore que les Talibans, mais non, quant aux Palestiniens et aux Israéliens… Bref, bonne année à tous, et replongeons-nous dans l’an tépénultième.

Voilà que ça n’avance plus : la fin de 2021 est toute grippée, le calendrier ralentit, du sable plein les rouages.

Au Ministère du Temps qui passe, on s’arc-boute. Avec un peu d’effort sur les leviers usuels, on pense pouvoir relancer la machine avant que le grand public ne s’aperçoive que tout est coincé. En fait les gens du peuple sont au courant, mais on ne voudrait surtout pas qu’ils s’habituent trop à ce temps alangui. Ce ne sont quand même pas des vacances, juste une période d’impuissance.

Le Ministère des Défis et Challenges fait déjà la grimace devant la baisse de motivation dans la start-up nation. « Trouvez un truc, quoi ! » Il faudrait au moins pousser les curseurs jusqu’à Noël. Les spécialistes pensent l’exploit jouable, mais après… On n’ira pas plus loin. En tout cas, pas tous. Il sera nécessaire de trier. Et donc définir un critère de tri entre ceux qui passent et ceux qui restent.

Au Ministère des Solutions Arbitraires, quelques technocrevures commencent à caresser l’idée d’un pass pour accéder à 2022. L’idée n’est pas neuve, et d’ailleurs le Ministère des Idées Neuves demande des droits d’auteur. Au Ministère des Mots Passant on fait valoir que le mot de pass pour 2022 va se faire hacker et que l’Humanité entière risque de s’engouffrer en fraude dans une année déjà bloquée. Engorgement à prévoir, toute la misère du monde dans l’entonnoir. Le Ministère des Entonnoirs dépose, par réflexe, une motion de censure.

Chacun semblait devoir se renvoyer la balle sans une chance d’atteindre le but – quel est-il, déjà ? – lorsque, au Ministère des Solutions Oubliées, on eut une idée ancienne – bien lavé, c’est comme neuf – ainsi formulée : « Il suffirait de ressortir une bonne burette de créd’huile, ce concentré de crédulité grasse et de croyances visqueuses qui a déjà bien fait ses preuves, et d’en créd’huiliser les rouages de notre beau système, hélas tout encrassé par l’accumulation de mensonges et d’exagérations. Ça n’ôtera pas la crasse, mais ça permettra quelques tours de roue supplémentaires, au moins jusqu’à 2022, sans qu’on ait besoin de tout nettoyer à fond. »

Créd’huile ! Comment n’y avait-on pas pensé plus tôt ! Tous les ministères se rangèrent comme un seul homme derrière cette solution parapluie qui leur évitait d’être éclaboussés par ce problème de temps figé.

Certes, dans les hauts lieux de pouvoir bien encrassés, chacun risquait d’être touché par quelques gouttes de créd’huile, et donc d’abandonner un peu plus de son libre arbitre et de sa pensée critique. Bah, on survivrait sans… Et comme l’efficacité de la créd’huile se complétait d’une bonne dose d’amnésie satisfaite, cet abandon de liberté se diluerait dans une béatitude confite.

Ainsi fut fait et les rouages rouillés, soudain gracieux de se sentir graissés, reprirent leur ronde grinçante dans un roulement ronronnant. Bien sûr, le bruit de ce redémarrage ferraillant rappelle à chacun que nous sommes toujours pris dans un engrenage à carnage prêt à se recoincer grimace. Mais le train du temps étant reparti, l’entrée en gare, et à l’heure, de l’année nouvelle nous donne l’impression que, si tout n’était pas plus propre, au moins on avancer encore un peu.

Noyés dans la créd’huile, on y croirait. Oui, pour le bien de tous on y croirait. Et que passe 2022 !

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Pendant que 2023 tirait à sa fin, j’ai lu Le Silence, de Dennis Lehane (traduit par François Happe) et j’y ai retrouvé la puissance qui m’avait subjugué si fort dans Un Pays à l’aube.

