Comme ça s'écrit…


Climat septique

Posted in Réflexitude par Laurent Gidon sur 5 Mai, 2024

Nous sommes tous infectés par le virus du climat. Les pour, les contre, les neutres et les rienàfoutre, tous sont touchés, même à leur insu. Une pan-septicémie climatique.

Nos émotions, déjà : de la peur, de l’angoisse, de l’agacement, de la colère, de l’espoir, de la résignation. Autant de symptômes contradictoires d’une même contamination.
Nos sens, toujours à l’affût, mis à contribution pour confirmer le réchauffement ou réfuter la « doxa dominante ». Chaque changement perçu de la température devient un argument à exploiter partout, des conventions de bistro aux plateaux télé, en passant bien sûr par le résonateur des réseaux asociaux.
Nos gestes, traqués, auscultés, signifiés, exploités par une opinion ou une autre.
Prendrai-je ma voiture pour faire les courses, l’avion pour partir en vacances, ou le train, le bus, le vélo ?
Ai-je bien trié mes déchets, mangé de la viande ou du tofu, isolé mon logement, brûlé du diesel ou de l’uranium, cultivé bio, acheté de seconde main, fait livré mon repas…
Chaque décision du quotidien se charge de sens vis-à-vis du climat, pour réduire son empreinte carbone ou montrer qu’on n’est pas dupe de la pensée unique.
Les mêmes études scientifiques sont brandies pour attester de l’urgence ou au contraire démontrer le manque d’indépendance et les incertitudes des chercheurs.
Même la guerre et ses destructions sont analysées sous l’angle du climat. Alors, ces villes ravagées, sont-elles une vague de plus dans le tsunami de nos émissions, ou l’opportunité de tout reconstruire de façon écologique ? Ingénieurs et financiers sont déjà au travail pour chiffrer l’après-guerre sur les ossements des morts.

Le déjà invivable, loin de nos yeux

Réchauffement, pas réchauffement, cause humaine ou naturelle, bonnes pratiques ou écologie punitive ? La maladie du climat met en scène un duel dont seul l’avenir donnera l’issue.
Une façon de ne pas penser à aujourd’hui.
À toutes les zones de la terre qui sont déjà invivables maintenant, et souvent depuis longtemps, de par la main incontestable de l’homme.
Un îlot de chaleur en ville : invivable.
Un complexe industriel, une mine à ciel ouvert, une zone commerciale, une plateforme logistique, un port industriel : travaillable, mais invivable.
Un parc d’engraissement bovin, une usine à poulets, une monoculture intensive : invivable, ou juste en attendant la récolte, et donc la mort.

Toutes ces zones dont nous avons chassé la vie ne soulèvent pas de question climatique.
Unanimes, elles accusent l’activité humaine, notre impact sur la terre plus que sur l’atmosphère. Notre acceptation de sacrifier des espaces de vie pour gagner en productivité, en prospérité, en confort.
Et, contrairement au virus passionné du climat, les symptômes de cette maladie restent silencieux.
On ne visite pas les trucs moches, les endroits qui puent. On les cache sous le tapis, on regarde ailleurs.
Quand on en croise un par hasard, on ne fait pas le lien entre ce désagrément et tout ce dont nous profitons au quotidien. Ne pas voir, c’est ne pas croire : ça n’existe pas.
Ce n’est pas une simple question d’opinion ou de doxa.
Il n’y a pas de slogan facile pour résumer le problème.
Le problème, c’est nous, tous ensemble.
Les dégâts sont là, sous nos yeux, et nous y prenons tous part sans accepter de penser à ce qu’il faudrait changer.
Le grand bond en avant depuis le bord de l’abîme.
Ça va dégringoler, mais chut !

Je relis Après l’Extase, la lessive, de Jack Kornfield, et j’en extrais ceci pour aujourd’hui :

Si nous apaisons en nous-mêmes la clameur et l’avidité de la société de consommation, nous découvrirons les murmures intimes qui nous chuchotent ce que nous devons faire.

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