Comme ça s'écrit…


Que lâchent nos digues !

Posted in Admiration,Réflexitude par Laurent Gidon sur 28 août, 2023
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Si Hitler, Staline et Pol-Pot (pour ne citer qu’eux) sont en enfer, il me semble fort possible de les voir en sortir bientôt avec les honneurs car, collectivement, nous faisons pire aujourd’hui. Pire, non sous l’angle du solde comptable des méfaits, mais parce que nous savons ce qui a déjà été réalisé, et nous empruntons pourtant le même chemin, bardés souvent des mêmes prétextes.
Pendant vingt et quelques années, dans mon petit monde intérieur on m’a surtout appelé Papa. Par la grâce d’un divorce me voici de nouveau rendu à moi-même, sans autre fonction qu’être ce que je fais de moi au jour le jour, sans autres devoirs que ceux auxquels je m’astreins de ma seule volonté.
Bien sûr, je conserve une éminente position paternelle que même la mort ne m’ôtera pas. Mes fils savent qui a foulé le chemin avant eux. Ils n’ont plus le même besoin de père, chacun éclaire sa propre route.
Le sentiment d’appartenir à nul autre qu’au genre humain permet de se sentir aussi bien russe qu’ukrainien, migrant que législateur ou policier aux frontières…
Chacun a ses raisons : en voilà une banalité ! Il me semble moins trivial d’en être traversé, de sentir en soi les raisons de chacun. Sortir du « je suis ceci, ou cela… » qui sous-entend « je ne suis que… et je ne suis pas… » pour accéder à plus large appartenance. S’ouvre alors la porte de la compassion, domaine infini.
Ce sentiment ne nous tirera pas le cul des ronces – comme l’énonce une ancienne éditrice – mais apaise la colère, si ce n’est la douleur.
Se souvenir aussi que l’impression que rien ne change n’est qu’une illusion. Le changement est la seule règle qui nous régit.
J’ai récemment lu – avec difficultés d’abord, puis un intérêt grandissant – le dernier roman de Cormac McCarty, et je ne résiste pas au plaisir d’en citer ce passage plein d’à-propos :

Les horreurs du passé s’émoussent, et ce faisant nous rendent aveugles à un monde qui se précipite vers des ténèbres excédant les hypothèses les plus amères. Ça promet d’être intéressant. Lorsque l’avènement de la nuit absolue sera enfin reconnu comme irréversible même le plus froid des cyniques sera étonné de la célérité avec laquelle toute règle, toute restriction qui maintient debout cet édifice branlant sera abandonnée et toute déviance adoptée avec enthousiasme. Ça devrait être un sacré spectacle, si bref soit-il.
Cormac McCarthy – Le Passager – L’Olivier, 2023 / The Passenger, 2022, traduction de Serge Chauvin


Oui, Cormac, cela promet d’être intéressant, désolé de ne pas vous compter parmi les spectateurs. Hélas, une complaisance générale dans la haine et la souffrance empêchera la plupart d’entre nous de profiter du spectacle. Voici le moment de ne pas résister à l’envie de citer N.N. Taleb :

Vivre aujourd’hui sur cette planète nécessite beaucoup plus d’imagination que nous ne sommes programmés pour en avoir. Nous manquons d’imagination et nous la réprimons chez les autres.
Nassim Nicholas Taleb – Le Cygne Noir – 2008, les Belles Lettres, traduction de Christine Rimoldy (The Black Swan, 2007)

Ayant passé quelques jours loin de tout réseau, j’ai lu entre autres Le Silence et la colère, de Pierre Lemaitre, et je le remercie pour ces bons moments passés ensemble.