Exercices d’exergues

Posted in Admiration,Textes par Laurent Gidon sur 14 janvier, 2023

Le terme exact pour désigner une sentence placée en tête d’un livre ou d’un chapitre serait plutôt épigraphe, mais exergue assonait mieux pour l’exercice.
Donc voici la recension de cette petite manie qui m’a prise : au cours de mes lectures, repérer toute phrase ou passage qui aurait sa place en exergue (ou plutôt en épigraphe, donc) d’un de mes romans, puis l’y placer.
Pour chacun je ne mets que le titre, les épigraphe proposées permettant aux esprits joueurs de se faire une idée du thème de l’ouvrage.

Persistance

Si je ne suis plus ici tu pourras encore me parler. Tu pourras me parler et je te parlerai. Tu verras.
Cormac McCarthy – La Route

Comme tu avais toujours été certain qu’il vivrait jusqu’à un âge avancé, tu n’as jamais trouvé urgent de dissiper la brume qui avait toujours flotté entre vous, et, par conséquent, quand l’évidence de sa mort soudaine, inattendue, s’est finalement imposée à toi, il t’est resté une sensation de tâche non terminée, une frustration sourde de choses non dites, d’occasions ratées à jamais.
Paul Auster – Chronique d’hiver

En écrivant, j’accomplis un travail que personne ne m’a demandé de faire – à part bien sûr quelques herbes folles et le sourire infailliblement lumineux de mon père disparu.
Christian Bobin – Un Assassin blanc comme neige

Quelque chose d’autre

Les chercheurs sont ce qu’ils cherchent.
Jorge Luis Borges – Le Simorgh et L’Aigle. In : Neuf essais sur Dante

La littérature sert à expliquer la complexité de l’univers, car le récit a pour point de départ un lieu et un moment précis.
Luis Sepulveda – Ingrédients pour une vie de passions formidablesFable du chat de Felipe Gonzàlez

La Bousculante (inachevé)

Au bout du petit matin, cette ville inerte et ses au-delà de lèpres, de consomption, de famines, de peurs tapies dans les ravins, de peurs juchées dans les arbres, de peurs creusées dans le sol, de peurs en dérive dans le ciel, de peurs amoncelées et ses fumerolles d’angoisse.
Aimé Césaire – Cahier d’un retour au pays natal

Comme des riches

Pourtant, quand son esprit n’était pas obnubilé par les tempêtes, son intelligence naturelle lui permettait de deviner bien des choses et, notamment, de différencier les livres qui disaient vrai des autres.
Jean-Paul Dubois – Hommes entre eux

L’usage veut que le condamné le moins coupable ouvre le bal pour qu’il n’ait pas à assister à la mise à mort des autres.
Joseph Andras – De nos frères blessés

Berlineround

C’est le temps du petit homme qui commence,
Le petit homme indistinct,
Pareil en tout point à son voisin,
Le petit homme qui n’est grand que par sa souffrance,
Et par ce qu’il est capable d’endurer,
C’est de cela qu’on a besoin.
Laurent Gaudé – Nous, l’Europe

Très loin, très vite

« D’ailleurs c’est toujours comme ça : on ne comprend jamais rien, et un soir, on finit par en mourir. »
Jean-Luc Godard – Alphaville

L’âme est un jeune tigre qui bondit par-dessus la mort.
Christian Bobin

Tirs croisés

Je n’ai pas peur. […] Mais le fait est que nous vivons dans une société arriérée et mensongère, et je ne suis pas prêt à payer le prix de la sottise des autres.
Alaa el Aswany – J’ai couru vers la mer

Les râleurs et les ravis se ressemblent plus qu’il n’y paraît : mêmes certitudes et même volonté de ne voir du monde qu’un seul de ses côtés.
Christophe André – Et n’oublie pas d’être heureux

Vaincre sans combattre

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire
Pierre Corneille – Le Cid

… mais on triomphe !
Anonyme (publicité)

Ah, le bel exercice consistant à se jucher sur l’épaule des géants. Merci à eux !

Et à l’heure où tout le monde relit Proust (ne niez pas) j’ai pour ma part relu La Route, de Cormac McCarthy (dans la traduction de François Hirsh pour l’Olivier). J’en avais déjà parlé et je n’ai pas regretté de refaire l’expérience.

Annéevirus (rupture d’)

Posted in Non classé,Textes par Laurent Gidon sur 6 janvier, 2023
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Je m’aperçois que, tout entier livré à mes agacements rougeoyants, j’ai oublié de souhaiter une année bonne à la foule des lecteurs qui se presse en ces lieux comme je le fais chaque nouvel an par la publication de l’antépénultième micro-nouvelle de vœux.
Alors voici le petit texte envoyé aux proches pour fêter le Noël 2020.

Noël au virus… Pâques tout bonus

Depuis quelque temps le responsable de la sécurité du laboratoire P4 surveillait tout particulièrement les agissements de la professeure Tournefol. Cette dernière dirigeait des recherches sur les liens entre le microbiote intestinal (quelques milliards de bactéries que nous avons tous dans le ventre) et les systèmes immunitaire et nerveux. Elle croisait ces études avec des travaux sur les changements de comportement suite à infection parasitaire, comme ces grillons qui se jettent soudain à l’eau, contrôlés par un ver parasite se reproduisant en milieu aquatique.

Selon le responsable de la sécurité, le comportement de Tournefol semblait salement parasité.

C’était du sérieux. On ne badine pas avec la sécurité dans un labo P4 où se cultivent des micro-organismes très pathogènes, top dangerosité, ni vaccin protecteur ni traitement médical… Certes, haute technologie et procédures drastiques évitent qu’un pathogène ne s’échappe, mais il reste le facteur humain. Cette grande gigue de Tournefol avait tout d’un fichu facteur humain.

Elle avait changé, soudain trop ouvertement gentille, attentionnée, serviable : autant de signes qui ne trompent pas un spécialiste en sûreté biologique.

« C’est une terroriste ! » se dit soudain le sécuritaire, comme une évidence frappante. Tournefol ne pouvait être que la taupe d’une cellule dormante qui allait se réveiller pour Noël. Il devait agir, et vite !

Ce soir-là il scrutait les écrans du central de surveillance, suivant les déplacements de la professeure. À quel moment avait-elle subtilisé un peu de virus pour le diffuser à l’extérieur ? Il était incapable de le dire, mais il le sentait, il le savait : elle passait à l’action.

Et il avait raison.

Il ne se trompait que sur le vecteur. En bonne joueuse de Plague Inc. (renseignez-vous auprès des moins de 20 ans) Tournefol ne transportait pas le virus dans une fiole ou une capsule, mais en elle-même, s’étant auto-infectée quelques jours auparavant malgré les risques encourus. Ce qui expliquait d’ailleurs son récent changement de comportement. Elle était maintenant contagieuse, plus rien ni personne ne l’arrêterait.

Rien ni personne ? C’était compter sans le haut responsable de la haute sécurité.

Bien que n’ayant rien de précis à lui reprocher il la stoppa alors qu’elle quittait la zone hautement sécurisée, lui demanda de bien vouloir vider son sac, ses poches, sa bouche même, qu’il inspecta avant de se livrer à une palpation corporelle qui fit glousser la professeure. Il ne trouva rien.

« Allez, Joyeuses Fêtes et sans rancune ! » lui lança alors une Tournefol tout sourire. Et, dans un geste sidérant que le responsable de la sécurité n’aurait jamais osé prévoir, elle lui souleva son masque et lui claqua deux grosses bises sur les joues.

L’homme de l’art la regarda s’éloigner de son pas dansant, ressentant encore la fraîcheur de son haleine sur sa figure. Une terroriste, ça ? L’idée même semblait s’éloigner à grands pas. Bah, il s’était sans doute trompé…

Et pourtant, trois jours plus tard, il sera le premier à ressentir les symptômes liés au parasito-virus No-L/20 breveté Tournefol. Et quels symptômes ! Empathie, compassion, besoin irrépressible d’aider son prochain… la totale ! En tant que patient n°1 – le zéro, c’est Tournafol – sa nouvelle passion pour l’autre, tous les autres, le conduisit à répandre le virus plus vite que toute autre épidémie précédente.

D’ici Noël la face du monde ne sera peut-être pas changée, mais aux premiers jours de 2021 les effets du virus parasite seront déjà sensibles au-delà des frontières et à Pâque l’avenir de l’Humanité aura pris une nouvelle voie. Bonne Année prochaine !

Point Scriptorium

Posted in Ateliers,Textes par Laurent Gidon sur 24 août, 2022

Fin juillet de cette année j’ai eu la chance de partir en résidence d’auteur Vacances Apprenantes dans une colonie VVL à Châtel.
Quinze jours en immersion avec 23 jeunes venus de banlieue parisienne, quatre animateurs (dont une trice), un directeur de centre et six employés techniques (cuisiniers, lingère, plonge, ménage…).
Ma part du travail consistait à proposer des médiations sur l’écriture et la lecture (30% du temps) et à écrire un livre (les 70% restants).
Me connaissant, je ne me suis pas limité à cette approche quantitative et mes activités se sont étoffées de randos VTT, trail, escalade sauvage sur mur de pierre, VTT de descente (avec légères blessures)… Je me suis même refait les vingt dernier kilomètres d’une étape du Tour de France.
Bilan très positif, tant sur le plan relationnel – plaisir de rencontrer des gens si différents qui m’acceptent sans questions – que scriptural.
J’étais parti avec un projet de roman pour ados… qui est resté à l’état de projet (une histoire de fillette qui se retrouve en apesanteur dans son chalet de montagne quand son père s’en va travailler). Dès que je me suis trouvé immergé dans la colo, le matériau d’écriture s’est présenté de lui-même, et c’était moi avec tout ce qu’il y avait autour.
Résultat : un nouveau roman narrant les palpitantes aventures d’un écriveur, un peu déphasé, catapulté dans la vie trépidante d’une colonie de vacances en pleine montagne, et condamné à organiser la fuite du grand frère d’un des jeunes.
On y suit la confrontation entre les théories narratives non-conflictuelles de l’auteur et un scénario proche du polar, avec dealers de banlieue et trafiquants ukrainiens russophiles. Tous les personnages de la colo y jouent un rôle.
Plusieurs points de vue narratifs se croisent : externe omniscient pour les contextes ou l’action, intradiégétique pour deux personnages clés.
Le titre : À vaincre sans combattre
Référence au « À vaincre sans péril on triomphe sans gloire » de Corneille (Le Cid) cité en exergue.
237 mille caractères, premier jet écrit en un mois (défi Jean-Paul Dubois), pour des lecteurs dès 13 ans (je pense).

Extrait :

La colo, je ne sais pas encore si j’aime, c’est ma première.
Je m’appelle Sonia, j’ai bientôt quinze ans mais je ne les fais pas (j’ai autre chose à faire). On me prend pour une gamine. Quand j’étais plus petite – OK, disons quand j’étais ENCORE plus petite – ça m’a un peu gavée, j’avoue. Là maintenant, c’est plutôt mieux, j’en joue. On ne me calcule pas, je n’intéresse pas, juste la mioche qui ne dépasse pas. Résultat : je regarde et j’écoute, j’enregistre, tranquille.
Les autres filles se connaissent, elles voulaient toutes se mettre ensemble. Les anim’ ont tranché et je me suis retrouvée dans une chambre de quatre avec juste deux pestounes qui se prennent pour des dames. Shayann et Zoé, des prénoms qui ne vont tellement pas ensemble, et pourtant : pas possible de les décoller. Elles parlent mecs, fringues et maquillage, comme si leur top à peine bosselé pouvait les classer parmi les croqueuses. Les hommes, même les garçons, elles ne connaissent que par les vidéos TikTok : jamais elles n’y ont touché, et encore moins elles ne se sont laissé toucher. Mais j’en parle, je n’en sais rien. On verra.
Les anim’, ça va. J’aime bien Abbas, tout calme, du genre à te faire croire qu’un dieu veille effectivement sur nous. J’espère qu’il ne va pas choper le stress comme Amaury, ce serait dommage. Nous ne sommes que douze, sauf qu’un petit troupeau bien énervé, par temps d’orage, ça fait vite quelques dégâts. Stampede, ils appellent ça, les cow-boys dans les westerns. Et quand je regarde les garçons qui se la jouent un peu, je trouve qu’on n’est pas loin des bêtes à cornes. Mais bon, si ça se trouve ils sont charmants. Au moins quelques-uns. Au moins un. Sofiane, je ne connaissais pas comme prénom. Ça sonne presque fille, genre Sophie-Anne, sauf que lui, non, pas fille du tout. Plutôt le genre loup solitaire, ombrageux. Il faudra quand même que je vérifie ce que veux dire ombrageux dès qu’ils m’auront rendu mon téléphone. Ce serait dommage que je traite Sofiane juste de parasol.
Et puis il y a ce grand sifflet d’Antoine. Lui aussi, je me demande bien dans quel bac à fleurs il a poussé. Là, on dirait juste qu’il a été transplanté à la brutale dans un champ d’orties. Au moins il n’essaye pas d’avoir l’air de ce qu’il n’est pas. Et puis, quelqu’un qui déclare vouloir prendre son temps pour écrire des trucs ne peut pas être complètement mauvais. Tous les livres que j’ai lus, il a bien fallu qu’une autrice ou un écrivain les écrivent, non ?
Bon, l’atelier d’écriture : cata’ totale ! Le pauvre Antoine nous a fait un cours sur la chaîne du livre et la misère des pauvres écrivains qui ne gagnent pas une thune avec tout leur énorme travail qui n’intéresse personne. Je résume, mais c’était l’idée. Pourtant, il y avait quelques infos intéressantes sur les rapports auteur-éditeur, sur la ronde d’intermédiaires qui se passent le bouquin avant qu’il rejoigne ma bibliothèque, sur le doute quant à la qualité de ce qu’on écrit alors que le succès viendra minimum un an plus tard, ou pas du tout… Personne n’écoutait. Visiblement, au bout d’un quart d’heure il ne savait plus quoi nous dire.
J’ai tenté de le relancer un coup avec une question du genre « c’est où que vous trouvez vos idées ? » et c’était comme si j’avais mis cinquante euros dans le juke box. Il est reparti, sans s’arrêter même pour souffler, à nous balancer sa théorie de narration non-conflictuelle et comment on est trop formatés par les fictions qu’on voit ou qu’on lit partout. Toujours le même schéma, avec un héros qui a une mission, un combat à mener, une menace à éliminer, une belle à sauver. Il se paumait dans des exemples qui ne parlaient à aucun des djeuns : « Prenez Star Wars, le premier, enfin, le quatrième mais celui qui est sorti en premier, il y a tous les éléments, on dirait un catalogue, le jeune et sa quête, le vieux mentor, le pire méchant qui soit, et la princesse à secourir, une vraie caricature et… »
Même moi j’ai décroché. Pourtant, des livres j’en ai lus plein, et pas que des mauvais. Il faut bien qu’il se passe quelque chose dans une histoire, sinon c’est chiant. Mais Antoine, justement, il affirmait que non, c’était une question de talent de l’auteur. Il fallait oser sortir des schémas faciles, se détourner des trucs qui marchent à tous les coups, prendre le risque d’essayer de raconter autrement. Sinon, il disait, on façonne les imaginaires, on pré-scénarise les réponses aux crises dans la population. « Il n’y a plus qu’à désigner l’ennemi, et tout le monde est prêt à se battre, comme si c’était la seule solution. Il faudrait écrire d’autres histoires pour rappeler à chacun qu’il y a toujours plusieurs solutions, plusieurs choses à faire face à chaque situation, plusieurs… » Il était tout énervé à parler tout seul, avec de grands gestes, les cheveux en bataille. Une vraie caricature, comme il disait.
Il a fini par se taire pour boire un coup à sa bouteille. Les autres parlaient entre eux ou se bousculaient pour se faire tomber des chaises, complètement à côté du sujet. Ça m’a presque fait mal pour lui. Mais non, tranquille, comme s’il avait l’habitude du désastre, il a repris le cours de son atelier.

Voilà, c’était le début du chapitre Trois (il y a un chapitre Zéro). Prochaine tâche : faire relire, améliorer et trouver un éditeur. Facile…

En parallèle je lis Un Jardin de sable, de Earl Thompson, traduit par Jean-Charles Khalifa chez le très estimable Monsieur Toussaint Louverture.

En ce moment

Posted in Textes,Vittérature par Laurent Gidon sur 19 mars, 2022
Des Russes (Irina Moiseeva et Andrej Minenkov)

De la période pendant laquelle j’ai hanté les patinoires, autant pour assister à des compétitions que pour y participer, j’ai conservé une certaine tendresse pour l’hymne soviétique.
la Guerre Froide se rafraîchissait, c’était la fin de la détente. L’Américain roulait des mécaniques, tout juste extirpé du Vietnam. Le soviétique représentait dans nos contrées le mal absolu, la menace absolue, la peur absolue.
Pourtant, sur la glace, les couples Moiseeva-Minenkov, puis Bestemianova-Bukin, représentaient eux la grâce absolue. En bon Français j’aurais dû les haïr.
Je l’admets, j’étais amoureux d’Irina Moiseeva, pourtant de 10 ans mon aînée. Je l’admirais depuis la barrière pendant les entraînements et la croisais parfois dans les couloirs.
Elle était russe, moi pas, et la dissuasion nucléaire nous séparait plus que l’âge et la langue. J’avais bien conscience que le sport avait une valeur politique, mais la beauté, la beauté !

Il m’en reste cette admiration éperdue, tellement plus forte que la peur du parapluie nucléaire, ainsi que l’émotion de l’hymne soviétique chaque fois que ces Russes gagnaient.

En ce moment encore, je ne parviens pas à les haïr.
En ce moment…

Dernier printemps

En ce moment la fracture rouverte entre amis et ennemis
En ce moment la même Histoire pour justifier le bruit de bois sec des membres sous les chenilles des chars
En ce moment les certitudes à sous-munitions
En ce moment l’évaluation des vies perdues, des territoires gagnés, comptabilité des pouvoirs, cimetière des sentiments
En ce moment le cri ignorant du pourquoi
En ce moment l’éclat d’obus dans la chair, mais rien dans les consciences, intouchables
En ce moment les bobards érigés en programme
En ce moment les racines, les troncs, les branches et les bourgeons au lance-flamme
En ce moment j’avoue l’envie venant de vidanger à vide
En ce moment le tourbillon ferreux du centre de la Terre, placide, pas même dévié par notre acupuncture
En ce moment le temps bientôt vacant

D’autre Russes (Natalia Bestemianova, Andrei Bukin)

L’année où on ne savait pas

Posted in Lecture,Non classé,Textes par Laurent Gidon sur 4 janvier, 2022
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Reprenant une ancienne habitude, je vous propose la petite nouvelle écrite voici deux ans pour souhaiter la bienvenue à 2020. Oui, je ne savais pas, je n’avais rien vu venir. Et vous ?

2020 – année 20/20

Il existe quelque part là-haut – je connais l’adresse exacte et la façon de s’y rendre, mais ce n’est pas le sujet – ce qu’il conviendrait de décrire en termes triviaux comme un Gouvernement Archangélique pour la Terre et l’Éther Spatial dont nous sommes tous plus ou moins les enfants (GATÉS). Ce gouvernement délègue une partie de ses tâches à ce que nous appellerions le Ministère des Embranchements, instance clé où l’on discute et aiguille les directions prises par l’humanité, et ce autant à titre individuel que collectif. La réalité telle que nous la connaissons n’est que le résultat de ces négociations menées par un personnel céleste que nous avons affublé de noms divers sans être jamais vraiment sûrs de notre coup.

Un des plans d’aiguillage prévisionnel pour l’année à venir ayant fuité il me revient de le publier au plus tôt avant que l’on ne me fasse taire ou me mette en terre.

Donc, voici ce qui devrait changer en 2020 :

En termes de climat il est prévu un maintien des températures actuelles mais une baisse drastique des événements atmosphériques extrêmes, les moyens à mettre en œuvre étant laissés à l’appréciation du Ministère des Promesses et Miracles.

L’économie mondialisée sera réorientée vers un bien-être durable et une répartition juste des produits et services au bénéfice du plus grand nombre, la mise en pratique relevant du Ministre Délégué aux Infaisables dès qu’il aura fini de s’occuper du système des retraites.

La sortie du prochain spin off de Star Wars sera annulée et tous les moyens financiers et humains dédiés à cette purge seront réaffectés à des projets plus ambitieux visant à tirer l’humanité vers le haut. L’ensemble du budget Marvel suivra le même chemin, ces décisions devant être appliquées par le Service de Réalignement des Idioties Manifestes (s’il n’est pas débordé).

Le niveau de violence global sera ramené à une valeur proche de zéro, sachant que la réaffectation à des activités plus pacifiques de tous les militaires et marchands de canons sera dévolue au Ministère des Anciens C… Battants.

L’argent sous toutes ses formes devrait disparaître d’ici fin janvier, non pour revenir au mythe du troc initial mais pour retrouver un système d’échange de biens et services non thésaurisables. Les propriétés de la Banque Mondiale seront transformées en chocolateries où on coulera de nouvelles pièces vraiment consommables. Le problème de la dette sera éventuellement traité par le Bureau des Cauchemars sans Suite.

Les chagrins d’enfants devraient connaître une baisse notable due aux actions concertées du Service des Doudous Perdus Retrouvés, de l’Académie des Câlins et Caresses, ainsi que du Programme pour un Contentement Global Inconditionnel.

Il ne s’agit là que d’une sélection des éléments les plus significatifs extraite d’un plan d’aiguillage comptant plus de vingt-sept milliards d’embranchements synchronisés.

Hélas…

La fuite de ce document de travail ayant grandement agacé le Maître des Arbitrages en Concertations et Restructurations Opérationnelles Non-négociées, il est décidé – pour qu’il cesse son caprice – que les 27 milliards d’orientations prévues par le plan seraient, non pas annulées, mais transférées aux seules compétences des humains en cours de vie.

Bref, si grâce à cette fuite due à un angelot stagiaire nous savons quels chemins prendre pour faire de 2020 une année notée 20 sur 20, il ne dépend plus que de nous pour que cela s’accomplisse.

Redescendre

Posted in Admiration,Textes,Une Face, une trace ! par Laurent Gidon sur 15 juin, 2021
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Il faut que je vous parle encore de Jean-Paul Dubois. Après l’avoir entendu à la radio, l’envie m’avait pris de faire comme lui, et donc d’écrire mon prochain roman en un mois.
De cette ambition à sa réalisation il n’y avait qu’un grand pas, que j’ai franchi tout gaillard.
Voilà, ça y est, premier jet de Une Voie à toi injecté dans le cloud. Ouf !
J’ai claqué l’écran du PC et, au lieu de danser autour avec des cris d’Arapaho éthyliques (comme je faisais avant, ou ), j’ai traversé la France pour aller récupérer mon fils dans sa chambre d’étudiant et nous avons dévalé nord-sud jusqu’à Lacanau pour y tremper nos surfs.
Manière de dire que ça suffisait, l’infusion de clavier.

Mais j’ai surtout prévenu M. Dubois que j’avais réussi.
Il m’a gentiment félicité, m’a parlé de cette « performance » avec ses expressions à lui, comme montagne de mots, sacrée ascension, ou un mois au fourneau. J’en suis encore tout rose de fierté. La fierté c’est bien, ça tient chaud l’hiver, merci M. Dubois : vous êtes au poêle !
(oui, je me chauffe au bois et je fais les blagues que je veux avec le nom des auteurs que je respecte).
Et vous serez dans les remerciements que je me suis empressé de rédiger dès le point final apposé :

Ce livre et son auteur doivent beaucoup…
à Pascal Linden, guide de haute montagne, ouvreur de voies magiques et maître pédagogue de la grimpe…
à ceux qui équipent les falaises, entretiennent les voies, purgent ce qui doit tomber et affrontent parfois la rigidité administrative ou judiciaire pour que nous autres puissions prendre le risque de grimper en liberté…
à tous les Grimpailloux du village, en particulier Magalie, Odile, Gillou, Lulu, Jean-François, Jérémie, Nico, Patrick, Tony, Yannick (les autres, je vous aime aussi)…
à Jean-Paul Dubois (oui, l’auteur Goncourtisé) pour m’avoir cravaché à son insu afin de boucler le premier jet dans le mois imparti…
et à mon père, bien sûr.

Voilà, c’est donc fini. Tristesse post-partum ? Un peu.
Une Voie à toi sera plus sombre que Une Face, une trace.
Un peu comme Harry Potter, d’un tome à l’autre Jérôme grandit et ses lecteurs aussi. Ils pourront, à 17 ans, encaisser certaines situations auxquelles je ne les aurais pas soumis lorsqu’ils en avaient quatorze.
Il va quand même me falloir convaincre l’éditeur. J’ai toutes mes chances : l’éditeur est intelligente, forcément, puisqu’elle a choisi de publier Une Face, une trace.

Comme d’habitude, j’en propose le texte aux bêta-lecteurs qui auraient l’envie de cette sacrée ascension d’une montagne de mots. Contre retour sur les fautes, les faiblesses et les incohérences, ou juste pour le plaisir.

En avant-goût, le Djer dans sa première séance d’escalade :

— Allez, Djer : vas-y, c’est ton moment !
Toute la classe est là, autour de moi. Ils m’encouragent, sympas. Enfin, pas tous. Il y en a que je sens pressés de me voir minable sur les prises. Des jaloux, blessés par ma popularité. Je ne peux que leur pardonner, grand seigneur. Mais comment pardonner à la verticale, ce mythe écrasant qui me toise de haut : douze mètres de mur d’escalade, douze mètres verticaux, infranchissables sans y mettre les mains !
Je vérifie encore une fois le nœud de corde qui boucle sur les sangles de mon baudrier. Un nœud de huit, comme on vient de m’apprendre à le faire. Ce nœud et cette corde vont m’empêcher de mourir quand je tomberai comme un sac. Si tout va bien.
Je vérifie aussi le système d’assurage sur le baudrier de Jérémie. C’est lui qui va m’assurer, c’est-à-dire faire contrepoids et freiner ma chute piteuse. Jérémie est un pro de la grimpe, j’ai confiance. Mais il paraît qu’il faut toujours vérifier deux fois le nœud et le système d’assurage, sur soi et sur l’autre. Il paraît qu’on appelle ça le double check et que ça peut vous sauver la vie. Il paraît… J’en suis à une quinzaine de vérifications et j’ai toujours peur pour ma vie.
— Allez, Jérôme, on t’attend.
La prof s’impatiente. J’ai tergiversé pendant tout le cours et la cloche va bientôt sonner.
— Oui, Madame, je double checke
Je double panique, oui !
Bon, il faut y aller.
Le faut-il vraiment ? Qu’est-ce qui m’oblige à tenter cette exploit incandescent : provoquer la pesanteur, aller chatouiller la verticale, risquer la morsure de la gravité universelle ?
— Jérôme Blandin !
OK, j’ai compris, j’y vais.

Voilà. La suite doit faire dans les quatre cent mille caractères (ou soixante-dix mille mots).
Je n’ai plus qu’à redescendre et me consacrer à autre chose – comme Jean-Paul Dubois – pendant que le texte prend un bon coup de tiroir.

Et peut-être lire enfin Reprendre le Pouvoir, de François Boulo, aux Liens qui Libèrent.

Les Malgré-Tout

Posted in Textes,Vittérature par Laurent Gidon sur 9 mars, 2021

Les Malgré-Tout sont de sortie
celles qui chaque année nous rappellent ainsi
que malgré toutes nos âneries
malgré nos peurs ou nos soucis
ces culs-de-sac et ces ennuis
où nos stupides envies
et nos abandons nous ont mis
malgré les réalités qu’on fuit
dehors ça continue : la vie
Malgré nous ?

Malgré la Covid, l’inflation, le climat et l’entorse qui me vrille, j’ai ressorti Les Furtifs de Alain Damasio, abandonné à sa sortie dès le premier chapitre, et puis voilà, je m’y remets, pas si mal.

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